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II. Les cadres de l’étude Chronologie, matériel et géographie

1. Le cadre chronologique

Un nombre important d’études certes très intéressantes ont été réalisées sur les armes des périodes anciennes, qui semble démesuré en regard de celles disponibles pour les époques plus tardives. Le Haut Moyen-Age a ainsi eu la faveur d’experts ayant produit des monographies et des travaux remarquables à de nombreux points de vue, et les méthodologies qu’elles exposent peuvent en outre constituer des apports significatifs, par comparaison, à l’étude des périodes plus récentes.

Ainsi l’étude de Wilfried Menghin, Das Schwert im Frühen Mittlelalter201,

s’intéresse de manière approfondie à l’évolution et aux technologies de l’épée du Ve au VIIe siècle en Europe occidentale, et présentant typochronologies et études métallographiques et structurelles de certaines pièces de même que des fourreaux, montures et suspensions – une entreprise fort précieuse rendue nécessaire par l’obsolescence du cependant très important et toujours ouvrage de référence Das Zweuschneidige Schwert der Germanischen Völkerwanderungszeit d’Elis Behmer202. Et

nous avons déjà mentionné les travaux fondamentaux d’Edouard Salin et Albert France- Lanord sur les armes du Haut Moyen Âge.

De fait, le travail réalisé sur l’armement des périodes anciennes est considérable, et louable au plus haut point. Les approches développées, les conclusions apportées, les informations présentées sont tout autant d’éléments enrichissant très largement le savoir sur l’armement européen de ces périodes, dépassant pourtant largement le cadre strictement historique ou archéologique dans lequel elles peuvent aussi s’inscrire.

Mais par delà cette abondance d’études de premier ordre, on pourrait aussi y voir un désintérêt pour les objets des périodes récentes. Une sorte de réticence à vouloir développer un sujet paraissant peut-être trop simple, trop connu, trop évident. On ne saurait certes enlever au « Serpent dans l’épée »203 un attrait manifeste, tant au niveau de la

201 MENGHIN Wil fried, Das Schwert im Frühen Mittlelalter : chronologisch-typologische Unterschungen zu

Langschwertern aus germanischen Gräbern des 5. bis 7. Jahrhunderts n., Nuremberg : Konrad Theiß Verlag, 1983, 368 pages.

202 BEHMER Elis, Das Zweischneidige Schwert der Germanischen Völkerwanderungszeit, Tryckeriaktiebol aget

Svea, Stockholm, 1939, 219 pages. Principalement basé sur des pièces conservées au Württembergisches Landesmuseum de Stuttgart.

203 Nous faisons ainsi référence à un JONES Lee A.: The Serpent in the Sword: Pattern-welding in Early

Medieval Swords, publié à l’origine dans OLIVER David, The catalogue of The Fourteenth Park Lane Arms Fair, London, 2007, p. 7-11 et proposé en 1998 dans une version électronique à l’adresse : http://www.tf.uni-

compréhension technique de sa réalisation ou de ses propriétés, qu’à ce fort potentiel symbolique que les épées damassées peuvent convoyer. Mais peut-être est-ce également, seulement, un épiphénomène de l’abondance des armes des périodes plus anciennes par rapport aux épées plus récentes – la rareté de la conservation de ces dernières pouvant malgré tout elle aussi être un avatar de ce manque d’intérêt, combiné à une réalité indéniable d’indigence archéologique ?

Il semblait ainsi nécessaire, en particulier pour l’espace francophone, de procéder à une étude des objets correspondant pourtant à une période d’apparente pauvreté documentaire en comparaison avec ce qu’avaient livré les siècles antérieurs. Cette rareté de l’échantillon confère cependant un aspect positif à leur étude : elle rend nécessaire un examen approfondi des pièces, elle exacerbe l’importance de la collecte du maximum d’informations à partir ce celles-ci tout en magnifiant le souci et les problématiques liées à leur préservation.

Le matériel en lui-même, dans son apparente perte de complexité comparé aux formidables armes damassées des périodes précédentes, nous a paru également constituer un argument supplémentaire pour en entamer l’étude. Pourtant, les travaux métallographiques sur les épées des XIIe-XVe siècles semblent indiquer que, même si elle demeure moins visible, la complexité d’élaboration des épées témoigne toujours d’un haut niveau de technicité.

Voilà qui fixe peu ou prou la limite antérieure de notre champ chronologique d’exploration. Notre cadre temporel s’étendra quant à lui jusqu’à la fin du XVe siècle. Les derniers siècles de la période médiévale nous offrent une véritable abondance d’informations concernant divers apports à l’étude de l’armement qui en revanche font défaut pour les périodes précédentes. L’existence de sources techniques traitant exclusivement du combat, de l’utilisation de l’arme offre en vérité une connexion réelle, directe, appliquée avec la manière dont ces objets étaient utilisés. La fenêtre qu’elles peuvent ouvrir sur une réalité multiple et complexe de l’usage appliqué des armes se présente comme une approche indispensable pour quiconque veut comprendre l’armement médiéval ; or une réelle compréhension de l’arme ne peut être acquise sans s’intéresser aux apports du combattant.

2. Le cadre matériel.

Nous reste donc, pour l’instant, à définir également le cadre matériel, de notre enquête, à circonscrire les variétés d’objets auxquels nous allons nous intéresser.

Si on reprend la sommaire typologie proposée par Claude Gaier204, on a la classification suivante pour l’armement médiéval (en excluant les armes de trait) :

1.1 armes défensives 1.2 armes offensives 1.2.1 à main

1.2.1.1 épées, dagues, coutelas

1.2.1.2 de choc (hache, masse, marteau) 1.2.1.3 d’hast (lance, fauchard, etc)

Certes, ces catégories sont davantage destinées à fournir au chercheur une base de tri, et pourraient bénéficier d’un supplément de détail d’autant qu’elles peuvent dans la réalité des faits se trouver mélangées, combinées voire dissolues selon la hiérarchisation des critères considérés. Tout du moins celles-ci sont-elles relativement consensuelles, d’autant qu’elles servent notre propos : les armes défensives (nous supposons que l’auteur pense principalement à l’armure) se trouvent d’un côté, les armes offensives de l’autre. Les premières étant plutôt privilégiées par les études existantes anciennes comme récentes d’une part et étant d’autre part rares dans le matériel offert par notre champ d’investigation, se tourner vers les secondes semblait d’autant plus sensible.

Philippe Contamine déclarait, dans son introduction au colloque L'homme armé en Europe : XIVe-XVIe siècle205 :

« L’histoire d’une arme doit être totale, militaire bien sûr, mais aussi technologique et économique, psychologique, anthropologique et symbolique. Pour la période envisagée, il reste encore beaucoup à faire à ce sujet, même si

204 GAIER Claude, Les Armes, Typologie des sources du Moyen Age occidental tome34 Turnhout : Brepols,

1979, 95 pages.

205 CONTAMINE Philippe, « L’homme armé à la fin du Moyen Âge : des initiatives privées aux interventions

l’arc et l’épée, entre autres, ont fait d’ores et déjà l’objet d’un traitement privilégié. L’histoire d’une arme ne peut se comprendre que dans son environnement spatio-temporel mais aussi mental, au sens large. »

De la même manière, Claude Gaier demandait en 1979 qu’un travail soit accompli sur l’armement, sur les axes suivants :

« 1) une recherche heuristique, dans trois secteurs différents :

a. établir un corpus des représentations d’armes dans toutes les œuvres d’art de la période médiévale.

b. étudier systématiquement toutes les représentations d’armes répertoriées, et estimer leur représentativité (en fonction de critères propres à chaque œuvre) c. dépouiller systématiquement les livres de compte urbains ou princiers. 2) La lance : son maniement n’a jamais vraiment été étudié »206

Ces propos sur la nécessité d’une démarche d’étude de l’armement qui ne peut être qu’heuristique nous semblent absolument justes. Et quand Philippe Contamine demande avec raison une histoire économique et sociale de l’armement, nous y ajoutons la demande d’une réelle archéologie de l’arme – ce qu’on peut, sous certains aspects, assimiler à sa demande d’une approche anthropologique et symbolique du domaine.

L’épée fera partie des armes auxquelles nous nous intéresserons : elle a le privilège de bénéficier d’une base documentaire abondante, tant par les études publiées, les éléments de comparaison et la richesse fournie par les sources martiales. La lance se voit placée par les propos mêmes de Claude Gaier dans les armes que nous devons aborder, même si depuis la publication de cette liste certains travaux ont été proposés. Enfin, la hache constitue un exemple particulier d’arme simple au demeurant, mais donc Christiane Raynaud a su montrer la réalité complexe.

Le choix de se restreindre à ces trois seules classes d’armes pour la présente étude n’a pas été des plus évidents. Certes, on pourrait argumenter de leur statut chevaleresque, de leur place particulière auprès du guerrier médiéval. Mais ce sont surtout les aspects techniques qui ont déterminé ce choix, tant au niveau des savoir-faire du métal que ces objets peuvent révéler que de leur richesse et de leur intérêt martial. La combinaison de ces deux domaines, dans la

densité d’information et de réflexions fournies, fut en réalité le principal critère : l’épée, la lance et la hache représentent les catégories d’armes dans lesquelles notre compréhension des phénomènes liés aux axes de notre approche pouvait atteindre un degré suffisant pour qu’on puisse ainsi en exposer les résultats.

En ce qui concerne les aspects liés à la fabrication des armes, nous plaçons notre enquête dans la stricte échelle de la macrographie, qui d’une part s’avère plus adaptée aux conditions matérielles d’accès et d’analyse du mobilier, et d’autre part correspond à l’échelle d’information livrée par notre approche expérimentale. Nous pensons qu’une telle démarche, même si a priori elle semble ne se baser que sur des perceptions superficielles de l’objet, peut représenter une étape de la compréhension des structures de l’arme menant en outre à des réflexions plus larges.

L’acquisition des savoir-faire techniques et martiaux à un niveau certes toujours modeste, mais autorisant des observations et des réflexions que nous voulons abouties et pertinentes est en soi un processus long, complexe et sollicitant un investissement certain tant en méthodologie qu’en temps matériel. Cependant, les apports de l’expérience acquise dans ces deux aspects indéniablement, profondément liés à la nature de l’arme représentent par eux-mêmes de quoi largement contribuer à l’étude des objets, tant dans l’observation du matériel que dans les réflexions en émanant.