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II. Les cadres de l’étude Chronologie, matériel et géographie

3. Le cadre géographique

Les limites temporelles ayant été explicitées, les classes d’objets et le filtre de l’étude ayant été déterminés, ne nous reste plus à présent que préciser le bornage spatial de notre enquête ; l’intitulé de notre travail devrait déjà avoir aidé à circonscrire.

Nous étudierons donc le matériel présent dans les collections publiques se trouvant sur le territoire de l’actuelle région Bourgogne. Se pose alors une question : une telle limitation territoriale et institutionnelle est-elle pertinente ?

A un niveau théorique, la réponse la plus honnête serait naturellement négative : une réelle étude globale devrait être exécutée sur le territoire le plus vaste possible. Pourquoi alors se cantonner à une zone arbitraire ? L’explication est bien plus

pragmatique : nos travaux précédents207 ont pu déterminer une richesse matérielle non négligeable pour la zone considérée, compatible tant dans sa variété que dans sa diversité avec l’établissement d’une enquête sur l’armement de la période choisie à la lumière de notre démarche.

Qui plus est, une constante avec l’armement est qu’il voyage vite, et loin ; de nombreuses études constatent à la fois la relative uniformité des équipements militaires à travers l’Europe occidentale, mais également une coexistence de faciès locaux liés ou non à des modes ou des préférences régionales ou des zones géographiques d’origine, que l’on peut d’ailleurs trouver réparties bien au-delà de l’espace initial. La région Bourgogne, par son histoire mais surtout par sa position privilégiée sur de nombreux couloirs d’échange, à l’interface de sphères d’influence diverses et multiples, semble ainsi à même d’offrir un échantillon documentaire remarquable conférant à l’arbitraire de l’espace choisi une richesse matérielle conséquente rayonnant bien au-delà des seules frontières administratives actuelles.

Le choix de restreindre notre enquête à certains musées de la région peut lui aussi être expliqué simplement : les collections publiques sont, pour la plupart, beaucoup plus accessibles que les collections privées. Certes, elles ne sont pas exemptes de leurs problématiques propres : absence de contexte archéologique de découverte pour certains objets, provenances diverses, que ce soit découvertes fluviales, fortuites, trouvailles anciennes ou dons208, quand bien même elles peuvent être connues. Cette carence de données spatiales ou contextuelles nous apparaît cependant secondaire en regard des choix que nous avons opérés dans notre approche de l’objet : nous nous intéressons en effet aux données qui se rattachent à l’arme elle-même. La présence d’informations contextuelles représente certes un plus permettant éventuellement de visualiser une zone où l’objet a été présent, mais d’une importance moindre quant à l’évaluation et l’analyse de ce que l’arme peut faire dire à son sujet. Plus encore, la présence au sein de ces collections d’objets « sans origine fixe » ouvre sur ce que l’étude de collections princières ne peut pas forcément autoriser : l’approche d’une réalité de l’armement beaucoup plus représentative de la matérialité populaire que ne peuvent l’être des objets certes beaux et prestigieux,

207 COGNOT Fabrice, L’armement médiéval dans les collections bourguignonnes. Les épées de Châlon-sur-

Saône, mémoire de D.E.A. Mémoire de D.E.A. Ordre et désordre dans les sociétés occidentales de l a Protohistoire à l'époque contemporaine, sous la direction de Daniel Russo, université de Bourgogne, Octobre 2002, 152 pages.

mais associés à certaines élites sociales.

Ainsi, plutôt que de proposer un travail à une échelle géographique certes plus grande mais dont l’étendue augmentera d’autant le risque d’incertitude, nous avons préféré nous restreindre à une zone de prospection plus limitée mais qui présente déjà de quoi fournir matière à un travail conséquent et significatif. Non pas que l’exhaustivité de ce dernier soit absolue : certaines choses ont, par choix, été laissées de côté. Mais au moins travailler sur une zone déterminée réduit d’autant le risque d’omissions majeures et involontaires. Le principe est également de montrer ce qui est faisable à une échelle restreinte en termes de temps d’exploration, d’investigation, d’analyse et de travail sur les objets eux-mêmes – auquel se combine le temps d’acquisition des savoirs, des savoirs-faire et des clés de compréhension nécessaires à l’exploitation de l’échantillon selon les approches choisies – et en terme de quantité de matériel, encore que les richesses amenées par la Saône notamment placent ce dernier dans la fourchette supérieure.

Deuxième partie : Une archéologie de l’objet, une

archéologie du geste. Sources et approches.

« There are no ways of saying certain things, and others are so difficult that a man pines and dies before the right words are found. One must borrow phrases from the sky, words from beyond the stars. Else were all an ignorant, imprisoning mockery. »

Fritz Leiber, Adept’s Gambit.

Nous allons a présent discuter et préciser la question des sources dans la recherche touchant à l’armement. On l’aura compris dans notre première partie, les travaux sur le sujet ont profité et profitent toujours de divers apports fournis par un ensemble parfois disparate de domaines à même de fournir des informations elles-mêmes fort diverses dans leur nature et leur portée sur la compréhension de l’armement dans ses formes, ses évolutions et ses usages. Il convient désormais non pas d’en faire un inventaire absolu et exhaustif, mais simplement d’en proposer une bien sommaire présentation, en tâchant d’en cerner les intérêts spécifiques mais également les limites. L’idée n’est pas de décrire précisément chaque source dans son unicité et d’en exploiter ici les apports individuels ; même quand viendra le temps de s’intéresser de plus près à ces aspects, nous ne pourrons que procéder avec une certaine ellipse, quand bien même une sincère volonté de rigueur nous obligerait à considérer chacune d’une manière beaucoup plus approfondie.

Préambule : la source et l’électron.

Dans cette perspective, le problème de l’accès à la documentation, déjà évoquée au début de la partie précédente en ce qui concerne les publications spécialisées, est également un souci constant pour ce qui touche aux sources de l’étude des armes et armures. Or étant donnée même la nature de l’armement médiéval, la compréhension des phénomènes qui lui sont liés peut être dépendante de la moindre parcelle de savoir, du moindre indice capable de débloquer les réflexions, d’expliciter un détail, d’étayer une hypothèse – ou de l’invalider.

Et force est d’admettre notre bonne fortune. Les progrès récents ont permis, à coups de uns et de zéros, de mettre à la portée du chercheur une quantité toujours croissante de données. La numérisation massive entreprise par les dépositaires de ces patrimoines dans le monde entier représente évidemment une ressource formidable pour l’exploration de ces sources. Les médiévistes francophones proposent via le portail Ménestrel un inestimable répertoire critique de ces ressources209, auquel nous renvoyons bien volontiers le lecteur.

Car outre les grands projets publics nationaux ou internationaux, les institutions privées ont pour certaines également compris l’intérêt que pouvait représenter la diffusion de leurs ressources210 ; et cette entreprise de conservation et de diffusion du savoir concerne tous les types de sources auxquels nous allons être confrontés, sur lesquels nous allons grandement nous reposer pour établir nos réflexions dans l’exploration de notre sujet. Ainsi c’est non seulement la documentation textuelle et historiographique211 ou iconographique, mais également primaire par l’intermédiaire des collections d’armes et armures proposant des photographies de leur patrimoine212 qui est ainsi devenue accessible. L’existence de sites de

209 Ménestrel : médiévistes sur le net : sources, travaux et références en ligne.

http://www.menestrel.fr/spip.php?rubrique370&lang=fr [consulté le 22 décembre 2012].

210 Qui peut être divers : m ais il ne nous appartient pas de le détailler. On peut quand même citer par exemple,

outre le « Greater Good » et l’aide inestimable apportée au chercheur : le rayonnement, la publicité, l’affirm ation d’une place ou d’un statut particulier, qui eux mêmes peuvent amener divers retours financiers, par exemple.

211 Via les projets publics de bibliothèques en ligne comme Gallica pour la BnF http://www.gallica.BnF.fr, mais

également des projets privés comme Google Books http://books.google.com/ ou non lucrati fs comme The Internet Archive http://archive.org/, mais égalem ent les bases et portails comme JSTOR www.jstor.org/, Persée

www.persee. fr/, les instituts comme L’Institut de l’Inform ation Scientifique et Technique du CNRS (Inist-Cnrs) et ses bases de données FRANCIS et PASCAL http://www.inist.fr/

212 Via les banques d’images comme celle de l’Agence photographique de la Réunion des Musées Nationaux

http://www.photo.rmn.fr/, la base Joconde (portail des collections des musées de France)

http://www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/ fr/pres.htm, ou des autres grands musées et collections (listés pour partie à l’adresse : http://www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/ fr/part enaires/catalogues.htm

partage de photographies, de galeries d’images213 permet certainement un meilleur accès et une meilleure diffusion de ces données.

L’étude des sources primaires des arts du combat a également bénéficié de ces phénomènes non seulement par leur mise en ligne, mais tout autant par les facilités d’échange et de dialogue nécessaires à leur compréhension (voir infra) offertes par les possibilités actuelles : la consultation des données brutes, la constitution de bases regroupant ces sources et permettant des recoupements, des comparaisons et des analyses approfondies sont autant d’aides à l’approfondissement de la connaissance de ce patrimoine martial dont profite directement l’étude de l’armement médiéval, tout comme l’est la possibilité d’échanger et de discuter de l’interprétation des sources d’un tel savoir-faire gestuel.

Comme toujours, ces facilités proposées par les technologies actuelles s’accompagnent de limites inhérentes à leurs formes, leur genèse ou leur destination ; pour ainsi dire, étant donnée la variété de modes, d’aspects et de possibilités offerte par ces outils, chacun présente également ses limites spécifiques dont la présentation détaillée serait superflue tant en outre les technologies et interfaces changent parfois vite sur la toile mondiale. Car comme tous les outils, à l’image même de l’outillage électroportatif ou fixe que dans nos activités artisanales nous sommes amenés à manipuler, cette nouvelle puissance amène de nouveaux dangers, et il faut donc savoir s’en prévenir. Il nous faut donc évoquer les plus importantes et les plus fréquentes limites de ces facilités actuelles.

La principale, paradoxalement, est l’abondance offerte par ces moyens. Les données accessibles dépassent de bien loin ce qu’il est possible d’assembler et d’intégrer dans une recherche individuelle comme la notre, malgré toute les bonnes volontés et les efforts. L’accélération récente de la mise en ligne d’informations, constatée au cours même de nos travaux, constitue un véritable tsunami de richesses livrées à la vitesse de l’électron dont l’appréhension représente, si on veut la faire correctement, une masse considérable de temps de classement, d’étude et d’intégration. Consulter toutes les bases de données214 représente une somme colossale d’investissement temporel ; suivre les progrès des numérisations exige une vigilance constante…Mais nous avons tâché de faire au mieux : il aurait été possible, voire préférable parfois, de se contenter de ce qu’on avait, mais chaque élément pertinent, chaque source de réflexion supplémentaire apportée par ces moyens ultramodernes a été, aussi

213 Comme Tumblr : http://www.tumbl.com ou Flickr : www.flickr.com/ 214 Ou ne serait-ce que déjà les connaître.

bien que nous le pouvions, intégré à nos travaux.

Un autre paradoxe : cette abondance s’accompagne de vide. On pourrait croire qu’avec cette multiplication des sources, cette facilité d’accès à la documentation, celle-ci serait plus complète, se verrait rendue exhaustive grâce à ces travaux. Et c’est là un des écueils principaux : les lacunes laissées au sein de cette manne sont d’autant plus cachées que celle-ci est abondante.

Car la numérisation des données est toujours en cours : elle n’est donc que partielle. Nous avons pu constater comment progressait ce travail, qui est logiquement soumis à des contraintes non seulement techniques, mais financières. L’ensemble des manuscrits enluminés de la BnF est par exemple loin d’être entièrement accessible en ligne à l’heure où nous écrivons, et même si les progrès sont visibles, le travail encore à faire demeure conséquent. Les aspects financiers sont d’ailleurs à ne pas négliger pour l’utilisateur final ou le chercheur : un certain nombre de sites ne proposent la totalité de leurs services215 que contre des droits d’accès.

Une fois numérisées, les données sont également limitées par d’autres contraintes, d’autres phénomènes : la qualité même des numérisations en est un. Des images trop compressées ou avec une définition trop faible, des textes mal reconnus216 voire présentés uniquement en mode image sont autant de limites à ces ressources tant dans leur fonctionnalité que dans leur exploitation. Également, les interfaces proposées au chercheur constituent une autre forme pouvant influer négativement sur l’intérêt de ces mises en ligne. L’ergonomie des sites, la puissance des moteurs de recherche sont autant de facteurs limitant l’investigation autant qu’ils peuvent l’aider. Certaines bases de données ne proposent qu’une consultation en ligne, n’autorisant pas le téléchargement ; d’autres sont basées sur des architectures ou des outils ne permettant pas une navigation optimisée. L’indexation des données, la constitution des outils et des paramètres permettant l’interrogation ou l’exploitation de ces bases (par l’ajout de descripteurs aux images par exemple) contribue également à limiter, parfois terriblement, l’intérêt représenté par celles-ci, ou au moins à en freiner considérablement les avantages. Ainsi, pour ce qui est de l’armement, la mauvaise

215 Ou même le simple accès.

216 Nombre de sites proposant des données textuelles utilisent des logiciels de reconnaissance optique de

caractères (ROC) pour faciliter la recherche parmi les ouvrages proposés ; la qualité des programmes utilisés, combinée à des supports parfois mal numérisés ou altérés rend par moments cette reconnaissance haut ement aléatoire.

catégorisation ou description de certains types ralentit le travail du chercheur voulant exploiter ces données ; la base des manuscrits numérisés de la BnF, Mandragore217, décrit ainsi comme « hallebarde » toutes les grandes haches de la fin du Moyen Âge ; une fois ceci intégré, le problème peut être surmonté.

Enfin, les contraintes financières jouent un rôle majeur dans la constitution de ces ressources, mais également dans leur survie: c’est ainsi que tout récemment, la base REALonline de l’Institut für mittelalterliche Realienkunde und der frühen Neuzeit de Krems, en Autriche 218 s’est vue menacée pour des raisons budgétaires219.

Pour ce qui est des sites autres que les bases de données « officielles », les complications sont d’un autre ordre : les galeries privées, les sites personnels ou n’étant pas soumis à des impératifs scientifiques peuvent offrir des données parfois extrêmement intéressantes, mais se soucient souvent peu de fournir de manière précise les sources de celles-ci. Non qu’il soit impossible de les retrouver : c’est cependant autant de temps et d’efforts supplémentaires à fournir.

Enfin, l’Internet étant ce qu’il est, toutes ces ressources sont soumises aux fluctuations et aux hasards de ces moyens technologiques : pannes de serveur ou mises à jour des sites, faiblesses de taux de transferts, mais également impossibilités d’accès220, entre autres221.

Grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC), c’est toutefois une ère intéressante qui s’est ouverte en même temps que nos propres travaux commençaient, dont nous avons pu profiter des bienfaits mais également faire l’expérience des limites. Espérons toutefois que les uns seront supérieurs aux autres, et que nos travaux sauront montrer comment ils ont pu exploiter ces outils désormais incontournables pour la connaissance et l’étude de l’armement médiéval.

217 Mandragore, base des manuscrits enluminés de la BnF. http://mandragore.BnF.fr/ 218http://tethys.imareal.sbg.ac.at/realonline/ [consulté le 12 janvier 2013].

219 Pour un exemple des tenants et aboutissants de la constitution de ce genre de bases de données, voir

BASCHET Jérôme, « Les bases de données du groupe de recherches sur les images médiéval es », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques [En ligne], 14-15 | 1995, mis en ligne le 27 février 2009,

http://ccrh.revues.org/2674 [consulté le 30 septembre 2012].

220 La terrible erreur 404.