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La migration transnationale contractuelle vers le Canada : le Programme des Travailleurs

2. LE CONTEXTE ÉCONOMIQUE DES TRAVAILLEURS JOURNALIERS DE DZIDZANTUN

2.5 L A MIGRATION COMME STRATÉGIE ÉCONOMIQUE PRIVILÉGIÉE

2.5.3 La migration transnationale contractuelle vers le Canada : le Programme des Travailleurs

Comparativement à la migration interne et à la migration vers les États-Unis, l‟ampleur de la migration vers le Canada est un phénomène beaucoup plus récent et marginal au Yucatán. Toutefois, il s‟agit tout de même d‟une réalité en progression (Labrecque, 2012 :

71 Pour le reste des autres qui ne vont pas au Canada, mais aux États-Unis, la plupart travaillent dans les

services: restaurants, lavage de voiture, un peu la construction, mais très peu de gens vont travailler dans les champs. C'est aussi parce qu'il y a eu ce que certains appellent une substitution ethnique, où les nouveaux immigrants travaillent dans les champs et les plus anciens travaillent dans les services. C‟est là où les réseaux sont importants parce que le nouveau migrant qui arrive aux États-Unis, il sait déjà qu'il y a un cousin ou un ami qui travaille dans un car wash ou dans la cuisine ou qui est serveur.

61 2). Contrairement aux deux autres types de migration, il s‟agit d‟une stratégie migratoire qui est fortement règlementée par un accord intergouvernemental entre le Mexique et le Canada conclu en 1974, soit le PTAS. Cet accord entre les gouvernements mexicain et canadien fait partie d‟un ensemble plus large d‟ententes bilatérales originalement conçues pour inclure les pays caribéens du Commonwealth tels que la Jamaïque (1966), la Barbade (1967) de même que l‟Organisation des États de la Caraïbe orientale (1976-1982) (Satzewich, 1991). Bien que la production maraîchère soit le principal secteur d‟emploi des migrants mexicains qui y prennent part, d‟autres activités agricoles font aussi partie du PTAS telle que l‟industrie du tabac, des fruits de même que celle des serres de production florale (Preibish, 2007 : 424). La grande majorité des travailleurs agricoles migrants mexicains demeurent au Canada pour une durée variant de six semaines à huit mois (Roberge, 2008).

Au Mexique, les travailleurs agricoles migrants sont sélectionnés par le Ministère du Travail et du Bien-Être Social (Secretaría del Trabajo y Previsión Social). Typiquement, la plupart des travailleurs sélectionnés proviennent de milieux ruraux. La majorité d‟entre eux ont atteint un niveau d‟éducation peu élevé et ont peu de possibilités de trouver un emploi stable et bien rémunéré. Comme le gouvernement mexicain vise officiellement les individus qui sont en besoin économique important, la majorité de ceux qui sont sélectionnés n‟ont pas de terre du tout ou possèdent une petite parcelle de subsistance. Toutefois, presque tous ont de l‟expérience dans le secteur agricole. Finalement, afin de s‟assurer que les travailleurs sélectionnés s‟engagent sérieusement dans le programme et de façon à maximiser les chances qu‟ils reviennent au Canada année après année, la grande majorité des travailleurs agricoles mexicains recrutés sont âgés entre 22 et 45 ans et ont une femme et des enfants (Basok, 2002 : 91; Basok, 2003 : 8).

Les critères utilisés par le Ministère mexicain du Travail et du Bien-Être Social pour sélectionner les travailleurs les incitent fortement à revenir pendant plusieurs années au Canada et donc à s‟engager dans un cycle plus ou moins long de migration transnationale circulaire. À cet égard, Basok (2002) souligne que les travailleurs agricoles migrants mexicains s‟engagent dans des dépenses ou des projets (tels que les études de leurs enfants,

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l‟amélioration de leur logement, etc.) qui les obligent à renouveler leur séjour année après année. Elle mentionne aussi qu‟en général, plus les conditions de vie de la famille des travailleurs s‟améliorent, plus les attentes familiales augmentent aussi. Or, sans un engagement prolongé au sein du PTAS, il serait impossible de répondre à ces attentes.

Participants in the Canadian program become locked into a cycle of transmigration that Reichert (1981) coined the "migrant syndrome" […] Even after having worked in Canada for many years, most program participants could not invest their money in activities that would allow them to retire from the Canadian program. Most considered these investments as supplementary, and they felt they had to continue working in Canada to meet their family needs. […] Neither land nor livestock nor small businesses purchased with money earned in Canada gave their owners enough confidence to give up their trips to Canada (Basok, 2002: 135-136).

Au Yucatán, c‟est en 2002 que le Ministère du Travail et du Bien-Être Social a commencé à recruter les premiers travailleurs dans le cadre du PTAS alors que 37 personnes ont été sélectionnées. Ce nombre a ensuite augmenté pour atteindre 264 personnes en 2010, lesquelles étaient presque exclusivement des hommes (Labrecque, 2012). Comme dans le cas de plusieurs autres programmes de migration temporaire, les responsables canadiens et mexicains du PTAS cherchent essentiellement à recruter des travailleurs vulnérables, c‟est- à-dire ceux qui sont pauvres, peu éduqués, ruraux et si possible, autochtones, afin de fournir une main-d'œuvre docile et captive pour les producteurs agricoles canadiens (Basok, 2002, 2003; Preibish, 2004, 2007; Roberge, 2008; Labrecque, 2012). Selon ces critères, le Yucatán représente assurément un réservoir important de main-d'œuvre à bon marché pour les années à venir. Or, parmi l‟ensemble des zones de concentration des travailleurs agricoles migrants originaires du Yucatán, le village de Dzidzantún constitue le lieu d‟origine d‟un nombre non négligeable de ces travailleurs.

Conclusion

L‟objectif de ce chapitre était de présenter et de décrire le lieu où nous avons réalisé notre étude de terrain, soit le village de Dzidzantún situé dans la région ex-henequenera au nord- ouest du Yucatán. Nous avons choisi ce village parce qu‟il fait partie d‟un des États mexicains les plus récemment intégrés au Programme canadien de Travailleurs Agricoles

63 Saisonniers et parce qu‟un nombre relativement élevé de travailleurs agricoles migrants y résident. Dans ce chapitre, nous avons d‟abord décrit comment l‟histoire de l‟industrialisation agroalimentaire au Yucatán avait d‟abord été marquée par une chute de la culture du henequen et ensuite caractérisée par d‟importantes réformes néolibérales imposées par le Fonds Monétaire International, ce qui a poussé une grande proportion de travailleurs agricoles yucatèques à devoir diversifier leurs sources de revenus. Nous avons ensuite fait état des changements socioculturels qui sont survenus à Dzidzantún dans les dernières décennies afin de donner une idée au lecteur de la trame de fond générale sur laquelle les travailleurs journaliers du village interagissent. Nous avons exposé aussi comment la diminution des principales activités économiques qui leur sont accessibles les contraint à une certaine forme de précarité. Cette précarité est d‟autant plus ressentie qu‟elle est accompagnée d‟une hausse importante des valeurs de consommation dans le village, ce qui mène plusieurs d‟entre eux à rechercher des stratégies économiques alternatives pour améliorer leur statut socioéconomique parmi lesquelles se retrouvent la migration interne, la migration transnationale vers les États-Unis et plus récemment, la migration transnationale contractuelle au Canada. Dans le prochain chapitre, nous analysons comment les travailleurs journaliers de Dzidzantún qui choisissent de migrer vers le Canada dans le cadre du Programme canadien de Travailleurs Agricoles Saisonniers réussissent à mobiliser les ressources nécessaires à la réussite de leur stratégie migratoire.

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3. LA MIGRATION TRANSNATIONALE CONTRACTUELLE : MOBILISATION