• Aucun résultat trouvé

Migration transnationale contractuelle et formes de capitaux : le cas des travailleurs journaliers de Dzidzantún, Yucatán, Mexique

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Migration transnationale contractuelle et formes de capitaux : le cas des travailleurs journaliers de Dzidzantún, Yucatán, Mexique"

Copied!
154
0
0

Texte intégral

(1)

Migration transnationale contractuelle

et formes de capitaux

Le cas des travailleurs journaliers

de Dzidzantún, Yucatán, Mexique

Mémoire

Marc-Antoine Barré

Maîtrise en anthropologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Marc-Antoine Barré, 2014

(2)
(3)

iii

Résumé

La migration transnationale contractuelle dans le cadre du Programme canadien de Travailleurs Agricoles Saisonniers (PTAS) a fait l‟objet de plusieurs études au cours des quinze dernières années. Parmi celles-ci, certains chercheurs ont dévoilé les pratiques abusives de producteurs agricoles canadiens à l‟égard de bon nombre de travailleurs agricoles migrants. Dans un tel contexte, au-delà de leurs seules nécessités économiques, quel est le sens que donnent ces travailleurs à leur expérience migratoire? Dans le présent mémoire, à partir d‟un cadre d‟analyse qui s‟inspire de la conception bourdieusienne des formes de capitaux, nous explorons d‟abord l‟ensemble des ressources que ces travailleurs mobilisent afin de réussir leur projet migratoire. Dans un deuxième temps, nous jetons un regard sur les ressources qu‟ils recherchent dans leur processus de migration. Notre analyse suggère que leurs désirs de distinction et de reconnaissance sociale sont à la base du sens qu‟ils donnent à leur expérience migratoire. Nos données proviennent essentiellement de trente entretiens, dont vingt réalisés auprès d‟un groupe de travailleurs agricoles migrants originaires de Dzidzantún, un village situé au nord-ouest de l‟État du Yucatán au Mexique de même que dix autres provenant d‟acteurs-clés et de chercheurs mexicains spécialistes de la migration transnationale.

(4)
(5)

v

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... III TABLE DES MATIÈRES ... V DÉDICACE ... VII REMERCIEMENTS ... IX

INTRODUCTION ... 1

1. LE CADRE CONCEPTUEL ET MÉTHODOLOGIQUE ... 5

1.1LES FORMES DE CAPITAUX DES AGENTS SOCIAUX ... 5

1.1.1 Le capital économique : les ressources financières et matérielles ... 6

1.1.2 Le capital social : la mobilisation des liens sociaux et leurs ressources ... 9

1.1.3 Le capital culturel : les connaissances, les valeurs et les comportements ... 12

1.1.4 Le capital symbolique : le statut social et le prestige ... 15

1.1.5 La convertibilité des formes de capitaux dans les espaces transnationaux ... 17

SYNTHÈSE THÉORIQUE ... 19

1.2LES ORIENTATIONS MÉTHODOLOGIQUES ... 20

1.2.1 Les questions de recherche... 20

1.2.2 La stratégie de recherche ... 20

1.2.2.1 Les entretiens semi-dirigés ... 22

1.2.2.2 L’observation directe ... 24

1.2.2.3 La collecte documentaire... 24

1.2.3 La stratégie d’échantillonnage ... 25

1.2.4 La méthode d’analyse des données ... 26

1.2.5 Les biais ... 27

1.2.6 Les aspects éthiques de la recherche... 30

CONCLUSION ... 31

2. LE CONTEXTE ÉCONOMIQUE DES TRAVAILLEURS JOURNALIERS DE DZIDZANTUN ... 33

2.1LA SITUATION GÉOGRAPHIQUE ET ÉCONOMIQUE DU YUCATÁN ... 33

2.2QUELQUES ÉLÉMENTS DE L‟HISTOIRE DU SECTEUR AGRICOLE AU YUCATÁN ... 34

2.3LES CHANGEMENTS SOCIOCULTURELS À DZIDZANTÚN (YUCATÁN) ... 38

2.4LA SITUATION ÉCONOMIQUE DES TRAVAILLEURS JOURNALIERS DE DZIDZANTÚN ... 42

2.4.1 L’agriculture ... 43

2.4.2 La pêche commerciale ... 48

2.4.3 La construction et le transport local ... 50

2.4.4Les nouvelles valeurs de consommation ... 52

2.5LA MIGRATION COMME STRATÉGIE ÉCONOMIQUE PRIVILÉGIÉE ... 55

2.5.1 La migration interne... 55

2.5.2 La migration transnationale vers les États-Unis ... 58

2.5.3 La migration transnationale contractuelle vers le Canada : le Programme des Travailleurs Agricoles Saisonniers (PTAS) ... 60

CONCLUSION ... 62

3. LA MIGRATION TRANSNATIONALE CONTRACTUELLE : MOBILISATION DES RESSOURCES NÉCESSAIRES À LA RÉUSSITE DU PROJET MIGRATOIRE ... 65

3.1POUVOIR COMPTER SUR UN APPUI FINANCIER ... 65

3.2ÊTRE ACCOMPAGNÉ LORS DES DÉPLACEMENTS ... 68

3.3SE REPOSER SUR LA FAMILLE POUR LA GESTION DU PATRIMOINE FAMILIAL ET DU QUOTIDIEN DES ENFANTS ... 70

(6)

vi

3.5POUVOIR COMPARER LES POSSIBILITÉS MIGRATOIRES ... 75

3.6POUVOIR OBTENIR DES INFORMATIONS ET DES CONSEILS PAR RAPPORT AU PTAS ... 80

3.7LA CONNAISSANCE DE L‟ANGLAIS OU DU FRANÇAIS ... 84

3.8LES CONNAISSANCES AGRICOLES ... 87

CONCLUSION ... 90

4. L’ACQUISITION DE RESSOURCES DANS LE CADRE DE LA MIGRATION TRANSNATIONALE CONTRACTUELLE ... 95

4.1LES RESSOURCES À ACQUÉRIRET LE DÉSIR DE RECONNAISSANCE SOCIALE ... 95

4.1.1 Rembourser des dettes ... 96

4.1.2 Investir dans les études des enfants ... 98

4.1.3 Améliorer ses conditions de logement ... 101

4.1.4 Investir dans une terre ou dans une entreprise ... 104

4.1.5 Acheter des produits de luxe et être responsable de l’organisation de fêtes communautaires.. 107

4.2L‟ACQUISITION D‟UN STATUT SOCIAL PLUS ÉLEVÉ AU SEIN DU VILLAGE ... 110

CONCLUSION ... 114

CONCLUSION GÉNÉRALE ... 119

BIBLIOGRAPHIE ... 125

ANNEXE 1 : LOCALISATION DE DZIDZANTÚN, YUCATÁN (MEXIQUE) ... 133

ANNEXE 2 : PHOTOS DE DZIDZANTÚN ... 134

ANNEXE 3 : GUIDE D’ENTRETIEN ... 136

ANNEXE 4 : FICHE IDENTITAIRE ... 138

ANNEXE 5 : GRILLE D’OBSERVATION ... 139

ANNEXE 6 : FEUILLET D’INFORMATION ... 140

ANNEXE 7 : FORMULAIRE DE CONSENTEMENT ORAL ... 142

ANNEXE 8 : LISTE DES INFORMATEURS – ENTRETIENS INFORMELS ... 143

(7)

vii

Dédicace

À mon père, Georges.

Si certains affirment que « l‟anthropologie n‟est pas seulement une discipline, mais une manière d‟être au monde »1, c‟est certainement toi qui me l‟as inculqué à un tout jeune âge. À coup de documentaires et de livres qui me paraissaient tous plus obscurs les uns que les autres, tu as tout fait en ton pouvoir pour me transmettre tes valeurs et ton intérêt pour la différence, pour « l‟Autre ». Tes efforts n‟ont pas été vains. Nos conversations et nos rires continuent de m‟inspirer et de me guider.

(8)
(9)

ix

Remerciements

La rédaction d‟un mémoire de maîtrise est un exercice qui peut paraître périlleux et astreignant pour ceux qui sont extérieurs au processus ou qui sont en voie de s‟y lancer. Mon expérience personnelle me laisse plutôt croire que, bien qu‟ils soient effectivement nombreux, les blocages et les phases de doute sont la plupart du temps suivis de moments d‟illumination et de libération. Tout au long du processus, on prend un chemin et on s‟enfonce dans ses circonvolutions pour en ressortir quelquefois meurtri, mais tellement satisfait d‟avoir trouvé le courage d‟en surmonter les obstacles… et à différents endroits sur la route, il y a l‟amitié, il y a l‟amour et il y a la famille…

Merci à ma mère Diane, ma sœur Marilène, mon beau-frère David, ma filleule Charlotte, mon neveu Thomas et ma nièce Anna. Vous êtes mes repères, mes amarres. Merci à ma copine, Carolyne, pour les conversations enflammées sur la différence, la conscience, l‟indignation et surtout, pour l‟art et pour l‟espoir qu‟on puisse contribuer à construire un sens qui nous transcende. Merci à Valérie pour avoir si courageusement vaincu la mort et pour continuer d‟être la source d‟inspiration intarissable que tu es. Merci aux amis davantage présents dans ma vie au cours des trois dernières années, Marie-Claire, Philippe, Martin, Anirban, Édouard-Julien, Galo, Paul, Richard, Patrick, Gabriel, Jacky, Mélissa. Pour ce qui est des autres que je n‟ai pas nommés, je ne vous oublie pas, mais la vie étant ce qu‟elle est, il arrive parfois que nos routes divergent pour un temps. J‟espère que nos chemins re-convergeront un jour.

Je tiens également à remercier Martin Hébert, mon directeur, et Marie-France Labrecque, ma co-directrice, pour m‟avoir aidé à aiguiser mon esprit critique et pour m‟avoir incité à améliorer la justesse et la cohérence de mes idées. Je dois aussi souligner que, lors de mon terrain, j‟ai eu la chance de profiter d‟un important soutien financier et de judicieux conseils de la part de ma co-directrice. Les quelques rencontres que nous avons eues et les commentaires détaillés qu‟elle m‟a fournis à la suite de chaque entrevue ont contribué substantiellement à mes analyses préliminaires. Enfin, merci aussi à Annabelle Gagné et à Marie-Hélène Beaudry pour nos conversations éclairantes.

Au Mexique, mes plus chaleureux remerciements vont à ceux qui m‟ont accueilli et m‟ont fait une place dans leur vie l‟espace de quelques mois. Muchísimas gracias a Martin Zetina Gijón y a su familia por el apoyo que ustedes me dieron y, más que todo, por la amistad que compartimos durante el tiempo que estuve en su pueblo. Merci aussi à tous les travailleurs agricoles migrants qui ont accepté de partager avec moi leurs expériences et à tous ceux qui ont accepté de répondre franchement et ouvertement à mes questions, mes doutes, mes incompréhensions.

(10)
(11)

1

INTRODUCTION

Dans le contexte néolibéral actuel, les populations des zones rurales et semi-rurales sont sujettes à une importante pression économique, et ce, sur l‟ensemble de la planète. Les paysanneries mexicaines n‟échappent pas à cette réalité. Devant la diminution de leurs opportunités de travail, un nombre élevé de travailleurs agricoles mexicains doit faire face à une situation économique difficile, laquelle mène plusieurs d‟entre eux à choisir la migration comme stratégie pour répondre à leurs besoins et à ceux de leur famille. Dans le cadre du présent mémoire, nous nous sommes intéressés à un groupe de vingt travailleurs agricoles migrants originaires de Dzidzantún2, un village situé au nord-ouest de l‟État du Yucatán au Mexique. Au moment où nous avons réalisé notre terrain, l‟ensemble de ces travailleurs était ou avait été impliqué dans un processus de migration transnationale contractuelle dans le cadre du Programme canadien de Travailleurs Agricoles Saisonniers (PTAS)3.

Notre intérêt de recherche pour la migration transnationale date de plusieurs années déjà. En fait, nous avons commencé à nous y intéresser dans le cadre de deux contrats de recherche et d‟intervention effectués lors des étés 2010 et 20114 sur l‟Île d‟Orléans5. Dans la foulée des études de Satzewich (1991), Basok (1999, 2002), Preibisch (2004, 2007), Binford (2006), Valarezo (2007) et Roberge (2008), nous cherchions alors à mieux comprendre les conditions de vie et de travail dans lesquelles se retrouvent les travailleurs

2 Ce village nous a été suggéré par notre co-directrice, Marie-France Labrecque, qui y avait réalisé quelques

entretiens à l‟été 2011 et avait pu y identifier plus d‟une trentaine de travailleurs agricoles migrants ayant déjà participé au Programme canadien de Travailleurs Agricoles Saisonniers (PTAS).

3 Le PTAS est un programme intergouvernemental créé en 1966 par le gouvernement canadien afin de

permettre aux producteurs agricoles canadiens d‟avoir recours à des travailleurs étrangers pour mieux répondre à leurs besoins en main-d'œuvre. C‟est en 1974 que le Mexique s‟est incorporé au PTAS. Ce programme est présenté plus en détails dans le deuxième chapitre de ce mémoire.

4 Le premier contrat a été réalisé à l‟été 2010 en partenariat avec le Centre Multiethnique de Québec, un

organisme communautaire d‟aide à l‟intégration des réfugiés et des immigrants. Notre objectif était alors de créer des ponts entre les travailleurs agricoles migrants et les habitants de l‟Île d‟Orléans par l‟entremise de différentes activités d‟intégration (enseignement du français, participation à des activités culturelles et communautaires, etc.). Le deuxième contrat réalisé à l‟été 2011 s‟inscrivait dans une recherche exploratoire réalisée par Danièle Bélanger, professeure de sociologie à l‟Université Western. Celle-ci s‟intéressait aux conditions de vie et de travail des travailleurs agricoles migrants de l‟Île d‟Orléans.

5 L‟Île d‟Orléans est une municipalité régionale de comté (MRC) de la province de Québec. Il s‟agit d‟une

petite île située près de la ville de Québec. Le territoire de l‟Île d‟Orléans est essentiellement agricole et compte plusieurs fermes qui ont recours à des travailleurs agricoles du Mexique et du Guatemala, via le PTAS.

(12)

2

agricoles migrants mexicains lorsqu‟ils sont au Canada tout en tentant de les aider à mieux s‟intégrer à la société québécoise. Les résultats que nous avions alors pu dégager de ces recherches préliminaires se rapprochaient à plusieurs égards des conclusions des études mentionnées antérieurement.

Tout au long de ces deux périodes estivales passées aux côtés des travailleurs, plusieurs autres questions de recherche nous sont venues à l‟esprit. Parmi celles-ci, nous nous demandions : considérant les multiples difficultés vécues par les travailleurs agricoles migrants lorsqu‟ils sont au Canada, quel sens donnent-ils à leur expérience migratoire? Il s‟agit de la principale question de recherche à la base du présent mémoire. Afin de mieux pouvoir y répondre, notre cadre conceptuel nous a permis de diviser cette question principale en deux sous-questions : 1) Dans quelle mesure les ressources mobilisées par les travailleurs agricoles mexicains dans le cadre de leur processus de migration transnationale façonnent-elles leur expérience? 2) Quelles sont les ressources recherchées par ces travailleurs par l‟entremise de la migration transnationale contractuelle?6

Bien que la migration transnationale à partir du point d‟origine ait été maintes fois explorée dans le passé (Cohen 2001; Conway et Cohen, 1998; Durand et coll., 1996a; Durand et coll., 1996b; Malkin, 2004; Massey et coll., 1993; Massey et coll., 2006; Moran-Taylor, 2004), peu d‟études ont été réalisées à propos de la migration transnationale contractuelle à partir du Yucatán, un État mexicain nouvellement intégré au PTAS7. C‟est pourquoi nous avons décidé d‟en faire le lieu de notre terrain de maîtrise.

Ce mémoire est divisé en quatre chapitres. Le premier chapitre trace les contours du cadre conceptuel et méthodologique. Nous y présentons les principaux concepts qui ont servi à orienter notre collecte et notre analyse des données. Ainsi, nous montrons comment les

6 Il est à noter que, dans notre projet de mémoire, notre question de recherche était plutôt axée sur la relation

entre la configuration des réseaux sociaux des travailleurs et leur engagement dans le processus de migration transnationale. Toutefois, à la suite des analyses préliminaires de notre corpus de données, cette question de recherche a été modifiée de façon à mettre davantage notre cadre conceptuel à contribution. Cette modification est justifiable dans la mesure où comme le mentionne Deslauriers, « en recherche qualitative, la question de recherche évolue en même temps que le projet et s‟éclaire souvent à la fin » (Deslauriers, 1991 : 113).

7 À la différence des travailleurs mexicains originaires d‟États situés plus près de la ville de Mexico, les

(13)

3 concepts de capital économique, social, culturel et symbolique de même que la notion de convertibilité des capitaux liée à la théorie de la pratique de Pierre Bourdieu ont aidé plusieurs chercheurs à porter un éclairage analytique sur les dynamiques sociales propres au processus de migration transnationale et ce, dans différents contextes. Dans la deuxième partie du chapitre, nous abordons les orientations méthodologiques que nous avons choisies pour en arriver aux résultats de cette recherche. Nous y présentons donc successivement nos questions de recherche, la stratégie de recherche privilégiée, le lieu et la durée du séjour sur le terrain, les techniques de collecte de données, la stratégie d‟échantillonnage, la méthode d‟analyse des données, les biais de même que les aspects éthiques de la recherche. Le deuxième chapitre porte sur le contexte économique dans lequel évoluent les travailleurs journaliers de Dzidzantún. Nous dressons d‟abord un portrait de la situation géographique et socioéconomique du Yucatán. Ensuite, avant de traiter plus spécifiquement du village où vivent les travailleurs et des changements socioculturels qui s‟y sont produits, nous retraçons une partie de l‟histoire de l‟industrialisation agroalimentaire au Yucatán. Enfin, nous terminons ce chapitre en présentant les différentes possibilités économiques qui s‟offrent aux travailleurs journaliers de Dzidzantún et les stratégies migratoires qu‟ils privilégient.

Dans le troisième chapitre, nous présentons nos résultats en lien avec notre première sous-question de recherche. Nous y traitons des principales ressources que les travailleurs mobilisent et qui contribuent au succès de leur processus de migration transnationale contractuelle. Dans le quatrième et dernier chapitre, nous répondons à notre deuxième sous-question de recherche. Il y est sous-question des principales ressources que les travailleurs cherchent à acquérir par l‟entremise de la migration transnationale contractuelle. Nous y démontrons aussi comment le désir de reconnaissance sociale et de distinction joue un rôle important dans leur expérience migratoire. Finalement, en conclusion de ce mémoire, nous faisons un retour critique sur le cadre d‟analyse que nous avons utilisé pour aborder la question de la migration transnationale contractuelle.

(14)
(15)

5

The conversion of a migrant experience into symbolic capital and moral personhood is one way to create meaning out of a practice that is increasingly conflictive and difficult (Malkin, 2004 : 83).

1. LE CADRE CONCEPTUEL ET MÉTHODOLOGIQUE

Parmi l‟ensemble des théoriciens qui ont contribué de manière substantielle au champ de l‟anthropologie économique, Pierre Bourdieu se démarque par l‟amplitude et la profondeur de sa réflexion (Addi, 2002; Boyer, 2003). Un des objectifs fondamentaux de son œuvre a été celui de « découvrir les ficelles qui font mouvoir les individus qu‟il observe […] de restituer à ces hommes le sens de leurs actes » (Bourdieu, 2002 : 128). Afin d‟apporter un éclairage théorique sur le sens de l‟action, Bourdieu a entre autres élaboré une théorie de la pratique (Champagne et Christin, 2004 : 11). Bien qu‟elle ne constitue qu‟une partie de cette théorie, la conception bourdieusienne des formes de capitaux a permis à plusieurs chercheurs en sciences sociales de mieux comprendre les actions des individus en fonction de leur position sociale, et ce, dans plusieurs domaines de recherche, dont celui de la migration transnationale (Kelly et Lusis, 2006; Oliver et O‟Reilly, 2010; Nowicka, 2013). La première partie de ce chapitre est consacrée à présenter comment les concepts de capital économique, social, culturel et symbolique ont été utilisés par différents chercheurs pour mieux comprendre le phénomène de la migration transnationale. Dans la seconde partie, nous définirons les questions de recherche qui découlent de notre cadre conceptuel avant d‟aborder les aspects méthodologiques qui ont orienté la cueillette et l‟analyse des données.

1.1 Les formes de capitaux des agents sociaux

Selon Bourdieu, les pratiques des agents sociaux sont conditionnées en grande partie par la structure et le volume de capital global qu‟ils possèdent (Bourdieu, 1979a : 112). Dans cette section, nous allons traiter des quatre principales formes de capitaux qui contraignent et orientent les pratiques des agents sociaux dans un contexte transnational. L‟objectif de cette section est de démontrer la valeur heuristique de ces concepts pour éclairer le phénomène de la migration transnationale. Bien que nous nous soyons inspiré de la définition que Bourdieu donne des différentes formes de capitaux, nous avons choisi d‟adapter le contenu de celles-ci au contexte particulier de la migration transnationale. Toutefois, il est important de souligner que, dans la littérature existante, ces concepts ont

(16)

6

surtout été mis à contribution afin de jeter un éclairage sur la migration transnationale permanente. Un des intérêts de ce mémoire de maîtrise est donc d‟évaluer comment ces formes de capitaux peuvent aussi contribuer à éclairer plus spécifiquement la migration transnationale contractuelle et ainsi contribuer à combler certains manques dans la littérature actuelle.

1.1.1 Le capital économique : les ressources financières et matérielles

Le besoin d‟acquérir des ressources financières et matérielles en soi et pour soi constitue un facteur explicatif important de la migration transnationale dans la théorie microéconomique néoclassique. Selon cette théorie, les migrations transnationales seraient liées au bilan coûts/bénéfices (différence espérée de salaires, différences de taux d‟emploi, coûts liés à l‟installation, etc.) que font les individus par rapport à leurs possibilités migratoires. Un migrant serait donc essentiellement un homo oeconomicus qui cherche à maximiser ses revenus et limiter ses dépenses en fonction de sa connaissance poussée de l‟ensemble des facteurs qui déterminent les fluctuations du marché du travail (Massey et coll., 1998). Les individus décideraient essentiellement de migrer afin d‟investir dans leur capital humain. Ainsi, les différences de salaire et de taux d‟emploi entre les pays riches et les pays pauvres de même que la nécessité d‟acquérir des biens matériels (construction d‟une maison, biens de consommation) et non matériels (éducation pour les enfants, achat d‟une terre) seraient les principaux incitatifs des migrations transnationales (Ambrosetti et Tattolo, 2008 : 6). En réponse aux diverses critiques qui ont été faites à l‟égard des approches néoclassiques de la migration transnationale, la new economics theory concentre son analyse sur les ménages plutôt que sur les individus et postule que la migration transnationale ne résulte pas seulement de changements dans les conditions du marché du travail, mais aussi d‟un ensemble de défaillances propres au libre marché. Ainsi, ce serait entre autres la faible accessibilité du crédit et l‟absence de régimes d‟assurances dans les pays « en voie de développement » qui menaceraient le bien-être matériel des ménages. En réponse aux difficultés économiques face auxquelles ils se retrouvent, les ménages développeraient des stratégies afin de minimiser les risques encourus et afin de maximiser les gains potentiels liés à la migration. L‟objectif des ménages serait donc de diversifier l‟allocation de leurs

(17)

7 ressources disponibles. Cette théorie postule aussi que les ménages décident souvent d‟envoyer un ou plusieurs de leurs membres travailler à l‟extérieur du pays sur la base d‟un sentiment de privation relative8 qu‟ils ressentent par rapport aux autres ménages avec lesquels ils se comparent. Ainsi, le statut socioéconomique qu‟un ménage estime avoir atteint par rapport aux autres ménages aurait un impact important sur la décision de migrer ou non. Par conséquent, selon cette théorie, plus le statut socioéconomique des migrants se démarque de leurs compatriotes, plus la migration a un effet domino sur le désir des autres ménages d‟envoyer un ou plusieurs de leurs membres travailler à l‟étranger (Massey et coll., 1998).

Parmi les chercheurs qui se sont inspirés de la new economics theory, Durand et coll. (1996b) ont démontré que le capital économique accumulé par les migrants mexicains et leurs transferts d‟argent vers le Mexique ne sont pas entièrement dépensés en biens de consommation, mais sont aussi investis de façon productive dans plusieurs domaines tels que la mise sur pied d‟une entreprise ou l‟achat d‟une parcelle de terre. La deuxième conclusion majeure de leur étude est que les transferts d‟argent mènent au développement économique de façon indirecte parce que même s‟ils sont majoritairement liés à la consommation plutôt qu‟aux investissements, les dépenses effectuées par les migrants mènent à un effet multiplicateur sur le niveau de production et de consommation des communautés d‟où ils proviennent. Durand et coll. (1996b) affirment aussi qu‟une partie de l‟argent dépensé sert au financement des fêtes communautaires et à la redistribution directe de l‟argent gagné dans les réseaux sociaux des migrants. Ainsi, ce qui pourrait sembler n‟être que de la consommation individuelle peut, en fait, constituer un moyen de redistribuer l‟argent afin de contribuer à la cohésion sociale de leur village d‟origine.

The conspicuous consumption that occurs during Mexican fiestas also represents a traditional and widely-sanctioned mechanism for the redistribution of wealth and income. In the fiesta, those who have money are expected to spend for the benefit of those who do not. Returning U.S. migrants with substantial savings feel obligated to spend a share of their funds for the general welfare, covering the lion‟s share of the costs of the music, fireworks, dances, parades, and religious celebrations - all of which are presented publicly and enjoyed by all, rich or poor (Durand et coll., 1996b: 428).

(18)

8

Dans une autre étude, Durand et coll. (1996a) s‟éloignent encore davantage d‟une explication néoclassique de la migration transnationale. Ils mettent l‟accent sur le fait que les migrants ne prennent pas nécessairement leurs décisions de manière individuelle. Selon eux, leurs stratégies migratoires découlent plutôt des besoins du réseau social dans lequel ils sont inscrits. Ces chercheurs soulignent aussi que le fait de migrer pendant plusieurs années n‟est pas nécessairement lié au désir d‟augmenter leur consommation, mais doit plutôt être compris comme un moyen de répondre aux périodes d‟intensification des besoins en matière de consommation de la part des autres membres du ménage et comme une manière de financer de nouvelles activités productives qui profitent à l‟ensemble de la famille (éducation des enfants, maison, entreprise, etc.). De cette façon, le capital économique généré grâce à leur engagement dans le processus de migration transnationale se trouve socialisé puisque les migrants doivent rembourser une dette collective qu‟ils ont contractée envers les membres de la maisonnée qui ont contribué à leur engagement dans ce processus.

En somme, les chercheurs qui se sont inspirés de la new economics theory pour analyser les phénomènes liés à la migration transnationale, ont constaté que, sous leurs apparences purement économiques, les stratégies migratoires se situent la plupart du temps au coeur de logiques sociales plus englobantes à l‟intérieur desquelles les migrants doivent prendre en considération les besoins des membres de leur réseau social, de même que les dettes et les obligations qu‟ils ont envers eux. Bien que les dépenses des migrants puissent être conçues comme une forme de consommation individuelle, certains chercheurs ont montré comment ces dépenses sont socialisées au sens où elles permettent à d‟autres ménages de profiter de ces dépenses dans le village d‟origine (Massey, 1990; Durand et coll., 1996a; Durand et coll., 1996b; Conway et Cohen, 1998). Les dépenses des migrants ne signifient donc pas seulement un plus grand confort matériel pour eux-mêmes et leur ménage, elles contribuent aussi à une plus grande prospérité de l‟ensemble de la communauté d‟origine. Ainsi, lorsqu‟il s‟agit de migration transnationale, le capital économique des migrants peut difficilement être dissocié de leur capital social.

(19)

9

1.1.2 Le capital social : la mobilisation des liens sociaux et leurs ressources

Comme plusieurs chercheurs l‟ont constaté, une grande proportion d‟individus s‟engagent dans la voie de la migration parce qu‟un membre de leur famille nucléaire ou élargie est déjà à l‟étranger et peut les aider à trouver un emploi (Boyd, 1989; Massey et coll., 1994; Jon et Lindquist, 1995; Chinchilla et Hamilton, 1999; Gold, 2005; Oehmichen, 2010). En ce sens, les migrants peuvent bénéficier des réseaux migratoires dans lesquels ils s‟inscrivent en transformant les liens entretenus dans leurs réseaux sociaux en capital social (Gold, 2005; Bretell, 2003 : 6) 9. Comme le mentionnent Massey et coll. (1998):

Network connections constitute a form of social capital that people can draw on to gain access to various kinds of financial capital: foreign employment, high wages, and the possibility of accumulating savings and sending remittances (Massey et coll., 1998: 43).

Guilmoto et Sandron (2000), quant à eux, affirment que le soutien que les migrants reçoivent de la part de leurs réseaux sociaux est indispensable pour la réussite de leur entreprise migratoire. Ils relèvent que les migrants ont normalement recours à leurs réseaux à toutes les étapes de leur processus de migration.

[…] identification des destinations et périodes propices, avance des frais de déplacement, accompagnement pendant le trajet, passage de frontières, hébergement et insertion professionnelle dans le lieu de destination, échanges matériels et immatériels dans le village d‟origine (Guilmoto et Sandron, 2000 : 120).

En d‟autres termes, pour pouvoir réussir leur projet migratoire, les migrants doivent mobiliser certaines ressources qu‟ils trouvent à l‟intérieur de leurs réseaux. Guilmoto et Sandron ajoutent que la propension des employeurs à recruter de la main-d'œuvre dans les réseaux des individus qu‟ils ont déjà embauchés est un phénomène répandu dans plusieurs « pays exportateurs de travailleurs non qualifiés ». Selon eux, des villages et des régions entières tendent ainsi à développer un quasi-monopole dans certains types d‟emplois. Les risques de la migration sont souvent beaucoup trop élevés pour que les migrants s‟y

9 Dans le cas des travailleurs agricoles migrants mexicains, les entretiens exploratoires que nous avons

réalisés à l‟été 2010 et à l‟été 2011 nous ont confirmé qu‟une partie importante des nouveaux travailleurs sont recommandés aux producteurs agricoles par leur frère, leur cousin ou un autre membre de leur famille. Il sera donc intéressant d‟analyser si cela est aussi le cas pour ce qui est des travailleurs agricoles migrants de Dzidzantún.

(20)

10

aventurent individuellement en se limitant à des connaissances générales et impersonnelles par rapport aux besoins en main-d‟œuvre dans le pays de destination.

[…] si nous appréhendons la migration comme une réponse au risque, c‟est-à-dire comme une composante de la stratégie de diversification des risques, il ne faut pas perdre de vue pour autant que la migration est elle-même une activité risquée. Les migrations individuelles (et souvent incontrôlées) sont en effet des entreprises hardies, et les sociétés d‟origine des migrants encadrent ces mouvements, allant jusqu‟à les interdire purement et simplement (Guilmoto et Sandron, 2000 : 114).

En ce sens, les logiques sociales d‟employabilité dans un contexte transnational se rapprochent de celles qui ont été dévoilées par Granovetter (1973) au niveau national, lequel a démontré comment les liens secondaires sont cruciaux en ce qui a trait aux chances d‟un individu de se trouver un emploi correspondant à ses qualifications.

Dans la même veine que Guilmoto et Sandron, plusieurs chercheurs ont souligné l‟importance des réseaux sociaux pour le recrutement des travailleurs agricoles migrants mexicains dans le cadre du Programme canadien de Travailleurs Agricoles Saisonniers. Selon Basok (2002), le capital social des travailleurs joue un rôle très important dans leur sélection. Elle mentionne qu‟on peut l‟observer, entre autres, par le nombre de travailleurs provenant de la même région. Par exemple, elle explique que la majorité des travailleurs agricoles migrants qu‟elle a interviewés proviennent de quelques municipalités de l‟État de Guanajuato.

The importance of social networks is demonstrated by the fact that in the state of Guanajuato, virtually all program participants come from seven municipalities. […] An example of the list of program participants acquired from the Ministry of Labour suggests that kinship may play a certain role in this migration (Basok, 2002: 100-101).

Basok (2002) affirme que la mise sous contrat des travailleurs agricoles migrants mexicains est presque entièrement basée sur la nature de leur capital social. Selon elle, le recrutement par l‟entremise des réseaux sociaux constitue un mécanisme idéal pour les producteurs agricoles canadiens parce qu‟il leur permet de sélectionner un nombre illimité de nouveaux travailleurs hautement motivés sans besoin d‟avoir recours à des mécanismes plus formels et fastidieux. Cela permet aussi aux employeurs d‟attirer des candidats qui sont déjà

(21)

11 présélectionnés par des travailleurs en lesquels ils ont déjà confiance. Une fois employés, ces travailleurs seraient hautement efficaces et dociles à cause des liens d‟obligations et de réciprocité au sein desquels ils s‟inscrivent (Basok, 2002 : 109-110). Roberge (2008) abonde dans le même sens que Basok lorsqu‟elle mentionne que « les réseaux sociaux sont vitaux dans la recherche de travail à l‟étranger. Ils sont au centre des microstructures qui soutiennent la migration » (Roberge, 2008 : 92). Dans le cas des travailleurs agricoles migrants mexicains, il semble que le recrutement par contacts soit le moyen privilégié par les recruteurs maraîchers québécois interviewés par Roberge (2008 : 81).

Dans une autre étude portant sur la migration de travailleurs mexicains vers les États-Unis, Massey et coll. (2006) concluent que le capital social est un facteur explicatif important pour la première migration, mais qu‟il l‟est moins pour les migrations subséquentes: « Comme nous nous y attendions, le capital social est moins important pour prédire les voyages subséquents que pour prédire le premier voyage aux États-Unis »10 (Massey et coll., 2006: 115). Ainsi, les représentations, les valeurs et l‟expérience de travail acquises par les migrants à la suite de leur première migration seraient plus importantes que le capital social pour comprendre le maintien de leur engagement dans le processus de migration circulaire transnationale (Massey et coll., 2006: 112). Ces auteurs soulignent donc qu‟il est nécessaire de nuancer l‟importance du capital social en fonction du nombre d‟expériences migratoires.

Aguilera et Massey (2003), pour leur part, suggèrent que les réseaux sociaux des migrants facilitent leur socialisation dans une « culture de la migration ». Les réseaux sociaux permettent l‟échange d‟informations par rapport aux attitudes et aux comportements les plus appropriés au travail, aux logements les plus abordables de même qu‟aux codes et aux symboles de la société d‟accueil. Ces réseaux sociaux fonctionnent aussi comme des systèmes de réciprocité qui permettent l‟échange de services et d‟informations entre amis et membres de la même parenté. Un individu rend service à un autre individu dans l‟expectative non révélée d‟un éventuel retour de service. Comme d‟autres recherches l‟ont démontré, ces services réciproques renforcent les liens de solidarité entre les membres d‟un

(22)

12

même réseau (Mauss, 1924; Barnes, 1954; Mitchell, 1974). Les réseaux de migrants sont souvent caractérisés par un système informel de valorisation à l‟égard des individus qui apportent leur aide, ou de punition envers ceux qui refusent d‟aider des amis ou des membres de la famille. Les individus faisant partie du réseau peuvent être récompensés, ostracisés ou punis lorsqu‟ils n‟adoptent pas des comportements favorisant la cohésion du groupe. En plus d‟un fort capital social, les migrants doivent donc aussi s‟assurer de posséder un minimum de connaissances, de valeurs et de comportements nécessaires à la réussite de leur entreprise migratoire. C‟est la plupart du temps par l‟entremise de contacts fréquents et prolongés avec les membres de leurs réseaux qui ont déjà migré qu‟ils les développent.

1.1.3 Le capital culturel : les connaissances, les valeurs et les comportements

Bourdieu (1979b) distingue trois formes de capital culturel : la forme objectivée (biens culturels : livres, œuvres d‟art, etc.), la forme institutionnalisée (titres scolaires) et la forme incorporée (dispositions permanentes et durables du corps et de l‟esprit). Pour pouvoir incorporer du capital culturel, un agent doit y consacrer du temps et de l‟effort (Bourdieu, 1979b : 4). Dans le cas des travailleurs agricoles migrants, les recherches effectuées sur le sujet montrent que c‟est principalement leur capital culturel incorporé qui est modifié par l‟entremise de la migration transnationale (Basok, 1999; Binford, 2006; Preibisch, 2004; Roberge, 2008). Les principaux changements observables chez ces migrants seraient donc plutôt sous une forme incorporée, tels que le fait d‟acquérir de nouvelles connaissances, valeurs et comportements.

La théorie de la causalité cumulative11 intègre particulièrement bien l‟importance de l‟acquisition de nouvelles valeurs, connaissances et comportements dans le processus de migration transnationale. À cet égard, Massey et coll. (1993) soulignent qu‟en plus du capital social possédé par les migrants, la distribution inégale du capital culturel (niveau d‟éducation, connaissances techniques, connaissance de l‟anglais, etc.) dont les migrants disposent constitue un facteur explicatif important de leur première migration. Lors des migrations subséquentes, bien qu‟ils cherchent principalement à atteindre des cibles en

(23)

13 matière de revenus (target earners), les migrants acquièrent particulièrement de nouvelles connaissances, de nouvelles compétences, de nouvelles valeurs de mobilité sociale et de consommation propres à la société d'accueil. Ces nouvelles valeurs changent leurs représentations des bénéfices de la migration et augmentent la probabilité qu‟ils maintiennent leur engagement dans le processus de migration transnationale. C'est pourquoi, selon cette théorie, plus un migrant a acquis de nouvelles valeurs, connaissances et comportements qui lui permettent d‟être à l‟aise dans un contexte transnational, plus il a de chances de poursuivre ses mouvements migratoires. La migration, qui était à l‟origine conçue comme un rite de passage, devient progressivement une façon de continuer à acquérir des ressources culturelles valorisées dans le pays de destination et, jusqu‟à un certain point, dans le pays d‟origine (Massey et coll., 1993 : 452-453).

Conway et Cohen (1998) soulignent aussi que le maintien de l'engagement dans le processus de migration transnationale peut être expliqué en partie par l'acquisition de ressources culturelles à la suite d'une première migration : « Returnees are not only endowed with new technical proficiencies, they will possess considerable local knowledge, education, and expertise » (Conway et Cohen, 1998 : 34). Ensuite, plus un migrant acquiert des connaissances par rapport à la société d‟accueil (ex. : endroits où aller se procurer des biens essentiels, façons de trouver un emploi, etc.), plus il aura des chances de poursuivre son engagement dans le processus migratoire. Cependant, à la différence de Massey et coll. (1993, 1998), Conway et Cohen (1998) ajoutent que l‟acquisition de nouvelles idées, comportements et attitudes doit être replacée dans le contexte social d‟origine des migrants. Selon eux, l‟acquisition de nouvelles ressources culturelles ne bénéficie pas seulement aux migrants eux-mêmes, mais aussi aux familles et aux autres membres de la communauté d‟origine d‟où ils proviennent. En outre, les connaissances acquises par les migrants ne sont pas toujours transférables d‟un contexte culturel à un autre de sorte que plusieurs d‟entre elles demeurent latentes, car non valorisées dans leur communauté d‟origine.

Moran-Taylor (2004, 2008), pour sa part, souligne que bien que les changements culturels qui résultent de la migration soient souvent intangibles, ceux-ci constituent tout de même une conséquence importante de la migration. Au cours de leur séjour dans le pays d‟accueil,

(24)

14

les migrants sont exposés à de nouvelles idées, à de nouvelles valeurs et à de nouvelles connaissances. Le fait d‟avoir acquis de nouvelles ressources culturelles dans le pays d‟accueil représente non seulement un facteur incitatif (« pull factor ») à poursuivre leur engagement dans le processus de migration transnationale, mais peut ainsi constituer un « push factor » au sens où, étant donné qu‟ils passent beaucoup de temps à l‟extérieur du pays d‟origine, les migrants se sentent de plus en plus aliénés par rapport à celui-ci, ce qui les pousse à poursuivre leurs mouvements migratoires (Moran-Taylor, 2008 : 115-116). Dans le même ordre d‟idées, Oliver et O‟Reilly (2010) ont constaté que, même si la migration permet aux individus qui s‟y engagent d‟acquérir des valeurs, des connaissances et des comportements qui les distinguent des non-migrants avec lesquels ils se comparent dans le lieu d‟origine, ce nouveau capital culturel incorporé n‟est pas toujours transférable et valorisé dans le contexte socioculturel d‟origine. Même s‟ils espèrent modifier leur trajectoire biographique et acquérir un statut plus élevé dans le pays de destination, les migrants transnationaux demeurent souvent limités par les goûts, les manières de penser, d‟être et de se comporter qu‟ils ont développés au cours de leur processus de socialisation primaire (Oliver et O‟Reilly, 2010 : 62). Par conséquent, même s‟ils acquièrent de nouvelles valeurs, connaissances et comportements par l‟entremise de la migration transnationale, leur position sociale tend fortement à se reproduire dans le pays de destination.

Ce type d‟analyse renvoie à la convertibilité du capital culturel en capital symbolique d‟un contexte socioculturel à un autre. À cet égard, Kelly et Lusis (2006) affirment que le capital culturel incorporé et acquis à l‟étranger est souvent dévalorisé dans le pays d‟origine.

[…] cultural capital acquired overseas is not assessed uncritically. Although, the emigrant enjoys the prestige of her/his place in the world, there is also a countermovement among observers in Tagbilaran who stand ready to devalue that prestige if there are perceived pretensions among returning migrants. In this way “foreign capital”, in the cultural sense, must undergo evaluation in relation to other dimensions of habitus in Tagbilaran – wherein distinction must be exhibited in a particular fashion (Kelly et Lusis, 2006: 844).

Toute forme de capital est donc susceptible d‟être évaluée positivement ou négativement par la communauté d‟origine d‟un migrant et c‟est donc le réseau dans lequel il s‟inscrit qui

(25)

15 détermine ultimement le prestige et le statut social conféré à celui qui en est détenteur (Kelly et Lusis, 2006 : 845).

1.1.4 Le capital symbolique : le statut social et le prestige

Le désir d‟améliorer son statut social et d‟acquérir un certain prestige dans la communauté d‟origine a été identifié comme un motif important de la migration transnationale dans la new economics theory, laquelle s‟appuie entre autres, comme nous l‟avons vu, sur le concept de privation relative (Ambrosetti et Tattolo, 2008). Le concept de privation relative réfère au fait que, dans les communautés d'origine où la migration transnationale est répandue, les familles se comparent entre elles12 et cherchent à améliorer leur statut social en fonction de celui des autres, ce qui expliquerait en partie le fait que les ménages prennent la décision d‟inciter un ou plusieurs de leurs membres à s‟engager dans le processus de migration transnationale (Massey et coll. 1993).

En effet, selon Cohen (2001), les membres d‟un ménage décident d‟inciter un ou plusieurs individus à aller travailler à l‟étranger pour y accumuler les ressources que la famille nécessite non seulement afin de répondre à ses besoins, mais aussi pour améliorer son statut social dans la communauté. Ainsi, les décisions des migrants sont intimement liées aux responsabilités qu‟ils ont par rapport à leur famille d‟origine et de procréation : « Migrants from households that pool and invest in the community know that their efforts will be rewarded in the maintenance of their family prestige and communal support » (Cohen, 2001: 962). Dans les ménages mexicains étudiés par Cohen, l‟amélioration du statut social et du prestige du ménage à la suite d‟une première migration renforce par la suite la nécessité perçue de maintenir l‟engagement des travailleurs dans le processus de migration transnationale afin de maintenir ce nouveau statut social.

Pour sa part, Malkin (2004) affirme que la migration transnationale constitue un moyen pour les agents sociaux de contester les relations de pouvoir présentes dans leur communauté d‟origine. Or, ils le font en mobilisant différentes formes de capitaux (économique, social et culturel) à l‟étranger en vue d‟accroître leur capital symbolique dans

12 Les familles se comparent aussi avec des ensembles sociaux plus larges comme celui des médias et des

(26)

16

le pays d‟origine. Par exemple, c‟est en s‟inscrivant dans des réseaux migratoires que les agents tentent de convertir leur capital social en statut et en prestige. En s‟associant à d‟autres migrants, ils peuvent constituer un réseau qui se distingue par la nature des informations qui y circulent, lesquelles ne sont pas accessibles aux autres réseaux locaux. Les transferts d‟argent vers la famille représentent, quant à eux, une des manières qu‟ont les migrants mexicains de générer un statut social plus élevé en convertissant leur capital économique en biens matériels susceptibles d‟être valorisés dans le contexte du village d‟origine. Il en va de même en ce qui a trait aux valeurs, aux comportements et aux connaissances acquises à l‟étranger.

[…] migration is not just about money; experience and knowledge are symbolic capital. This experience of modernity is denied to those who have not migrated, and the circulation of migration stories creates a club of migrants (Malkin, 2004: 78).

Migrants struggle to convert their experience into symbolic capital, and struggles over who is modern and to represent this becomes part of the process (Malkin, 2004 : 80).

La reconnaissance sociale potentiellement générée par l‟expérience migratoire n‟est toutefois pas facilement acquise. Elle est le fruit d‟une lutte de pouvoir entre les différents acteurs de la communauté d‟origine par rapport à la légitimité et la valeur accordée aux nouvelles formes de capitaux accumulés à l‟étranger. Par exemple, chez plusieurs migrants mexicains, il existe un discours de la souffrance liée à l‟acquisition de connaissances, de valeurs, de manières d‟être et de faire propres à la migration. Il s‟agit en quelque sorte d‟une façon d‟obtenir de la reconnaissance sociale puisque ces migrants construisent des récits qui sont susceptibles d‟être valorisés dans le contexte du village d‟origine. Toutefois, cette reconnaissance sociale est souvent contestée par certains acteurs locaux qui ont avantage à mettre l‟accent sur les représentations négatives de la migration transnationale, lesquelles sont véhiculées par l‟entremise de rumeurs par rapport à l‟adultère, la prostitution, les drogues, et les jeux de hasard dans lesquels les migrants seraient supposément impliqués. La quête de reconnaissance sociale des migrants est ainsi remise en question sur la base du niveau de moralité de leurs comportements dans la société d‟accueil (Malkin, 2004 : 79).

(27)

17 Gossip and insults indicate the struggles over status that are taking place in transnational circuits and point to the challenges they present to established power relations and hierarchies (Malkin, 2004 : 88).

Dans la même lignée, une étude d‟Oliver et O‟Reilly (2010) a exploré la façon dont des migrants britanniques retraités sont à la recherche de distinction et de reconnaissance sociale lorsqu‟ils choisissent de refaire leur vie en Espagne. Une des principales conclusions de cette recherche indique que malgré leurs efforts de progresser dans l‟échelle sociale et d‟acquérir davantage de respect de leurs nouveaux compatriotes, ces migrants n‟arrivent pas à convertir leurs nouvelles connaissances, leurs nouvelles façons d‟être et de se comporter en un meilleur statut social au sein de la communauté d‟accueil. Selon ces chercheurs, ce manque de reconnaissance résulte de la reproduction dans la société d‟accueil de la hiérarchie sociale propre à la société d‟origine. Ce faisant, ils soulignent l‟écart entre les désirs de distinction à la base des projets migratoires et les limites réelles de telles aspirations dans un contexte où le champ des possibles est toujours limité par les structures sociales et les dispositions durables incorporées par les agents (Oliver et O‟Reilly, 2010 : 62).

Enfin, Malkin (2004) souligne que, pour un homme migrant mexicain, le fait de permettre à sa famille d‟obtenir un statut social plus élevé au sein de la communauté d‟origine lui confirme souvent un rôle de pourvoyeur et de « patriarche ». Toutefois, les nouveaux comportements développés aux États-Unis ne sont pas toujours reconnus dans la société d‟origine puisqu‟ils ne correspondent pas aux normes locales de masculinité (ex. : faire les repas, nettoyer les planchers, faire la vaisselle, etc.).

The construction of masculinity and personhood is increasingly contested by the reality of the transnational life, and the engendering of subjects through these social practices is frequently contradictory (Malkin, 2004: 80).

Par conséquent, la recherche de statut et de prestige comporte plusieurs contradictions qui n‟accordent pas nécessairement un meilleur statut aux hommes migrants.

1.1.5 La convertibilité des formes de capitaux dans les espaces transnationaux

Comme nous l‟avons brièvement abordé dans la section portant sur le capital culturel et comme Bourdieu (1986) l‟a démontré, les différentes formes de capitaux sont convertibles

(28)

18

entre elles. Toutefois, plusieurs chercheurs lui ont reproché de n‟avoir abordé les logiques de conversion des formes de capitaux que dans des contextes nationaux et de ne pas avoir traité des logiques de conversion propres aux espaces transnationaux. Or, selon Nowicka (2013), l‟évaluation et la transformation des formes de capitaux varient en fonction du système de valeurs propre à un contexte socioculturel spécifique. Par conséquent, dans un contexte de migration, le volume et la structure globale de capitaux que possèdent les agents sociaux n‟ont pas la même valeur dans le pays d‟origine et dans le pays d‟accueil. C‟est pourquoi il est nécessaire de mieux comprendre non seulement la valeur donnée aux formes de capitaux dans différents contextes socioculturels, mais aussi la façon dont les migrants évaluent eux-mêmes la valeur de leurs capitaux dans deux contextes nationaux différents. Cette compréhension est primordiale afin de mieux saisir les logiques de conversion de capitaux d‟un espace national à un autre.

Bourdieu‟s theory of forms of capital is a useful tool to study social positioning […] By analysing how the different forms of capital transfer across national borders, Bourdieu‟s model can be adapted well to a transnational perspective on migration. […]. The potential of Bourdieu‟s theory for the transnational analysis lies therefore in a possibility for dense analysis of local articulations of particular forms of capital that emerge in the context of ruptures caused by migration and the processes of re-valorization of resources in social fields in different countries (Nowicka, 2013 : 43).

Nowicka (2013) souligne aussi que les stratégies de conversion des migrants dépendent de leur mode de positionnement social, dont elle distingue trois types: single space, overlapping et bi-local. Les migrants qui se situent dans le premier mode de positionnement accumulent des capitaux dans un seul pays et ne cherchent pas à les reconvertir ailleurs. Le mode de positionnement overlapping est associé à des reconversions de capitaux accumulés dans le pays d‟accueil vers le pays d‟origine et vice versa. Le mode de positionnement bi-local réfère au fait que certains migrants utilisent les capitaux accumulés dans un pays afin d‟améliorer leur position sociale dans un autre pays (Nowicka, 2013: 35)13. De plus, la valeur des capitaux accumulés par les migrants dépend

13 Bien qu‟elles puissent paraître rationnelles et mécaniques a posteriori, les stratégies de conversion des

agents sociaux sont en grande partie non intentionnelles, car elles découlent de leur habitus et de leur intériorisation des règles d‟un champ (Bourdieu, 1972, 1980b, 1987, 1994, 2003). Bien que nous présentions une analyse « objective » de quelques exemples de stratégies de conversion, nous sommes conscient qu‟elles

(29)

19 non seulement de leur mode de positionnement social, mais aussi du niveau d‟intensité de l‟engagement des migrants envers le pays d‟origine et/ou envers le pays d‟accueil.

Des trois modes de positionnement social conceptualisés par Nowicka, nous estimons que les travailleurs agricoles migrants mexicains s‟inscrivent dans un mode de positionnement bi-local. Par conséquent, ce mémoire vise entre autres à dévoiler de quelles façons les capitaux économiques, sociaux, culturels et symboliques qu‟ils mobilisent et accumulent sont convertis entre eux d‟un contexte socioculturel à l‟autre. Il s‟agit aussi de développer une posture critique par rapport aux courants dominants d‟études de la migration.

Synthèse théorique

L‟objectif de la première partie de ce chapitre était de présenter le cadre conceptuel avec lequel nous voulons aborder le phénomène de la migration transnationale contractuelle. Nous avons d‟abord montré comment, sans toujours les nommer de manière explicite, les concepts de capital social, économique, culturel et symbolique ont permis à plusieurs chercheurs de porter un éclairage théorique sur les processus de migration transnationale. Ces chercheurs ont souligné comment, au-delà des facteurs purement économiques de la migration, les processus à l‟œuvre sont aussi au cœur de dynamiques sociales qui, lorsqu‟on les prend en considération dans l‟analyse, complexifient et nuancent le regard qu‟on pose sur les phénomènes migratoires. À cet égard, il a entre autres été révélé comment les migrants ne se déplacent pas seulement pour répondre à leurs besoins individuels en termes de salaires et de consommation, mais aussi parce qu‟ils cherchent à répondre aux besoins de leur famille immédiate ou élargie tout en s‟inscrivant dans des réseaux basés sur des principes de solidarité et de réciprocité qui socialisent leurs parcours migratoires. Les réseaux sociaux auxquels ils appartiennent permettent à la fois l‟accès à un ensemble de ressources tout en restreignant l‟ampleur des comportements individualistes des agents qui y sont inscrits. Enfin, nous avons montré comment, selon la typologie de Nowicka (2013), les formes de capitaux peuvent être convertibles d‟un contexte national à un autre avant de conclure que les travailleurs agricoles migrants mexicains se situent dans un mode de positionnement bi-local.

sont le produit d‟une construction théorique du chercheur et non d‟une analyse de la lecture subjective que font les agents de ces stratégies à partir de la position sociale qu‟ils occupent.

(30)

20

1.2 Les orientations méthodologiques

Dans la deuxième partie de ce chapitre, après avoir rappelé la principale question de recherche à la base du présent mémoire, nous présentons les deux sous-questions qui découlent de notre cadre conceptuel. Ensuite, nous abordons les aspects méthodologiques qui nous ont permis de répondre à ces deux sous-questions, c‟est-à-dire la stratégie de recherche privilégiée, les techniques de collecte de données, la stratégie d‟échantillonnage, la méthode d‟analyse des données, les biais de même que les aspects éthiques de la recherche.

1.2.1 Les questions de recherche

Rappelons que la question principale de recherche qui guide et unifie l‟ensemble du présent mémoire est la suivante : Quel sens les travailleurs agricoles migrants donnent-ils à leur expérience migratoire? Or, les formes de capitaux présentées dans la première partie de ce chapitre peuvent être conçues à la fois comme des ressources mobilisables et comme des ressources recherchées par les travailleurs agricoles migrants mexicains. C‟est en ce sens que les concepts de capital économique, social, culturel et symbolique nous permettent de jeter un regard théorique sur la façon dont ces travailleurs mobilisent des ressources et en recherchent d‟autres afin de réussir leur projet migratoire tout en donnant un sens à leurs pratiques14. Nos deux sous-questions de recherche sont donc les suivantes : 1) Dans quelle mesure les ressources mobilisées par les travailleurs agricoles mexicains dans le cadre de leur processus de migration transnationale façonnent-elles leur expérience? 2) Quelles ressources les travailleurs agricoles mexicains recherchent-ils par l‟entremise de la migration transnationale contractuelle?

1.2.2 La stratégie de recherche

Pour répondre à ces questions de recherche, nous avons choisi de réaliser une étude d‟orientation qualitative, et ce, pour plusieurs raisons. En premier lieu, comme le

14 Il est à noter que, dans les premiers écrits de Bourdieu, le « sens pratique » des agents ne fait pas référence

à leur subjectivité, mais plutôt aux récurrences et aux logiques sous-jacentes qui guident leur action. Toutefois, dans ses écrits ultérieurs, Bourdieu a reconnu l‟importance des représentations que se font les agents de leur position sociale et donc, de l‟importance d‟analyser leur subjectivité. C‟est pourquoi il nous apparaît pertinent d‟utiliser l‟approche bourdieusienne des formes de capitaux pour analyser le sens qu‟ils donnent à leurs pratiques migratoires.

(31)

21 mentionnent Deslauriers et Kérisit (1997), la recherche qualitative répond mieux à certaines questions de recherche, dont celles qui visent à explorer et décrire un phénomène. De plus, une recherche de type qualitatif permet au chercheur de mieux comprendre les phénomènes transitoires et de mieux rendre compte du sens que les agents sociaux donnent à leur expérience. Bien qu‟une analyse statistique à partir d‟un large échantillon aurait pu être utile pour adopter une perspective macrosociologique par rapport à la migration transnationale, elle ne donnerait aucune information en lien avec les processus subjectifs qui nous intéressent dans le cadre de la présente étude. En outre, une enquête statistique ne permettrait pas d‟analyser la finesse des discours, de faire des observations détaillées et de comprendre en profondeur la subjectivité des individus. En revanche, les méthodes qualitatives permettent d‟aborder la vie d‟un groupe dans toutes ses dimensions et de comprendre comment chaque individu interprète une situation particulière et tire des apprentissages de ses expériences (Gauthier, 1997). Pour toutes ces raisons, nous pensons que les méthodes qualitatives sont les plus adéquates pour fournir des éléments de réponse aux questions de recherche qui nous intéressent dans le cadre du présent mémoire.

Parmi l‟ensemble des stratégies qualitatives de recherche, la méthode ethnographique est particulièrement pertinente pour aborder un phénomène multi-situé et multidimensionnel comme celui de la migration transnationale. Comme le souligne Marcus (1995), la recherche ethnographique s‟est adaptée aux changements liés à la mondialisation tels que la circulation des objets, des identités et des pratiques culturelles. Ainsi, il ne s‟agit plus seulement de documenter minutieusement les éléments culturels propres à un village ou à une région, mais de faire des liens entre ce qui se passe entre plusieurs sites d‟observation et les structures économiques et politiques mondiales.

Ce mémoire de maîtrise s‟inscrit particulièrement bien dans cette conception de la recherche ethnographique puisqu‟il découle de deux périodes de pré-terrain réalisées à l‟Ile d‟Orléans au cours des étés 2010 et 2011. Ces pré-terrains ont donné lieu à une collecte de données par l‟entremise de trois techniques, soit l‟observation ethnographique directe, les entretiens semi-dirigés et la recherche documentaire. À la suite de l‟été 2011, nous avons pu formuler quelques pistes de recherche qui ont mené à l‟élaboration d‟un projet de

(32)

22

mémoire lors de l‟année universitaire 2011-2012. Ce projet de mémoire contenait une question de recherche qui interrogeait les motifs de la migration transnationale des travailleurs agricoles mexicains à partir de leur lieu d‟origine. Nous avons donc décidé de changer de site ethnographique à l‟été 2012 afin de réaliser notre terrain dans le village de Dzidzantún au Yucatán, un des lieux d‟origine de ces travailleurs.

La collecte de données s‟est déroulée sur une période de deux mois et demi entre les mois de juin et août 2012. Dzidzantún a été sélectionné à la suite d‟une première série d‟entrevues réalisées par notre co-directrice lors de l‟été 2011. Celle-ci nous a confirmé la présence dans ce village d‟un nombre relativement élevé de travailleurs agricoles migrants qui avaient déjà participé au Programme canadien de Travailleurs Agricoles Saisonniers (PTAS). Lors de notre séjour sur le terrain15, nous avons priorisé les trois mêmes techniques de collecte de données que lors de nos deux pré-terrains, soit les entretiens semi-dirigés, l‟observation directe et la collecte documentaire.

1.2.2.1 Les entretiens semi-dirigés

Bien que nos données proviennent en partie de périodes d‟observation directe, nous avons choisi de prioriser les données issues des entretiens semi-dirigés, car ces données nous ont permis de répondre plus directement à nos deux sous-questions de recherche. En tout, nous avons réalisé des entretiens semi-dirigés avec vingt travailleurs agricoles migrants. Le schéma d‟entretien que nous avons utilisé était divisé en quatre sections : 1) avant la première migration au Canada, 2) pendant la première migration au Canada, 3) lors des migrations subséquentes à la première migration au Canada et 4) un bilan de l‟ensemble du parcours migratoire. De manière générale, les entrevues avaient pour objectif de mieux comprendre le sens que ces travailleurs donnent à leur expérience de migration transnationale contractuelle sein du PTAS. De manière plus spécifique, elles visaient à : 1) identifier et décrire les formes de capitaux mobilisés par les travailleurs agricoles migrants

15 Nous tenons ici à mentionner que le travail de terrain de ce mémoire de maîtrise s‟est inscrit dans le cadre

d‟un projet de recherche dirigé par notre co-directrice, Marie-France Labrecque, intitulé « Perspectives de genre, classe et « race » sur la migration temporaire transnationale». Cette recherche a été financée par le Conseil de Recherches en Sciences Humaines du Canada. Nous tenons aussi à souligner que, lors de notre séjour sur le terrain, nous avons eu la chance de bénéficier d‟échanges avec deux collègues étudiants-chercheurs du département d‟anthropologie de l‟Université Laval de même que de nombreux échanges avec notre co-directrice.

(33)

23 et 2) identifier et décrire les formes de capitaux recherchés par ces travailleurs dans le cadre de leur processus de migration transnationale contractuelle.

Les entretiens ont été réalisés auprès de vingt travailleurs agricoles migrants mexicains originaires du village de Dzidzantún16 et de dix informateurs-clés17. Parmi les dix informateurs-clés, mentionnons qu‟il y avait deux prêtres, trois professeurs-chercheurs, deux ex-enseignants, un maire, un leader communautaire et un ingénieur agronome. Pour ce qui est des vingt travailleurs, il s‟agissait d‟individus qui, au moment où ils ont été sélectionnés pour participer au PTAS, respectaient théoriquement les critères de sélection imposés par le programme : être jeune (avoir entre 22 et 45 ans), avoir une occupation en lien avec l‟agriculture, vivre dans une zone rurale, avoir une scolarité minimale de troisième année de primaire et maximale de troisième année de secondaire, être marié et, préférablement, avoir des enfants.

Parmi les caractéristiques sociodémographiques des travailleurs interviewés, mentionnons que seize étaient de sexe masculin et quatre étaient de sexe féminin18. Leur âge au moment

de l‟entrevue variait entre 31 et 52 ans. Ils avaient tous migré d‟une à huit fois au Canada dans le cadre du PTAS. Ils avaient entre 26 et 44 ans au moment de leur première migration. Le nombre d‟enfants par travailleurs variait d‟un à cinq. Pour ce qui est du niveau de scolarité, cinq d‟entre eux avaient atteint un niveau de scolarité primaire, sept avaient atteint un niveau de scolarité secondaire, quatre avaient terminé la preparatoria19 et quatre possédaient un diplôme universitaire. Enfin, en ce qui a trait aux principales activités économiques, mentionnons que cinq de ces travailleurs pratiquaient principalement la pêche commerciale, deux se dédiaient à la construction, huit à l‟agriculture, quatre effectuaient un travail d‟employée domestique tandis qu‟un seul d‟entre eux travaillait pour une entreprise de moto-taxi.

16 Un tableau sommaire de ces vingt travailleurs est disponible en annexe 6. 17 Un tableau sommaire de ces informateurs-clé est disponible en annexe 7.

18 Même si des femmes figuraient dans notre échantillon, considérant les limites de temps et d‟espace d‟un

mémoire de maîtrise, la finesse de l‟analyse ne nous a pas permis de distinguer de manière concluante ce qui relève des dynamiques de genre dans l‟ensemble des expériences vécues par les travailleurs agricoles migrants interviewés.

19 Au Yucatán, la preparatoria correspond généralement aux deux dernières années de l‟école secondaire au

Références

Documents relatifs

of a BIOgeochemical model (ValHyBio), a PNTS-sponsored project dedicated to satellite ocean-colour imaging of the Southwest Pacific, are analyzed to describe

Mais au-delà de l’adaptation du bâti déjà engagée par les gestionnaires, ce sont les questions de la transformation des usages des foyers et résidences sociales, les

In the present study, the fluidizing effect of the anesthetic agent propofol (2,6-diisopropyl phenol: PPF), a general anesthetic extensively used in clinical practice,

Pour étayer cette hypothèse, nous utilisons des corrélations entre un ensemble de variables portant sur des données économiques à la fois sur les pays d’accueil et d’origine..

Autres acteurs dont les intérêts et/ou les pratiques font que la question de la santé des travailleurs étrangers n’émerge pas comme un problème d’ordre public : les employeurs,

1. Le cas le plus éclairant est sans doute celui du Chili, qui a signé des accords avec à peu près tous les pays ou groupes régionaux des Amériques à l'exception ... On peut

L’interprétation de la cristalli- sation, prenant comme base le régime des sources d’alimen- tation (Foux et Siagnole) et en admettant que ce régime n’a pas beaucoup changé

En 2011, une partie de ces agriculteurs se sont réunis pour fonder l’association Phyto‐victimes, qui milite pour un contrôle plus strict des pesticides et une