• Aucun résultat trouvé

Le meilleur endroit est exempt de tout défaut, silencieux, isolé, au sol bien plat, propre, sans agitation, peu peuplé

Amṛtā, la fixation immortelle

YP 3.1cd-2ab. Le meilleur endroit est exempt de tout défaut, silencieux, isolé, au sol bien plat, propre, sans agitation, peu peuplé

Puis il enjoint de contrôler le souffle. Le terme de krama que le commentateur applique à cette description, peut s’expliquer par le caractère répétitif de la respiration : le contrôle du souffle doit s’exercer sur plusieurs cycles respiratoires pour porter ses fruits303.

300 pūrvaprakaraṇaśeṣatvāc cāsyānekapṛthaksambandhābhidhānaṃ na kartavyam iti / « Du fait que [le présent chapitre] constitue un appendice des [deux] chapitres précédents, les corrélations [intra textuelles] diverses et spécifiques ne doivent pas être indiquées. » Commentaire YP 3.1ab.

301 (…) deśakālakramādīni prayogāṅgāny atra vaktavyatayā_adhikriyante (…) / « (…) les parties de la mise en pratique [du yoga], c’est-à-dire le lieu, la durée, l’ordre, etc. sont en mesure d’être discutées ici. » Commentaire YP 3.1ab.

302 La question des qualités du lieu de pratique est classique. Elle apparaît aussi dans d’autres traités, notamment

Mṛgendratantra YP 17, Parākhyatantra 14.2, Sarvajñānottaratantra YP 5cd-7ab.

303 Le Yogasūtra 2.50 indique que le contrôle du souffle (prāṇāyāma) doit être observé selon trois critères : le lieu (deśa), le temps (kāla) et le nombre (saṃkhyā). bāhyābhyantarastambhavṛttir deśakālasaṃkhyābhiḥ paridṛṣṭo dīrghasūkṣmaḥ / « Ses modes d’activité sont externe, interne ou immobile. Il est observé selon le lieu, le temps et le nombre. Il [devient] lent et subtil. » Il ne paraît pas judicieux d’établir un parallèle entre ces trois critères et ceux qu’utilise Rāmakaṇṭha. Néanmoins, krama, puisqu’il touche justement au contrôle du souffle, peut être rapproché de saṃkhyā. Selon les commentateurs des Yogasūtra, saṃkhyā désigne le nombre total de respirations contrôlées. La même idée peut être rendue par le terme krama, « succession ». Dans le Yogasūtra 2.50, le lieu désigne l’espace dans le corps ou à la sortie des narines, où le souffle est perceptible, et le temps la durée de chacun des trois modes d’activité.

YP 3.2cd-4. Là, après s’être établi fermement dans une assise du yoga, le mental fixé sur un point, après avoir fait sortir l’air, il doit réduire doucement, correctement, progressivement, son entrée par les narines. L’expulsion (pracchardana) et la rétention (dhāraṇa) [du souffle] doivent constamment être effectuées par le [yogin] engagé dans le yoga, maître de lui-même, afin de se purifier complètement, ô sage !

Les termes pracchardana304 et dhāraṇa semblent renvoyer au Yogasūtra 1.34 : « ou bien [l’apaisement du psychisme] est obtenu au moyen de l’expulsion (pracchardana) et de la rétention (vidhāraṇa) du souffle305. » Selon les commentateurs des Yogasūtra, ces deux termes, qui n’appartiennent pas au vocabulaire courant du prāṇāyāma, désignent deux techniques de contrôle du souffle destinées à favoriser l’apaisement de l’esprit306.

Si les brèves indications de deśa et krama, sommairement commentées par Rāmakaṇṭha, ne méritent pas de plus long développement, il en va autrement du "temps" (kāla). Le passage traite des imprégnations mentales (vāsanā, littéralement « parfums »), c’est-à-dire des traces laissées dans le psychisme par les actions, paroles ou pensées passées, qui conditionnent le devenir de l’être humain, dans l’existence présente et dans les existences futures. Cette question a été évoquée au tout début du premier chapitre du yogapāda, sans y être développée :

YP 1.2ab. [Le yoga] se divise en deux types bien distincts, à cause de la différence des imprégnations mentales (vāsanā).

Selon le principe de la rétribution des actes, les imprégnations mentales issues de la vie ordinaire, en tant qu’elles déterminent les conditions d’existence à venir, maintiennent l’être dans le cycle des renaissances (saṃsāra). De nouvelles imprégnations s’ajoutant sans cesse au "dépôt" (āśaya) des imprégnations passées, elles sont la cause d’une souffrance infinie307. La masse de celles qui arrivent

304 Précisons que le terme pracchardana est une suggestion de notre part. Les leçons des différentes sources (pracchandana,pracchādana) ne semblent pas avoir de sens dans le contexte.

305 pracchardanavidhāraṇābhyāṃ vā prāṇasya / Yogasūtra 1.34.

306 Le Yogabhāṣya glose pracchardana par vamana, et vidhāraṇa par prāṇāyāma. La Tattvavaiśāradī développe ainsi :

pracchardanaṃ vivṛṇoti (…) yena kauṣṭhyo vāyur nāsikāpūṭābhyāṃ śanaiḥ recyate / vidhāraṇaṃ vivṛṇoti (…) recitasya prāṇasya kauṣṭhyasya vāyor yad āyāmo bahir eva sthāpanaṃ na tu sahasā praveśanam / « Il explique pracchardana :

ce par quoi l’air du ventre est doucement expulsé par les deux narines. Il explique vidhāraṇa : le contrôle du souffle expulsé, c’est-à-dire de l’air du ventre, qui est son maintien à l’extérieur et non pas une entrée brutale. » (YOGASŪTRA 2006, p. 39-40).

307 Ce mécanisme est présenté au 2ème chapitre des Yogasūtra : kleśamūlaḥ karmāśayo dṛṣṭādṛṣṭajanmavedanīyaḥ / sati

mūle tadvipāko jātyāyurbhogāḥ / te hlādaparitāpaphalāḥ puṇyāpuṇyahetutvāt / pariṇāmatāpasaṃskāraduḥkhair guṇavṛttivirodhāc ca duḥkham eva sarvaṃ vivekinaḥ / Yogasūtra 2.12-15. « Le dépôt des [effets des] actes [passés] a

pour racine les principes de souffrance. Il doit être expérimenté dans l’existence présente ou les existences futures. Tant que la racine existe, [se produit] la maturation du [dépôt des effets des actes, sous la forme de] la naissance, la vitalité et la jouissance. Leurs fruits sont le plaisir ou la douleur selon que la cause est le mérite ou le démérite. Mais pour celui qui discerne, tout n’est que souffrance [produite] par les expériences douloureuses dues aux transformations, aux tourments ou aux imprégnations, en raison de l’opposition [réciproque] des activités des guṇa. »

"à maturité" (vipāka) forme les "actes devant être effectués car engagés [dans l’existence présente]" (prārabdhakarman ouārabdhakāryakarman), et disparaît à la mort du corps physique. Les tantra

ajoutent que, contrairement aux autres imprégnations, le prārabdhakarman ne peut être éliminé par l’initiation, et doit être expérimenté complètement. Après l’initiation, la pratique des autres rites, du yoga et des observances, est indispensable pour l’élimination des nouvelles imprégnations qui surviennent inévitablement tant que l’être reste en vie.

Ces considérations générales étant admises, la question posée en ce troisième chapitre touche aux imprégnations générées par la méditation. Comme toute activité, celle-ci est en effet la source de nouveaux conditionnements qui, si le yogin n’y prend garde, risquent de l’entraver sur la voie de la libération. Le yogin, même "renforcé" par l’initiation, doit donc impérativement se défaire des nouvelles imprégnations produites par la méditation elle-même. C’est bien évidemment par l’entremise de Śiva que l’opération peut être menée à bien.

YP 3.5-10ab. Le psychisme (citta) [de celui] dont le souffle a été purifié, doit être unifié, successivement à chaque degré (bhūmi), jusqu’à ce qu’au moyen de l’union avec l’état [visé], chez le yogin qui y est uni constamment, l’abondance de dépôts subconscients (āśaya) [qui sont la cause] des souffrances, produite par les efforts grossiers [de la vie ordinaire], se réduise à néant, petit à petit, conformément [à la méditation] portant sur [un support] extrêmement subtil. Après avoir étreint un état subtil, le meilleur des yogin doit rester actif. Chaque fois, il est libéré d’imprégnations mentales (vāsanā) existant en lui. En étant libéré [de celles-ci], il est nourri d’autres [imprégnations] produites par cette [pratique]. En raison de la pénétration [dans le psychisme] d’un dépôt subconscient (āśaya) identique à [l’objet de méditation], le germe de l’Âme corpusculaire (aṇu) entrave inévitablement le yogin, bien que celui-ci ait été auparavant renforcé, par une force de confusion, ô sage pareil à un tigre ! Profondément affecté par cette [force], il va à la confusion. Celui qui ne se maîtrise pas, ne connaît pas [le principe de réalité] suprême.

Ce passage se place dans la perspective de la méditation sur les principes de réalité (tattva) qui est l’objet des deux chapitres suivants. Chaque tattva, considéré comme un "degré" (bhūmi), doit être « conquis » par la méditation pour que le yogin puisse accéder au degré supérieur. Ainsi se réalise l’ascension des tattva du plus bas, la Terre, au plus élevé, Śiva. La conquête (jaya) de chaque tattva permet certes l’élimination d’anciennes imprégnations, mais cette méditation, en implantant un nouveau "germe" (bīja) dans le psychisme, en génère de nouvelles, qui tendent à semer la confusion (moha) et éloignent du "principe de réalité suprême" (paraṃ tattvam). Le yogin est alors bloqué dans son ascension. Pour pallier cet écueil, il doit se tourner vers le Seigneur suprême :

YP 3.10cd-13. A cause de cela, il doit accomplir la conquête de l’énergie [du Seigneur