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Si [on voyait] l’apprêt (rāga) comme une [impureté extérieure] telle que la boue, ce revêtement du Sujet, le faisant apparaître comme souillé par un apprêt extérieur,

Les spécificités de l’Espace

YP 5.5d-6c. Si [on voyait] l’apprêt (rāga) comme une [impureté extérieure] telle que la boue, ce revêtement du Sujet, le faisant apparaître comme souillé par un apprêt extérieur,

serait dû uniquement à un trouble de la vue !

La souillure essentielle n’est pas une impureté extérieure qui collerait à l’Âme comme de la boue. Seul un trouble de la vue pourrait le faire croire ! De même, "l’obscurité ne peut souiller les organes des sens" (commentaire YP 5.6abc). Selon une autre comparaison, la souillure essentielle entache l’Âme comme une teinture (rāga) un tissu blanc (YP 5.6d-8ab).

La conclusion de cette première partie de l’exposé est que la souillure essentielle est une propriété spécifique de l’Âme Liée ; elle n’est ni le lien avec la Nature primordiale, ni un état psychique, ni une impureté qui affecterait l’Âme de l’extérieur.

Dans une nouvelle intervention (YP 5.9cd-10), Mataṅga énonce la position des vedantins du

Māyāvāda : le Sujet est éternellement pur ; c’est par abus de langage qu’on le qualifie de conditionné ;

en réalité, le Sujet n’est ni libre ni lié. A quoi, le Seigneur suprême répond :

YP 5.11-12. [Le Seigneur suprême dit :]

[Le Sujet] est pénétré par un conditionnement (vāsanā) sans commencement dans le temps. Et on a déjà indiqué ici qu’il s’agit de l’ignorance (ajñāna). En raison de la connaissance limitée à la perception du réel, [le Sujet] va à sa perte. Puisque tant qu’existe l’état d’ignorance, il semble mû par le désir (abhilāṣin), même dans la résorption, et que sinon, il ne l’est pas, ne devons-nous pas considérer, pour cette raison, que le Sujet est constamment pénétré de l’apprêt ?

L’Âme est conditionnée de toute éternité. Ignorance, désir, souillure essentielle sont trois aspects de ce conditionnement originel. L’existence de la souillure essentielle est prouvée par la réalité de deux états opposés : d’une part l’état conditionné, c’est-à-dire soumis à l’ignorance et au désir, et voué à la souffrance et au maintien dans le cycle des renaissances, et d’autre part l’état libéré qui est l’inverse. Ces deux états se distinguent l’un de l’autre par la présence ou l’absence de la souillure essentielle.

388 L’expression paśuśāstra apparaît dans le commentaire de YP 5.5abc. Elle est aussi utilisée dans le Mṛgendratantra (VP 4.11). La vṛtti de Nārāyaṇakaṇṭha ad hoc la glose par ārhatasāṃkhyapāñcarātrādi[śāstra].

Reprenant la parole, Mataṅga émet une objection en quatre points touchant à la relation entre la souillure essentielle et le Sujet :

YP 5.14-15. [Le sage Mataṅga dit :] [Objection en quatre points :]

1 – Cette réalité [de la souillure essentielle], distincte de la primordialité, serait fondée sur le Sujet, [mais] devrait être considérée comme distincte du Sujet.

2 – S’il en était vraiment ainsi, elle relèverait donc de la Nature primordiale.

3 – Si elle coexistait avec le Sujet, alors elle serait immuable, impérissable, évidente. 4 – Mais si elle peut être éliminée, en son absence, par quoi [l’absence] du Sujet est-elle empêchée ?

Nous aurions souhaité que la réponse du Seigneur suprême, ou à défaut le commentaire, réfute un à un ces quatre points. Mais le tantra donne une réponse globale qui justifie l’existence et la nature de la souillure essentielle en la positionnant par rapport aux autres liens. Du fait de la présence de la souillure essentielle, l’Âme acquiert un "corps subtil", selon l’interprétation que le commentateur donne de l’expression "conditionnements nommés Māyā". L’existence et le rôle des cinq gaines, supérieures à la Nature primordiale dans la hiérarchie des tattva, montrent que la souillure essentielle est bien distincte du lien avec la Nature primordiale.

YP 5.16-17ab. [Le Seigneur suprême dit :]

Ô sage ! Puisque l’Âme Liée (paśu), pourvue de la souillure essentielle (mala), [est entravée] par les conditionnements (vāsanā) actifs nommés Māyā [qui lui confèrent un corps subtil], on dit, par transfert de sens, qu’elle est recouverte [de la souillure essentielle, distincte du lien avec la Nature primordiale], en raison de l’Incitation (Kalā) et des autres gaines. Elle éprouve du désir envers les [objets de] jouissance produits par le [principe] primordial (Pradhāna).

Le commentaire apporte les arguments complémentaires suivants. C’est bien un abus de langage (tattvātireka) de parler d’Âme « Liée », alors que le Sujet est investi des trois principes supérieurs qui lui confèrent la nature de Śiva : Dissolution (Laya), Jouissance (Bhoga), et Autorité (Adhikāra). La souillure essentielle ne relève pas de la Nature primordiale car elle existe chez l’être « isolé à la dissolution » (pralayakevalin), qui n’est pas assujetti à la Nature primordiale (réponse au deuxième point de l’objection). Enfin, la souillure essentielle coexiste avec le Sujet, sans commencement dans le temps, mais sans en avoir les qualités, à savoir l’éternité et l’omnipénétration.

La suite du tantra fournit heureusement une explication plus limpide en rappelant que la souillure essentielle est en rapport avec la propension du Sujet à acquérir la condition de jouisseur (bhoktṛtva). Le tantra la qualifie de "consistant en la souillure essentielle" (malātmaka), mais le commentaire

nuance cette affirmation par trop réductrice en précisant que ce sont "les effets des actes (karman), et non pas la souillure essentielle, [qui] sont la cause instrumentale (nimitta) de l’état de jouisseur389". Les objets de jouissance appartiennent au monde manifesté et relèvent du principe primordial des

Guṇa et de ses dérivés. Le jouisseur devient un agent capable de les expérimenter, sous l’effet de

l’Incitation et des autres gaines.

YP 5.18cd-22ab. [La particularité de la souillure essentielle est] la spécificité de l’état de jouisseur (bhoktṛtva) des objets de jouissance, qui est un lien bien défini. On a présenté ici le [principe] primordial (Pradhāna), [qui est cause] des objets de jouissance. Quant à la spécificité de l’état de jouisseur, elle consiste en la souillure essentielle. Sa capacité [à jouir] est déterminée par l’Incitation (Kalā) et les autres gaines. Les jouissances proviennent de la maturation des actes. [Elles] viennent à la réalisation à partir de l’Incitation (Kalā). S’appuyant sur les Guṇa, elles vont à la manifestation grossière jusqu’aux éléments grossiers, en vue du bien-être (bhūti). C’est pourquoi, en raison de l’intensité de l’Incitation (Kalā) et des autres [principes de réalité], le Sujet, bien que toujours parfaitement subtil, acquiert la capacité d’être le jouisseur des jouissances, ô sage pareil à un taureau ! Et il atteint l’état de Sujet (Puṃs). Et on l’appelle Sujet (Puruṣa).

Le tantra conclut ce passage par une pseudo-étymologie (nirvacana) du mot puruṣa en le rapprochant simplement de puṃs. Rāmakaṇṭha fait une allusion à celle indiquée dans la

Bṛhadāraṇyaka-Upaniṣad, qui fait dériver puruṣa de pur, « citadelle » et par extension « corps » :

« Il fit des citadelles (corps) (pur) à deux pieds ; il fit des citadelles à quatre pieds. Devenu tout d’abord (puras) oiseau, il entra dans les citadelles comme Sujet (Puruṣa). » Vraiment, le Sujet est celui qui réside (puriśaya) dans toutes les citadelles390.

2.1.5. Bhoga, la Jouissance, et Upāya, le Moyen

Avec la quatrième catégorie traitant du principe de l’Âme Liée s’achève la présentation des trente-six principes de réalité suivant la série des trente-six catégories de l’enseignement du tantra. Nous serons donc très brefs sur les deux dernières catégories de la « Jouissance » (Bhoga) et du « Moyen »

389 karmāpi bhoktṛtvanimittaṃ na mala eva / Commentaire YP 5.20.

390 (…) puraś cakre dvipadaḥ puraś cakre catuṣpadaḥ / puraḥ sa pakṣī bhutvā puraḥ puruṣa āviśad iti / sa vā ayaṃ

(Upāya) qui n’apportent pas d’éléments complémentaires utiles à la compréhension de la méditation sur les principes. Nous nous contenterons d’examiner les définitions qu’en donne le vidyāpāda. La catégorie de la « Jouissance » (Bhoga) enseigne le processus de la rétribution des actes (karman). Elle tient en un unique chapitre du vidyāpāda, le vingt-sixième et dernier, dont nous avons analysé plus haut la strophe VP 26.63 indiquant que la libération provient de l’ensemble des quatre enseignements du tantra (p. 46).

VP 2.18cd-19. On reconnaît que la cinquième catégorie, appelée « Jouissance » (Bhoga)