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Partie I Fondements 29

Chapitre 3 Pouvoir de marché

C. Marché d’innovation

Outre les marchés de produits et de technologies, le pouvoir de marché du détenteur de technologie peut être exercé encore plus en amont, sur les activités de recherche et

451 Cette méthode est reconnue au para. 22 Lignes directrices TT.

452 NEWBERG (2000a), p. 110 ss. L’auteur ne propose cependant pas de méthode claire de détermination des marchés de technologies en fonction des marchés de produits.

453 KATZ/SHELANSKI (2007).

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développement. Dans le contexte spécifique des accords de licences, tel peut par exemple être le cas lorsque le donneur interdit au preneur d’effectuer des activités de recherche et développement liées à la technologie transférée.

Selon la réglementation et la pratique décisionnelle, ce type de comportements doit être apprécié, dans certaines circonstances, non sur la base des marchés de produits et de technologies, mais à l’aide d’un autre instrument : le marché d’innovation, parfois également qualifié de marché de recherche et développement454. L’influence améri-caine est manifeste455.

L’utilisation de ce nouvel instrument pose la question de sa coordination avec les marchés de produits et de technologies. Le marché d’innovation est subsdiaire. Il ne doit être défini que lorsque les moyens classiques sont insuffisants : « c’est notamment le cas lorsque l’accord affecte l’innovation destinée à créer de nouveaux produits456 et lorsqu’il est possible de déterminer très tôt des pôles de recherche et développe-ment »457.

Le marché d’innovation se définit comme le marché des efforts de recherche et « dé-veloppement de nouveaux produits ou de nouvelles techniques qui sont, soit suscep-tibles – s’il s’agit de produits ou de techniques naissants – de remplacer un jour des produits ou des techniques existants, soit destinés à un nouvel usage et qui, dès lors, ne remplaceront pas des produits ou des techniques existants mais créeront une de-mande totalement nouvelle »458.

Le marché d’innovation comprend les efforts de recherche et développement en cause ainsi que leurs substituts, i.e. les efforts qui mettent une pression concurrentielle sur la recherche et le développement en cause459. A ce propos, on parle de pôles de

454 En ce qui concerne la réglementation, cf. para. 25 Lignes directrices TT et para. 50 ss Lignes directrices CoH. Pour ce qui est de la jurisprudence, cf. par exemple en matière de contrôle des concentrations la décision de la Commission CE, Upjohn/Pharmacia (1995), para. 7 ss. On relèvera, ce qui peut a priori induire en erreur, que la discussion relative au marché de recherche et développement se situe dans une section intitulée « relevant product markets ». Pour une étude qui fait largement référence au marché d’innovation, cf. GLADER (2006).

455 Para. 3.2.3 Antitrust GL/IP; Consent Order, Federal Trade Commission, Roche/Genentech (1990).

Pour la contribution de base sur le marché d’innovation, cf. GILBERT/SUNSHINE (1995a). Plusieurs au-teurs se sont opposés à l’utilisation de marchés d’innovation, argumentant que le concept de con-currence potentielle est suffisant. Cf. HAY (1995); RAPP (1995); HOERNER (1995). GILBERT/SUNSHINE

(1995b), restent favorables au concept de marché d’innovation. Pour une contribution plus récente, cf. DAVIS (2003).

456 En d’autres termes, le recours au marché d’innovation peut s’avérer nécessaire lorsqu’un accord de transfert de technologie a un impact sur les activités de recherche et développement de l’une ou des deux parties à l’accord. De manière évidente, la question du marché d’innovation ne se pose pas lorsqu’un accord produit des effets uniquement sur la diffusion de la technologie.

457 Para. 25 Lignes directrices TT; également para. 51 s. Lignes directrices CoH où il est précisé que c’est en général le cas dans l’industrie pharmaceutique.

458 Para. 50 Lignes directrices CoH.

459 Para. 3.2.3 Antitrust GL/IP.

95 cherche et développement concurrents, qui se définissent comme « des travaux de recherche et de développement axés sur un nouveau produit ou une nouvelle tech-nique, ainsi que les travaux de recherche et de développement de substitution, autre-ment dit la recherche et le développeautre-ment de produits ou de techniques substituables à ceux qui font l’objet […] [des efforts en cause], ont un accès comparable aux res-sources et suivent un calendrier similaire »460.

A l’instar des méthodes présentées en matière de marchés de technologies, les mar-chés d’innovation peuvent être définis directement ou indirectement461 :

- La méthode de détermination directe implique l’identification des pôles de cherche et développement concurrents, réels ou potentiels, des efforts de re-cherche et développement en cause. Les multiples sources susceptibles de mettre au point une innovation compliquent la délimitation du marché. En théorie, toute entreprise peut engager des efforts de recherche et développe-ment. Il se dégage cependant de la jurisprudence et de la doctrine que seules les entreprises qui détiennent des actifs spécialisés – cette notion devant être interprétée strictement – composent le marché pertinent462.

- La méthode de détermination indirecte requiert la prise en compte du marché de produits (ou de technologies) futurs, issus des activités de recherche et dé-veloppement. Lorsque les activités de recherche et développement sont à un stade avancé, le marché de produits futurs devrait pouvoir être défini de ma-nière plus étroite, car on sait avec davantage de précision quelle sera l’issue des activités de mise au point de technologies463.

Pour conclure, les trois remarques suivantes méritent d’être effectuées :

- S’il est vrai que le marché d’innovation est difficilement définissable en pra-tique, il permet néanmoins de mieux conceptualiser l’appréciation de certaines stratégies à long terme, sans se limiter aux effets immédiats sur les prix et quantités sur les marchés de produits existants.

- La détermination du marché d’innovation reste un outil permettant d’apprécier la capacité d’une entreprise à réduire l’investissement total du

460 Para. 51 Lignes directrices CoH (par renvoi du para. 25 Lignes directrices TT).

461 Para. 51 s. Lignes directrices CoH.

462 GILBERT/SUNSHINE (1995a). Pour une illustration de l’interprétation stricte de la notion d’actifs spécia-lisés, cf. U.S. District Court, D. Delaware, General Motors/ZF Friedrichshafen (1993), para. 41. En l’espèce, ont été prises en considération les installations de production, l’expérience de production et la connaissance des besoins des clients. GLADER (2006), p. 214 ss, souligne qu’il faut en outre te-nir compte de certaines caractéristiques statiques, telles que la détention de droits de propriété in-tellectuelle, qui constituent un « bottleneck » et empêchent certaines activités de recherche et dé-veloppement d’être réellement compétitives.

463 GLADER (2006), p. 209 ss, avec de nombreux développements basés sur la jurisprudence.

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marché en recherche et développement. Lorsqu’un tel marché est défini, cela n’implique pas automatiquement que l’entreprise visée est incitée à adopter un comportement anticoncurrentiel, ni que le comportement de l’entreprise n’est pas motivé par des considérations d’efficience économique464.

- En présence de stratégies touchant à l’innovation, la définition du marché per-tinent perd en importance au profit d’une analyse plus factuelle des sources alternatives d’innovation et de l’incitation à innover des divers acteurs éco-nomiques465.