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Partie I Fondements 29

B. Actifs complémentaires

S’il va de soi que la mise au point de technologies requiert des compétences particu-lières, cela l’est moins lorsqu’il s’agit de la commercialisation des technologies198. Pourtant, un système marketing, des capacités de production et un service après-vente spécifiquement liés à la technologie sont indispensables. En gestion d’entreprises, ces compétences sont qualifiées d’actifs complémentaires199.

Les actifs complémentaires à l’innovation peuvent être classés en trois groupes200 : - Les actifs génériques n’ont pas besoin d’être adaptés aux particularités que

présentent les technologies. Leur importance par rapport à l’innovation est faible.

- Les actifs spécialisés sont adaptés à une technologie particulière et en sont dé-pendants. Positivement, du fait de leurs caractéristiques très pointues, ils sont essentiels à la commercialisation de la technologie. Négativement, ils ne peu-vent pas être utilisés indépendamment de la technologie pour laquelle ils exis-tent.

- Les actifs cospécialisés sont dans une dépendance bilatérale avec l’innovation, en ce sens que les actifs et la technologie ne peuvent fonctionner l’un sans l’autre.

196 Alors que la recherche scientifique fondamentale tend vers la connaissance de nouveaux phéno-mènes physiques ou biologiques, la recherche scientifique appliquée a pour but la résolution de problèmes techniques.

197 WARD/DRANOVE (1995).

198 TEECE (1986), p. 285, souligne que ce manque de connaissances a empêché de nombreuses entre-prises innovantes d’exploiter correctement leurs actifs immatériels.

199 TEECE (1986), p. 288 ss.

200 Ibidem.

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§ 2 Industries dynamiques

I. Définition

Le degré d’innovation technologique permet de qualifier une industrie. Les industries high-tech (dynamiques, caractérisées par une importante activité d’innovation)201 sont celles qui connaissent le plus fort taux d’innovation. Elles comprennent principale-ment les industries biotechnologique et pharmaceutique, informatique et des télé-communications202. Les industries chimique et de l'électronique sont des industries medium-tech. L’industrie agro-alimentaire est une industrie low-tech ou, autrement dit, parvenue à maturité203.

II. Caractéristiques technologiques

La caractéristique technologique principale des industries dynamiques est l’évolution extrêmement rapide des technologies sur lesquelles elles sont basées. Par conséquent, les cycles de produits sont courts204. Un exemple particulièrement parlant est celui des téléphones portables.

La complexité des technologies – et le fort risque d’échec lors de leur mise au point (incertitude des résultats) – ainsi que les vastes possibilités d’innovation accroissent considérablement les dépenses en recherche et développement. Il résulte en une pro-tection massive des technologies par les entreprises, que ce soit par le biais de droits de propriété intellectuelle ou au titre de savoir-faire confidentiel205.

Les investissements en recherche et développement impliquent d’importants coûts fixes, souvent irrécupérables (sunk costs). Compte tenu du fait que le processus de recherche et développement est incertain, il est difficile de déterminer quel devront être les revenus qui permettent de justifier ces dépenses. Par conséquent, les entre-prises ne connaissent pas leur coût moyen à long terme et ne peuvent déterminer si elles obtiennent des profits excessifs206.

201 Pour des approches globales des caractéristiques des industries dynamiques, cf.

LIND/MUYSERT/WALKER (2002a), p. 22 ss; TEMPLE LANG (1997), p. 718 ss. Pour une approche plus dé-taillée, cf. TEECE/COLEMAN (1998).

202 Les industries dynamiques, basées sur l’innovation, forment ce qu’on appelle couramment la nou-velle économie. Cf. LIND/MUYSERT (2003). Pour BIALES (2005), la nouvelle économie ne comprend que les industries basées sur les technologies de l’information et de la communication (TIC).

203 HAGEDOORN (1993), p. 385.

204 TEMPLE LANG (1997), p. 718.

205 Idem, p. 718 s.

206 LIND/MUYSERT/WALKER (2002a), p. 23 s. et 28 ss.

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On relèvera enfin deux caractéristiques propres aux industries IT et des télécommuni-cations :

- La présence d’effets de réseau (network effects, network externality, demand-side economy of scale). Plus le nombre d’utilisateurs d’un produit incorporant une technologie est élevé, plus cette technologie est profitable à chacun des utilisa-teurs207.

- Les possibilités de convergence et de complémentarité entre les technologies, ce qui donne naissance à de nouveaux systèmes. Pour que cela soit réalisable, il est impératif que des standards soient définis. En présence de standards, des effets de réseau sont davantage susceptibles de se produire208.

III. Concurrence d’innovation (schumpétérienne)

Dans les industries parvenues à maturité, il n’existe plus de différence sensible entre les produits des entreprises concurrentes. En outre, il ne semble plus y avoir de place pour des innovations significatives. Ainsi, la seule concurrence qui reste possible est la concurrence in the market basée sur les prix. Elle est généralement qualifiée de con-currence statique. Une telle situation est, par exemple, manifeste dans l’industrie agro-alimentaire209.

Les industries high-tech se caractérisent par un autre type de concurrence, à savoir la concurrence dynamique ou d’innovation, qui peut être décrite en substance comme suit :

« Firms engage in dynamic competition for the market – usually through research-and-development (R&D) competition to develop the “killer” product, service, or feature that will confer market leadership and thus diminish or eliminate actual or potential rival »210. La concurrence dynamique est une concurrence intensive, pour ne pas dire acharnée.

Les entreprises produisent des efforts continus de recherche et développement afin de mettre au point de nouvelles générations de produits basés sur des innovations tech-nologiques. Les nouveaux produits chassent les produits incorporant des technologies existantes. Par l’élimination de l’ancienne génération de produits, l’entreprise inno-vante s’approprie généralement l’ensemble du marché (winner-take-all situation) ou,

207 En particulier sur les effets de réseau, cf. BALTO/PITOFSKY (1998).

208 LIND/MUYSERT/WALKER (2002a), p. 31 ss.

209 EVANS/SCHMALENSEE (2002), p. 13 ss. On relèvera toutefois la nouvelle tendance suivante : toujours plus entreprises actives dans le secteur agro-alimentaire tentent d’innover en proposant des pro-duits qui auraient des vertus curatives.

210 Idem, p. 1 ss. On parle également de concurrence à long terme basée sur la performance. Pour une autre contribution avec un accent particulier sur la concurrence dynamique, cf. KATZ/SHELANSKI

(2005a).

39 dans tous les cas, une partie substantielle de celui-ci. Les retours sur investissements sont extrêmement élevés.

L’appropriation du marché est rendue possible par l’existence de fortes barrières à l’entrée, parmi lesquelles les droits de propriété intellectuelle, les first mover advan-tages211, les sunk costs et les effets de réseau. Lorsque ces derniers sont décisifs, on parle de « tipping ». La seule stratégie qui reste à disposition des concurrents est la différenciation212.

L’évolution du classement des plus grandes entreprises américaines (en termes de capitalisation boursière) au cours des trente dernières années fournit un bon exemple du processus de concurrence dynamique. Sur les vingt plus grandes entreprises en 1970, seulement cinq font partie du top vingt en 2000213. Dix des entreprises les mieux classées en 2000, dont Microsoft, n’existaient pas en 1970214.

On relèvera enfin que la concurrence dynamique est souvent dénommée concurrence

« schumpétérienne », en référence au célèbre économiste qui, en 1942 déjà, était d’avis que la seule concurrence qui compte est :

« The competition from the new commodity, the new technology, the new source of sup-ply, the new type of organization (the largest scale unit of control for instance) – competi-tion which commands a decisive cost or quality advantage and which strikes not at the margins of the profit but at their foundations and their very lives. This kind of competi-tion is as much more effective than the other as a bombardment is in comparison with forcing a door, and so much more important that it becomes a matter of comparative indif-ference whether competition in the ordinary sense functions more or less promptly; the powerful lever that in the long run expands output and brings down prices is in any case made of other stuff »215.

IV. Régulation

La plupart des industries de haute technologie font l’objet d’une importante régle-mentation. L’exemple le plus frappant est celui des télécommunications. Son ouver-ture à la concurrence a exigé l’adoption de nombreuses règles garantissant le bon fonctionnement du marché.

211 Sur ce concept en particulier, cf. TEECE/COLEMAN (1998).

212 LIND/MUYSERT/WALKER (2002a), p. 22 ss.

213 Des géants tels que AT&T et General Motors sont sortis des vingt plus grandes entreprises. Sont restées IBM, General Electric, BP, Exxon Mobil et Coca-Cola.

214 EVANS/SCHMALENSEE (2002), p. 3 s.

215 SCHUMPETER (1942), p. 84 s. Cf. également MASON (1951), p. 139 ss. Différents courants économiques ont, par la suite, nuancé la notion de concurrence d’innovation. Cf. ELLIG/LIN (2001).

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Dans la mesure où il s’intégre dans la politique générale de la santé publique, le sec-teur pharmaceutique fait l’objet de règles spécifiques216. On distingue essentiellement deux catégories de normes qui ont un impact sur ledit secteur217 :

- Les normes de police qui garantissent la sécurité des produits pharmaceu-tiques, i.e. les dispositions relatives aux essais cliniques et à l’autorisation de mise sur le marché.

- Les normes qui visent à réduire les coûts de la santé publique – en première ligne la fixation du prix des produits pharmaceutiques. Les médicaments étant remboursés par les assurances, il est impératif que leur prix soit limité218. Ces deux groupes de normes ont une influence directe sur le développement de la concurrence dans le secteur pharmaceutique. Alors que les premières créent des bar-rières à l’entrée considérables, les secondes empêchent une concurrence par les prix.

§ 3 Transfert de technologie

I. Spécialisation et coopération en général

La complexité toujours croissante des activités de recherche et développement ainsi que la nécessité de détenir des actifs complémentaires spécialisés pour exploiter les innovations technologiques ont engendré une répartition des compétences entre les entreprises (phénomène de spécialisation), répartition qui caractérise désormais lar-gement les industries basées sur les hautes technologies219.

Dans le domaine pharmaceutique et biotechnologique par exemple, les premières entreprises extrêmement spécialisées, les new technology-based firms (NTBFs)220, ont vu le jour dans les années 1970. Plus précisément, leurs compétences se situent dans les premiers stades de la recherche et développement, par l’application des nouvelles connaissances en sciences de la vie à la recherche de nouveaux médicaments.

Les NTBFs ne disposent pas des actifs complémentaires nécessaires : elles n’ont ni les ressources financières pour effectuer les très coûteux essais cliniques et obtenir les autorisations de mise sur le marché, ni les compétences de production et de

216 OCDE (2000), p. 13 ss.

217 Il est possible de considérer les règles en matière de propriété intellectuelle comme une troisième catégorie de normes destinées à favoriser l’innovation. Cf. OCDE (2000), p. 13 ss.

218 La fixation étatique du prix des médicaments est propre à l’Europe, les Etats-Unis ne connaissant pas ce système.

219 Cette nouvelle forme de division du travail occupe une place importante chez ARORA/FOSFURI/GAMBARDELLA (2001).

220 On rencontre également l’abréviation NBFs pour New Biotechnology Firms.

41 cialisation des médicaments. Ce type d’activités est réservé aux grandes entreprises, qui sont souvent des multinationales221.

La répartition des compétences a pour conséquence que les entreprises sont con-traintes de coopérer222. D’un point de vue économique, les modes de coopération peuvent être distingués en fonction de nombreux critères, parmi lesquels le degré d’intégration des activités entre les parties223, le fait que les entreprises soient actives dans les mêmes industries ou, au contraire, détiennent des compétences moins proches (présence dans des industries différentes ou à des échelons de marché diffé-rents)224. Il est généralement reconnu que les modes de coopération se sont diversifiés et qu’il en existe désormais, en particulier lorsqu’il est question de technologie, une grande variété225.

Plus les marchés sont dynamiques (et donc connaissent une forte spécialisation) plus ils sont caractérisés par une importante coopération entre entreprises. On relèvera néanmoins que la coopération n’est pas propre à ces secteurs. Dans les industries plus traditionnelles, il arrive que les entreprises passent, par exemple, des accords de dis-tribution plutôt que d’intégrer les fonctions de disdis-tribution ou que les entreprises fa-briquent en commun des produits pour bénéficier d’économies d’échelle.

II. Notion économique de transfert de technologie

Dans la littérature économique, la notion de transfert de technologie est utilisée de façon extrêmement large. Elle comprend l’ensemble des situations dans lesquelles la technologie passe d’une entreprise à une autre, qu’il s’agisse d’un simple transfert, d’un échange mutuel de technologies ou d’une coopération plus complexe qui porte en partie sur des activités de recherche et développement226.

221 ARORA/GAMBARDELLA/PAMMOLLI/RICCABONI (2000).

222 HAGEDOORN/SCHAKENRAAD (1994) relèvent que les performances des entreprises qui coopèrent effica-cement sont supérieures à celles qui continuent d’opérer individuellement sur le marché.

223 En ce qui concerne ce mode de distinction en présence d’innovation technologique, cf. HAGEDOORN

(1990) et HAGEDOORN (1993).

224 Les développements effectués en management stratégique sont particulièrement éclairants à ce propos. Cf. DUSSAUGE/GARRETTE (1999).

225 ARORA/FOSFURI/GAMBARDELLA (2001), p. 2.

226 BESSY/BROUSSEAU (2000) relèvent qu’en France les accords de licence sont fréquemment associés à une coopération au stade de la recherche et développement. Le transfert de technologie est, en outre, souvent une composante d’accords de coopération complexes, qualifiés d’alliances straté-giques. Cf. DUSSAUGE/GARRETTE (1999). Par ailleurs, le transfert de technologie se distingue de l’externalité technologique (knowledge spillover), qui peut être définie comme le transfert involon-taire de connaissances, par exemple par la mobilité inter-entreprises du personnel ou par des activi-tés de rétro-ingénierie effectuées par des entreprises tierces (reverse engineering). Cf. COMBE

(2005), p. 189 s.; ARORA/FOSFURI/GAMBARDELLA (2001), p. 27 ss.

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Le transfert de technologie n’est plus un phénomène occasionnel. L’échange d’innovations entre entreprises constitue désormais une pratique aussi développée que les transactions de biens matériels. Cela a amené les économistes à reconnaître l’existence de « marchés de technologies » ou « marchés de brevets »227.

Deux constatations sont importantes à ce propos :

- Aussi bien les multinationales que les petites entreprises sont actives dans ce contexte228. Il ne faut, en outre, pas négliger que les universités jouent un rôle toujours plus important229.

- Les secteurs dans lesquels ces marchés sont les plus développés sont les indus-tries dynamiques, à savoir l’industrie pharmaceutique et biotechnologique ainsi que l’industrie des logiciels. Il est largement admis que ces secteurs ne devraient cesser de croître dans les années à venir.

III. Paramètres déterminants