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Marc Goujon 29 septembre

Mots clés : Réforme du CNRS

Avant d’aborder le CNRS proprement dit, il n’est pas inutile de rappeler comment nous en sommes arrivés à la situation actuelle.

Le système de recherche et d’enseignement supérieur que nous connaissons s’est construit à partir de l’immédiate après guerre jusqu’aux deux grandes lois Recherche et LRU de 2006 et 2007 sans oublier la Loi cadre de 1982.

Dans cette évolution, on peut distinguer deux périodes. La première va de 1945 au début des années 80. Elle a vu la montée en puissance du CNRS et des établissements de recherche comme l’INSERM, l’INRA et ce qui s’appelait alors l’ORSTOM devenu depuis l’IRD. On peut citer à titre de rappel, comme événement majeur, le colloque de Caen en 1956, la création du statut de chercheur et d’ITA contractuels de 1959 et la DGRST (délégation générale à la recherche scientifique et technique), l’invention de la notion de laboratoires associés au CNRS et enfin la création du statut d’Établissement public scientifique et de technologie (EPST) avec en 1984 la transformation du statut de contractuel de 1959 en corps de fonctionnaires.

Les trente années qui suivirent la Libération furent celles où les grandes écoles d’ingénieurs, de commerce et d’administration formèrent les élites dirigeantes de l’économie de l’administration et de la politique française. Pendant cette période, les universités restèrent le maillon faible du système français. Profondément touchées par le mouvement de mai 1968, elles eurent à absorber l’arrivée massive d’étudiants sans pouvoir

réformer leurs modes de gouvernance, de sélection et d’évaluation de leurs enseignants.

Durant les années soixante à quatre-vingt, le CNRS passa d’un effectif de 5000 agents à plus de 27 000 fonctionnaires. Le directeur général de l’établissement disposait alors des pouvoirs d’un quasi vice-ministre. Le CNRS comme le CEA était un des éléments clef de la politique gaulliste de renouveau de la science française avant d’être un pôle majeur de la recherche des années soixante-dix à quatre-vingt.

Durant cette époque, lentement le pilotage de la recherche se déplaça du CNRS à une structure d’État. Ce fut la montée en puissance de la DGRST et la création d’un Secrétariat d’État à la recherche et enfin d’un ministère de plein exercice.

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ES SIGNES D

ESSOUFFLEMENT ET LE DÉPLACEMENT DU CENTRE DE GRAVITÉ VERS LES UNIVERSITÉS

Á partir de ce moment-là, le modèle conçu à la fin des années 50 commença à être remis en question sous la double pression de milieux universitaires que la tutelle du CNRS sur la recherche universitaire indisposait de plus en plus et sous l’influence du modèle anglo-saxon de recherche et d’enseignement supérieur dont chacun pouvait constater la réussite mondiale.

L’arrivée de classements internationaux d’universités, les statistiques de l’OCDE montrant les faibles résultats de l’enseignement en France conduisirent à une réflexion d’où ressortait la nécessité de revoir un modèle de recherche et d’enseignement supérieur à bout de souffle.

Le choix qui fut fait consistait à transférer le pouvoir et les moyens en matière de recherche du CNRS et des autres EPST aux universités dont la gouvernance et la gestion avaient été modifiés dans le sens d’une plus grande autonomie. Ce fut l’objet de la loi Liberté et responsabilités des universités (LRU) de 2007. La loi de programme pour la Recherche du 18 avril 2006 confiait à deux agences, l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) et l’Agence pour l’évaluation de la recherche scientifique (AERES), les fonctions de financement et d’évaluation de la recherche.

Auparavant, ces deux missions étaient dévolues aux établissements de recherche à travers leur propre système de financement des recherches et de leur conseil d’évaluation des équipes et des personnes, en l’occurrence pour le CNRS, le Comité national de la recherche scientifique.

La tendance vers un rééquilibrage en faveur des universités s’est encore accentuée ces dernières années par des mesures comme le mandat unique de gestion qui confie aux universités volontaires la gestion des équipes CNRS présentes dans les laboratoires mixtes CNRS Universités.

Tant et si bien que l’on peut se poser dès maintenant la question de l’intérêt de l’existence d’un organisme comme le CNRS qui, petit à petit a été vidé de son rôle de pilotage stratégique pour devenir au mieux une agence de main-d’œuvre hautement qualifiée. Cette situation n’est pas due uniquement à la volonté des universitaires de s’affranchir de la tutelle du CNRS, elle résulte en partie de l’échec des réformes demandées par l’État à l’organisme depuis une trentaine d’années.

Trois sujets majeurs n’ont pu trouver en interne les voies de la réforme :

1.Faire vivre l’interdisciplinarité 2.Réformer le comité national

3.Disposer d’une véritable politique des ressources humaines.

Le CNRS, conçu pour accueillir l’ensemble des disciplines scientifiques, a échoué dans ce qui faisait une de ses originalités, la transdisciplinarité. Tous les essais d’introduction d’interdisciplinarité se sont cassé les dents sur les blocs compacts des disciplines peu disposées à partager le gâteau des crédits publics et rétives à faire une place aux disciplines naissantes.

Un deuxième échec fut celui de la réforme du comité national de la recherche scientifique devenu peu à peu le comité d’évaluation du CNRS dont les méthodes d’évaluation ont pris un sérieux coup de vieux et gagneraient à être sérieusement repensées.

Enfin, formidable réservoir de matière grise, le CNRS a toujours été incapable de mettre en place une réelle politique de gestion des ressources humaines pour ses chercheurs comme pour ses ingénieurs techniciens et personnels de gestion.

Ce bilan a conduit tout naturellement les responsables de la stratégie nationale de recherche et d’enseignement supérieur à contourner le CNRS et à mettre en place les outils permettant à terme de dynamiter l’obstacle.

Ce fut la création de l’ANR et de l’AERES. Puis la loi LRU, les PRES et autres IDEX, EQUIPEX et LABEX. Un bilan devra être fait sur l’autonomie des universités et sur les moyens investis à partir du Grand Emprunt.

Néanmoins, la question qui se pose actuellement est bien celle de l’avenir du CNRS, un réservoir de main-d’œuvre hyper qualifiée pour les universités ou un outil rénové de la recherche française ?

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ES CONDITIONS POUR UN RENOUVEAU

Tout d’abord il faut reconnaitre que l’établissement créé dans des conditions critiques, le 19 octobre 1939 soit moins de cinquante jours après la déclaration de guerre du 3 septembre, avec deux directions, la recherche fondamentale et la recherche appliquée avait toutes les raisons de disparaître dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale. Contre toute attente, il survécut et fut refondé à la Libération avec des missions ambitieuses qui sont encore parmi les atouts majeurs de l’organisme.

À la différence des universités, il s’agit d’un organisme national pouvant concevoir et mettre en œuvre une politique de recherche à l’échelle du pays et à celle de l’Europe du fait de ses partenariats nombreux.

Il rassemble l’essentiel des disciplines scientifiques qui peuvent dialoguer au travers de nombreux organes, ne serait-ce qu’au cours de la réunion hebdomadaire du comité de direction du CNRS où elles sont toutes représentées.

Le CNRS est l’outil de pilotage des grands instruments nationaux et internationaux, seul un organisme national peut remplir ce rôle.

Il possède dans tous les domaines un personnel de recherche de haute compétence dont les découvertes et les interventions publiques jalonnent l’avancement des connaissances et émaillent les débats de société.

Tout ceci constitue un capital précieux qu’il serait contre productif pour la Nation de négliger. La question qui se pose dès lors est celle de la meilleure stratégie pour redonner au CNRS sa pleine efficacité.

U

N

CNRS

POUR LE

XXI

ÈME SIÈCLE

Comme on l’a vu plus haut, le CNRS tel qu’il existe actuellement est un modèle à réformer profondément. Les essais de réformes internes des dernières années ont échoué pour une raison qui n’est pas propre au CNRS mais qui tient plus à la sociologie des organisations.

Celles-ci, par essence conservatrices dans leur mode de fonctionnement, sont sans doute les moins aptes à proposer leurs propres réformes. Lorsque cela à été le cas, au CNRS, on assista à des réformes cosmétiques très éloignées des besoins réels mais propres à garantir la paix sociale interne. La vraie réforme ne peut venir que de l’extérieur et doit disposer d’un appui politique puissant.

Une réflexion sur l’avenir du CNRS pourrait partir de ce qui a fait son prestige et de ce qui constitue son originalité par rapport aux autres organismes et aux universités : ses ressources humaines, sa pluridisciplinarité, son caractère national et européen, sa capacité de réactivité en termes de moyens humains et financiers, son expertise comme réservoir de pensées (Think Tank) à disposition des décideurs et au service de la société.

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ES RESSOURCES HUMAINES

Fonctionnaires depuis 1984, les personnels du CNRS sont régis par des statuts qui auraient besoin d’un sérieux dépoussiérage pour les adapter aux besoins du monde actuel.

Plusieurs directions peuvent être indiquées :

 Une réforme des grilles de salaires et une fusion de certains corps redondants afin de proposer des rémunérations plus proches des standards internationaux.

 En corrélation avec cette remise à niveau, une évaluation revisitée pour les chercheurs et les ITA liant plus qu’avant, primes et promotions à une évaluation annuelle des résultats.

 L’existence d’une capacité de recrutement de personnels contractuels de haut niveau pour des périodes déterminées afin d’attirer les meilleurs chercheurs internationaux.

 Un comité national aux objectifs refondés et aux modalités d’action revues. Il faudrait, entre autre revoir l’équilibre interne des sections en renforçant le nombre d’experts nommés, en ouvrant davantage aux experts étrangers et en allant vers la parité entre élus et nommés.

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A PLURIDISCIPLINARITÉ

C’est l’échec le plus douloureux pour le CNRS. Une des propositions pour en sortir serait non plus de concevoir le CNRS en grandes directions scientifiques ou institut nationaux mais en directions pluridisciplinaires chargée chacune d’une des préoccupations de la Stratégie Nationale de Recherche et d’Innovation (SNRI).

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ON CARACTÈRE NATIONAL ET EUROPÉEN

Sur le plan national, premier opérateur de la SNRI, le CNRS doit être le creuset où se forment les nouveaux axes de recherche, il doit en outre assumer son rôle d’expert auprès des pouvoirs publics et du Parlement.

L’Union européenne dispose d’une stratégie à horizon 2020, et d’un budget conséquent en matière de recherche précompétitive. Les opérateurs de recherche européens sont regroupés dans un certain nombre de structures où le CNRS, du fait de sa taille et de ses moyens, est apte à faire entendre la voix de l’organisme et à mettre en œuvre la déclinaison européenne de la politique de recherche française.

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A CAPACITÉ DE RÉACTIVITÉ

EN TERMES DE MOYENS HUMAINS ET FINANCIERS

Avec un budget de 3MM € et un effectif de 27 000 personnes, le CNRS doit pouvoir mobiliser rapidement des moyens sur des recherches novatrices, en investissant dans des domaines à risque mais prometteurs. Un des ressorts de son renouveau se situe dans cette direction où il est, avec le CEA et ses partenaires des autres EPST, le plus à même de fournir rapidement des moyens.

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E

CNRST

HINK

T

ANK

L’établissement devrait en outre constituer un réservoir de pensées (Think tank) à partir de données collectées en interne et en externe.

La structure appelée la Coopérative en liaison avec l’OST et l’OCDE est un bon exemple de ce que le CNRS est capable de produire. Il lui

manque cependant l’outil stratégique pour exploiter ces données et proposer des scenarii d’action.

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N ÉTABLISSEMENT CONSACRANT UNE PARTIE DE SES MOYENS À LA COOPÉRATION

AVEC LE MONDE INDUSTRIEL ET DES SERVICES

Si la recherche fondamentale et l’accroissement des connaissances restent un des buts primordiaux du CNRS, l’organisme ne peut ignorer le monde économique qui l’entoure et doit apporter sa contribution à l’excellence et à la renommée de la production française. Ceci est encore plus vrai dans les périodes de crise que nous connaissons actuellement.

C

ONCLUSION

En définitive, ces propositions comme d’autres resteront lettre morte si aucune structure n’est chargée par une autorité politique de réfléchir rapidement à la réforme de l’organisme.

Afin de disposer de la sérénité nécessaire pour formuler des propositions autres que le point d’équilibre entre des groupes de pression divers, il est suggéré de mettre sur pied un groupe de travail comportant des scientifiques, des gestionnaires de la recherche français et des étrangers suffisamment connaisseurs des questions de recherche mais également suffisamment éloignés des intérêts divers et variés pour être à même de proposer une réforme ambitieuse.

Ils devront travailler avec, à l’esprit que le CNRS dispose là sans doute d’une des dernières occasions de jouer un rôle majeur dans le renouveau de la recherche française en liaison avec la poursuite de la réforme des universités de notre pays.

Marc Goujon est ancien directeur adjoint aux relations internationales du CNRS, responsable du projet Musée des Arts premiers au quai Branly et Inspecteur Général de l’Administration de l’Éducation Nationale et de la Recherche honoraire.