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À l’échelle nationale et internationale, l’émergence des études coréennes peut-elle survivre longtemps à une programmation

scientifique aussi impérieuse que sans pilotage ad hoc ?

S’en déduisent quelques propositions d’actions, formulées brièvement, dans trois domaines très différents : pilotage, diffusion de la connaissance, relations internationales. Chacune est déclinée en deux volets, l’un facile à mettre en place, l’autre plus ambitieux.

U

NE NÉCESSAIRE CONSOLIDATION

1) Pilotage : orientation nationale, passerelles, plan décennal de

formation

Parce que la puissance coréenne est ce qu’elle est, parce que les études coréennes constituent un domaine émergent (parmi d’autres) et parce qu’elles sont particulièrement vulnérables à la recomposition (décomposition) en cours qu’induit la naissance des PRES les études coréennes réclameraient un peu d’attention particulière.

A minima : on pourrait attendre d’un pilotage vraiment national de la recherche qu’il institue au sommet du Ministère une structure d’orientation destinée de réfléchir à des « passerelles »

trans-PRES visant à contrebalancer, par des actions concrètes

(autres que la réunionite), la dérive des continents.

 Au mieux : pour faire face aux multiples formes de « demande de Corée », on pourrait envisager la mise en place d’un plan

décennal de formation échappant aux à-coups et aux effets

d’aubaine. Il s’agirait de créer un « horizon de postes » (enseignant ou chercheur), sans aucun autre fléchage que « langue + discipline », soutenu au départ par des bourses (en master) puis des contrats doctoraux. À charge pour les établissements, CNRS ou universités, ayant connaissance de ce vivier, d’ouvrir ensuite les postes « en réserve » – éventuellement reportables un nombre donné d’années – selon leurs procédures usuelles et le schéma national de la LRU.

2) Les aires culturelles, un savoir stratégique ? Traduction,

veille scientifique et diffusion de la connaissance

L’Asie en général nous connaît mieux que nous ne la connaissons. Cette dissymétrie en héritage est plus abrupte encore entre France et Corée. Elle ne sera pas indéfiniment sans conséquences pratiques depuis que nous n’avons plus le monopole des Lumières. Il est donc temps d’envisager les SHS et les aires culturelles aussi comme des savoirs stratégiques qui ne prospèrent pas dans les vases clos (supposés) de la pure érudition.

 Au minimum : il ne semble pas inutile de faire un effort plus soutenu (à dire vrai il existe à peine) du côté de la traduction. À quoi pense la Corée ? Comment pense la Corée ? Que sait-elle et

dit-elle de nous ? Que nous apprend-elle des grands problèmes du monde passé, du présent, des mondes futurs ? Sur des bases scientifiques solides, traduire en français tout un univers de savoir (même un tout petit peu) ne semble pas hors de portée.

 De façon plus ambitieuse : il faudrait (en parallèle avec le plan de formation décennale évoqué plus haut) prendre de façon plus

systématique la mesure de la production scientifique en Corée

(en Asie) en général : tout ne se dit pas en anglais ; tout dispositif de veille n’est pas automatisable et purement quantitatif. Que pouvons-nous faire, que savons-nous faire pour mieux appréhender (puis rediffuser) ce que pense le monde coréen des grandes questions scientifiques et sociétales qui travaillent notre époque ? Quelles ressources de concepts ou de pratiques gisent là, éclairantes ou utiles pour nous ?

3) Relations internationales : changer de braquet… et remettre

les SHS dans la boucle : pour une Maison franco-coréenne… à

Séoul ET à Paris

Les relations scientifiques internationales sont aujourd’hui décisives. Dans les faits, elles passent informellement par des individus, demeurent assez superficielles, manquent de constance, de moyens et de résultats : le tout semble peu efficace. Surtout : ni la Corée ni les SHS ne sont au devant (ou même en cinquième ligne) des priorités françaises.

Qui lit le coréen (ou examinera la liste des projets financés) pourra à cette aune évaluer le programme STAR liant France et Corée du Sud : outre que le CNRS n’a plus d’accord cadre avec ce pays, le partenaire dans la péninsule n’affiche aucun intérêt pour les SHS autres qu’immédiatement applicables à l’industrie (contrairement à ce qu’avance la partie française).

A minima : il est urgent (voir ci-dessus), de redonner aux échanges entre France et Corée un éventail disciplinaire un peu moins étroitement utilitariste ou « techno-sciences dures » lesquelles occupent tout le champ depuis maintenant 10 ans. Les accords STAR ont certes le mérite d’exister. Il n’est pas trop tard de faire l’effort de les adosser à des partenaires coréens… qui pratiquent (et financent) aussi la recherche en SHS. Il y en a.

 De façon plus ambitieuse : un big bang s’impose. Les échanges scientifiques franco-coréens continuent d’être à la remorque de bureaux régionaux situés à Tokyo ou à Pékin qui prennent mal la mesure et de ce que produit la science coréenne (et pas du tout de

ce qui s’y pense en SHS). On me pardonnera ici d’insister lourdement sur les dividendes de notre soft power…

 On peut donc enfin faire le choix de l’ambition : en créant à Séoul, comme on le faisait à Tokyo il y aura bientôt un siècle, une Maison franco-coréenne, fonctionnant peu ou prou dans les mêmes conditions et dans les mêmes domaines, associant la recherche et les affaires étrangères (façon UMIFRE).

 On peut même faire beaucoup mieux : en la structurant d’emblée à égalité d’ambitions et d’intérêts comme une structure d’échanges et de circulations bilocalisée à Paris et à Séoul. Il n’est pas trop tard pour mettre nos actes à la hauteur de nos ambitions verbales.

Il n’est pas trop tard de concevoir des ambitions françaises au sujet de la Corée.

Il n’est pas trop tard surtout pour sortir du XIXe siècle…

Alain Delissen, historien, est spécialiste de la Corée coloniale et des usages publics du passé dans le monde coréen. Il est directeur d’études à l’EHESS, directeur de l’Institut d’Études Coréennes du Collège de France et membre de l’UMR 8173 Chine, Corée, Japon.

Apparition (ou réapparition ?) de la