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Christophe Serra Mallol 4 août

Mots clés : Anthropologie, Ethnologie, Polynésie, Sociologie

L’Asie-Pacifique est une vaste région de contrastes bénéficiant d’une biodiversité exceptionnelle tant marine que terrestre et d’une grande diversité culturelle. Pourtant la recherche dans le Pacifique reste le « parent pauvre » de la recherche française sur des aires culturelles non européennes, par comparaison par exemple avec les travaux de nos confrères anglo- saxons sur la région, ou des chercheurs africanistes francophones.

Les changements importants intervenus ces dernières années sur cette aire sont pourtant porteurs d’une dynamique propice à la recherche. Ainsi, la prise de conscience d’un développement nécessaire d’un modèle socio- éco-politique propre au milieu insulaire pacifique, qui à la fois dépasse la faillite relative du Pacific Way et s’appuie sur les conséquences des nouveaux enjeux de la région. Ou encore la prise de conscience récente au niveau régional de l’importance essentielle, tant au niveau sanitaire qu’économique (le poids croissant dans les dépenses de santé) et social (phénomènes de stigmatisation, modification des modèles traditionnelles encore prégnants), de l’impact des maladies non transmissibles, et notamment celles liées aux changements récents de modèles alimentaires : obésité morbide, diabète, maladies cardio-vasculaires… De même, la montée en puissance du rôle joué au niveau régional par des États anglophones (Australie notamment) et asiatiques (Chine) auprès des petits États insulaires fait poser la question de plus en plus cruciale de la place de la France dans cette région.

L’état des forces et des faiblesses de la recherche française en sociologie et anthropologie explique en partie l’actualité de cette question.

La recherche française semble se caractériser par son absence de pluridisciplinarité, au sein même des centres de recherche : les projets de recherche mis en œuvre restent encore et toujours cloisonnés entre disciplines, contrairement aux grands projets de recherche lancés depuis plus d’un demi-siècle par les États anglophones (États-Unis, Nouvelle- Zélande…)

L’isolement par rapport aux autres chercheurs sur l’aire, entre plusieurs entités sans grands contacts entre elles (UPF, UNC, CREDO…), et l’individualisme de mise au détriment de travaux collectifs, malgré les progrès accomplis ces toutes dernières années par la mise en œuvre du Réseau Asie-Pacifique, restent toujours d’actualité.

Enfin, les rapports difficiles avec les institutions sociales (politiques et économiques) restent une constante de la recherche française, toujours dans une position de méfiance et/ou dédain vis-à-vis de ces institutions, essentielles pourtant dans la relation avec le corps social et la mise en œuvre d’actions, au contraire des relations décomplexées des équipes de recherche anglophones avec ces mêmes institutions, ces dernières trouvant ainsi des moyens financiers et matériels accrus de présence et de recherche.

De fait, les travaux entrepris restent à portée restreinte, sans visée générale ni même appliquée.

Plus généralement, et au-delà d’une vision « primitiviste » inavouée qui tend à assigner les sociétés insulaires du Pacifique dans un passéisme immobilisant et un « spécificisme » proche du « bongo-bongoïsme » dénoncé par Mary Douglas, une prise en compte des adaptations propres des sociétés insulaires au processus de globalisation est indispensable, et notamment de la façon dont les communautés cherchent et trouvent de manière dynamique des solutions alternatives au modèle dominant occidental. L’intérêt récent et grandissant pour cette région, dans un contexte post-colonial mieux assumé, ne se concrétise pas encore dans les grands projets ni dans la visibilité des travaux entrepris par des équipes francophones de recherche.

De nouvelles thématiques et axes de recherche émergents pourtant et sont porteuses d’espoir pour les années à venir.

Ainsi en est-il du champ de la socio-anthropologie de l’alimentation. Ce champ s’est constitué en France il y a plus de trente ans autour de Jean- Pierre Poulain (PR Université Toulouse 2), Claude Fischler (DR CNRS) Annie Hubert (DR CNRS) et Jean-Pierre Corbeau (PR Université de Tours) notamment, et représenté à l’étranger par des chercheurs de renom (avec M.

Douglas, J. Goody, A. Warde, S. Menell au Royaume-Uni, P. Rozin, Farb P., M. Harris et N.J. Pollock aux États-Unis, J. Contreras en Espagne…).

Des évaluations récentes ont quantifié le nombre de chercheurs français ayant déjà au moins une publication à leur actif à 150 à 200 personnes au sein de 52 unités de recherche, dont la moitié comme enseignants-chercheurs et le tiers en tant que chercheurs CNRS. Le champ de la socio-anthropologie de l’alimentation se voit doter d’un Réseau thématique pluridisciplinaires (RTP7) en cours de constitution au CNRS.

Le champ de l’alimentation est abordé par plusieurs disciplines dont l’histoire, la sociologie, l’anthropologie sociale et culturelle, l’économie, et l’anthropologie biologique et la préhistoire. Actuellement une quarantaine de thésards travaillent sur ce champ en France.

Les principales thématiques identifiées en France sont les suivantes :

 Processus de patrimonialisation de l’alimentation ;

 Effets culturels, d’âge et de génération, de niveau social et de genre, processus de différenciation et inégalités ;

 Médicalisation et institutionnalisation de l’alimentation.

 Des thématiques sont émergentes :

 Alimentation et génétique (épi-génétique…) ;

 Socialisation des troubles alimentaires ;

 Biodiversité, développement durable et modèles alimentaires ;

 Controverses scientifiques et enjeux sociaux ;

 Évolution des politiques alimentaires ;

 Innovation alimentaire entre recherche fondamentale et applications.

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Un réseau thématique pluridisciplinaire (RTP) est « une formule institutionnelle de regroupement de laboratoires, d’équipes de recherche ou de scientifiques, appartenant à des disciplines différentes, autour d’un thème particulier ou d’un objectif clairement défini.
 Créé par la direction de l’INSHS pour une durée de trois ans, il est essentiellement un outil d’assistance à la politique scientifique et une instance chargée d’émettre des avis et des propositions ». Le RTP Alimentation (en cours de constitution) du CNRS vise à promouvoir le développement d’une approche pluridisciplinaire du fait alimentaire (voir http ://www.cnrs.fr/inshs/recherche/RTP-alimentation/presentation.htm)

La zone Asie-Pacifique est une zone en plein développement dans le domaine de la recherche, notamment du fait de l’expansion du poids des universités des pays asiatiques, et de l’importance plus classique de l’anthropologie américaine et française dans le Pacifique insulaire. Depuis une quarantaine d’années, la recherche en socio-anthropologie de l’alimentation en Asie-Pacifique a été plutôt le fait d’anglo-saxons (USA et Hawaii, Nouvelle-Zélande, Australie, Fidji…). Des recherches françaises continuent à être mises en œuvre notamment dans le Pacifique insulaire (voir notamment, après ceux de J. Barrau, les travaux de F. Douaire- Marsaudon, M.C. Bataille-Benguigui, S. Lacabanne, V. Lebot, C. Serra Mallol…), mais également en Asie du sud-est.

Ainsi l’Université de Toulouse 2 Le Mirail développe, à travers l’institut ISTHIA (ex CETIA8

) au sein du laboratoire CERTOP9 des travaux de recherche sur les thèmes de la socio-anthropologie de l’alimentation appliquée à l’insularité, et notamment en Malaisie et au Vietnam, en développant des travaux sur le thème de la convergence culturelle et de la multiculturalité. Elle témoigne des influences socio-culturelles sur ces zones géo-économiques particulières que sont les milieux insulaires du Pacifique, et constitue un terrain d’observation privilégié des impacts socio- économiques sur le développement de maladies non transmissibles et liées aux modes de vie (obésité, diabète, cancer…) du fait de la transition rapide en œuvre dans ces sociétés.

Les relations étroites mises en œuvre depuis une dizaine d’années entre l’Université de Toulouse 2 Le Mirail et des centres universitaires en Malaisie et au Vietnam ont permis le développement de collaborations scientifiques fructueuses dans le domaine de la socio-anthropologie de l’alimentation et de la sociologie du tourisme sur une zone asiatique en plein développement économique et sur des marchés dits « émergents ». Une convention conjointe Taylor’s University Center de Kuala Lumpur – Université de Toulouse 2 a permis la création du Toulouse Taylor’s University Center et d’une chaire de Recherche Food Studies sur l’alimentation confiée au professeur Jean-Pierre Poulain. Des travaux sont en cours pour mettre en place un observation des pratiques alimentaires sur

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ISTHIA (Institut Supérieur du Tourisme de l’Hôtellerie et de l’Alimentation), anciennement Département CETIA (Centre d’Etudes sur le Tourisme et les Industries de l’Alimentation) du Département LEFL (voir www.cetia.fr/)

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Centre d’Etudes et de Recherche Travail, Organisation, Pouvoir (CERTOP) UMR 5044 (voir http ://w3.certop.univ-tlse2.fr/)

l’ensemble de la région Asie-Pacifique sous la forme du Asia Pacific Food Barometer.

En matière de socio-anthropologie de l’alimentation, les phénomènes d’urbanisation et de vieillissement des sociétés insulaires du Pacifique, le processus continuel de changement des modèles alimentaires traditionnels et ses conséquences tant sanitaires que sociales, sont porteurs d’enjeux renouvelés, dont les résultats pourraient permettre, au-delà du strict aspect recherche, la mise en œuvre de politiques publiques régionales mais également jouer le rôle de modèle dans le monde occidental en matière de prise en compte du concept de durabilité dans les modes de développement actuels.

Des mesures qui permettraient d’améliorer et d’accroître les travaux et la visibilité de la recherche française sur le Pacifique sont à envisager.

La mise en place de coopération entre institutions, à l’image du Pace- net dans le domaine du changement climatique, pourrait être initiée en matière de recherche en sciences sociales sur des problématiques transverses : souveraineté et institutions politiques, alimentation et santé, migrations et multiculturalité etc…

Un développement de réponses conjointes à appel d’offres de projets de recherche, associant des chercheurs provenant de disciplines et d’institutions différentes, est à envisager par la mise en place d’une plate- forme de réponse commune et désignation de « porteurs de projet transdisciplinaires ».

Une visibilité plus importante sur les fonds disponibles pour la recherche dans les grandes institutions internationales (Union Européenne, Commission du pacifique sud, Organisation Mondiale pour la Santé… ) est pour ce faire indispensable, notamment par la mise en œuvre d’une « veille » assurée par un organisme commun (le Réseau Asie-Pacifique) avec diffusion des informations en fonction des profils individuels de chercheurs disponibles sur le Livre Blanc du Pacifique.

La création d’un comité de recherche dédié au Pacifique (comme il en existe déjà un dédié à la Chine) au sein de l’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF) permettrait également d’assurer une présence aux manifestations organisées par cette association, et de mettre en place des cycles réguliers de réunions et de travaux conjoints.

Christophe Serra Mallol est socio-anthropologue, Maître de conférences à l’Université de Toulouse 2 - CERTOP (UMR 5044)

et a été l’un des sept responsables d’atelier pour les États Généraux de l’Outre-mer en Polynésie française en 2009. Il est également chercheur associé au Centre Edgar Morin-IIAC (UMR 8177).

L’Approche française