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Jean-Yves Faberon 17 juillet

Mots clés : Conflits, Croyances, Religion

L’Océanie est un monde pluriel. Cet ensemble géographiquement composite, cette mosaïque de terres éparpillées sur le grand océan de leur communication vit de peuplements divers : pluralisme des ethnies, pluralisme des histoires, pluralisme des traditions et des modes de vies respectifs, des coutumes et des organisations. Dès lors, s’il est un « paradis » océanien, c’est bien celui des sciences sociales !

L’Océanie est un champ immense de croyances de toutes sortes : ces croyances qui expriment chacune un aspect de l’humanité. Aussi, une appréhension globale de ce champ de recherches serait nécessaire pour en retracer les origines et en déterminer les enjeux afin de contribuer à expliquer la cité océanienne d’aujourd’hui, observée par le prisme révélateur des religions. Il apparaît pourtant de manière saisissante que la recherche, sans ignorer bien évidemment tel ou tel aspect historique ou sociologique, ne s’est pas attelée à l’ensemble des facettes de la question essentielle de la religion en regard du droit dans la société océanienne. Pour organiser les sociétés, il faut prendre garde à la puissance transcendante des religions. Comme le disait le Doyen Carbonnier : « Les juristes ne mesurent pas assez combien le droit est facultatif même dans les secteurs qu’il proclame d’ordre public » (Flexible droit, p.33). Pour autant, les hommes et les femmes ont deux besoins inextinguibles : de croyances et d’ordre. Il y a toujours un moment où ces deux attentes se rencontrent. Cela peut être conflictuel ou consensuel, cela peut tenir de la coexistence sereine, mais il y a toujours une alchimie en ce domaine. C’est dire qu’un tel écheveau a besoin de chercheurs pour contribuer à le dénouer. Les historiens ont apporté leur contribution (Frédéric Angleviel, Claire Laux et ses disciples comme Paul Fizin, pour ne citer qu’eux), les géographes dans le sillage de Christian Huetz de Lemps hier, récemment les cartographes comme Jean- Christophe Gay, les anthropologues (Alban Bensa, Serge Tcherkézoff, Paul de Deckker). Et bien sûr les juristes sont indispensables dans un contexte

extrêmement sensibilisé aux questions institutionnelles toujours en évolution, sans doute parce l’avenir politique dépend largement de sa définition statutaire. Pour faire bref, on dira que partout dans le Pacifique le débat entre association et souveraineté propre se traduit toujours juridiquement. Les travaux purement juridiques ne manquent pas ; mais pour une véritable maîtrise de la connaissance des situations, ce sont des recherches pluridisciplinaires qui sont indispensables. On en a des exemples pertinents avec les colloques organisés par Paul de Deckker et Jean-Yves Faberon, par Jean-Marc Regnault et Viviane Fayaud. Et pourtant un domaine reste effleuré par la recherche pluridisciplinaire, celui de la prégnance de la religion dans l’ordre social.

Il n’existe pas à proprement parler à ce jour de dynamique globale d’une telle recherche, pourtant amorcée ponctuellement. Il manque par exemple les enjeux théoriques de la place de la religion dans les cités d’Océanie, ou l’approfondissement de cas, notamment les cas significatifs de confrontation de croyances religieuses et de groupes sociaux. Ces thèmes méritent pourtant d’être approfondis parce qu’ils donnent la clé de la compréhension globale des sociétés océaniennes. Comment comprendre les spécificités si accentuées de la Polynésie française sans connaître la dimension religieuse de ce pays ? Comment le prétendre, de la même manière, à Wallis et Futuna, aux Samoa, etc ?

Depuis que les hommes se sont organisés en pouvoirs, la religion a d’abord régulé la politique, puis en a été un élément influent sans jamais être bien loin du pouvoir, même dans les régimes laïcs ; le droit a toujours dû tenir compte du sacré. Cela est particulièrement évident dans les pays d’Océanie, zone où les présences religieuses sont toujours prégnantes. La Nouvelle-Calédonie pluriethnique et plurireligieuse, évangélisée depuis les profondeurs de la France métropolitaine, est un cas exemplaire. Elle n’a pas, comme jadis en Algérie, ou comme c’est le cas aujourd’hui à Fidji, à résoudre un problème politique aggravé de différences religieuses.

En effet, la Nouvelle-Calédonie d’aujourd’hui est en train de déterminer son devenir institutionnel, et elle doit l’accomplir tout en s’arrimant à ses valeurs permanentes, pour son indispensable cohésion sociale. La France républicaine et laïque est enracinée en Nouvelle- Calédonie, terre de religions : dans ce pays de paradoxes, le respect de toutes les croyances rayonne. La mutation des institutions ne pourra s’y faire qu’en respectant les traditions et les religions. Les religions, elles, sont toujours dans la Cité, et elles ne sont elles-mêmes que si elles renforcent le lien de la paix, le lien qui libère, et qu’elles bannissent tous les fanatismes. Cela est apparu de manière éclatante lors du moment fondateur des accords

Matignon en 1988. Dans ce pays où la fracture politique fondamentale entre indépendantistes et non indépendantistes ne recouvre aucune distinction religieuse, la « mission du dialogue » qui allait faire basculer le pays dans la paix après une décennie de graves événements, était composée de représentants des différentes religions et philosophies. Et ils ont réussi leur mission pour la reprise du dialogue entre ceux qui venaient tout récemment de s’entretuer dans une grotte.

La source de la paix calédonienne d’aujourd’hui même, est dans cette « mission du dialogue » œcuménique par laquelle le pays a été comme touché par la grâce au lendemain d’exactions barbares et d’anathèmes réciproques.

À la suite des accords Matignon, l’accord de Nouméa de 1998 est la moderne arche d’alliance océanienne. Cette cohésion se fonde sur des croyances et des règles ; les unes et les autres s’avèrent étroitement imbriquées car autant les règles ont besoin qu’on croie en elles, autant les croyances doivent être respectées par les règles. L’ordre public comme les religions, ces aspirations éminemment humaines, sont naturellement en relation d’association : c’est dire que la connaissance des sociétés océaniennes passe indubitablement, plus encore qu’ailleurs, par des recherches. Quel que soit le centre de gravité scientifique des manifestations visant à mieux connaître l’Océanie, il apparaît bien que la communauté scientifique doit impérativement être aidée à les organiser. Le Pacifique n’est peut être pas le « nouveau centre du monde » évoqué dans les années 1980, mais il est à l’évidence caractérisé tant par le foisonnement des angles de recherche pleins d’intérêts de sociétés pluralistes et en expansion évoquées au début de ces lignes, que par le caractère encore trop embryonnaire des recherches en sciences sociales à son égard.

Jean-Yves Faberon est professeur de droit et conseiller auprès du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

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