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Jean-Luc Racine 16 avril

Mots clés : Géographie, Inde, Pakistan, Sciences politiques

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ES ENJEUX

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PRÈS DU QUART DE L

HUMANITÉ

L’Asie du sud compte aujourd’hui, avec l’Inde et ses voisins (Pakistan, Bangladesh, Népal, Bhoutan, Sri Lanka, Maldives – on y ajoute parfois l’Afghanistan), plus d’un milliard et demi d’habitants : près du quart de la population mondiale. Berceau de l’hindouisme qui y fleurit toujours, et du bouddhisme qui s’en est largement émancipé, l’Asie du Sud compte quelque 450 millions de musulmans. Babel linguistique, elle est géographiquement diverse, des glaces himalayennes aux eaux équatoriales, des déserts baloutches aux plantations de thé de l’Assam. Entre crispations identitaires ethnolinguistiques ou religieuses et révolutionnaires maoïstes, entre parlementarisme à l’indienne et dictatures militaires, l’Asie du Sud est un extraordinaire laboratoire où se croisent vivantes cultures populaires et hautes cultures philosophiques, paysanneries prolétaires et classes moyennes connectées, réseaux transnationaux des élites mondialisées et des radicaux salafistes, armement nucléaire et programmes spatiaux, malnutrition et quête de puissance. Civilisation éblouissante soumise au joug transformateur de l’Empire britannique, l’Asie du Sud est un terreau où furent pensés le post-colonialisme et le multiculturalisme, dont une diaspora savante a fécondé les universités de la Ivy League américaine. Elle est aussi, avec la montée en puissance de l’Inde, un acteur de l’émergence – de la réémergence – de l’Asie, et donc un des facteurs du « basculement du monde » : cinq siècles après la Renaissance et ses suites constructrices de l’hégémonie européenne (grandes découvertes, philosophie des Lumières, révolution industrielle, colonialisme) les émergents dessinent aujourd’hui le futur visage du monde multipolaire et appellent à redéfinir les règles du jeu

international. Le champ de recherche est donc immense. L’un des défis qu’il suscite est de trouver les moyens d’analyser une aire culturelle à forte personnalité tout en nourrissant des problématiques transversales indispensables à la compréhension du monde d’aujourd’hui, dans une double dialectique qui mobilise à la fois le local et le global, et qui face à l’événement qui donne au présent un sens nouveau, demande les clés d’interprétation qui mobilisent l’épaisseur de l’histoire.

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ES SAVOIRS

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CHAMPS SCIENTIFIQUES ET ORGANISATION INSTITUTIONNELLE

Face à un tel objet multiforme, la recherche française est, pour l’essentiel, à la hauteur. Elle dispose de longue date d’un savoir linguistique et d’une tradition d’érudition problématisée qu’ont vivifié les évolutions d’institutions centenaires (École Française d’Extrême Orient, EFEO) ou plus que centenaires (Collège de France, Inalco, École Pratique des Hautes Études) et l’essor de l’EHESS. Dans ce tableau, le CNRS joue un rôle essentiel, par ses unités, souvent mixtes, par ses recrutements, par son ouverture nouvelle aux instituts de recherche à l’étranger.

Dans le panorama des études sur l’Asie du Sud on peut distinguer, de manière arbitraire, les institutions consacrées à la zone, celles qui l’englobent dans des champs de recherche plus vastes portant sur l’Asie, et la galaxie des institutions, universités, grands établissements ou autres, qui comptent soit de petits noyaux de chercheurs, soit des chercheurs (et plus encore des doctorants), travaillant sur un des pays d’Asie du Sud, de façon permanente ou occasionnelle. Le tableau ci-dessous ne vise pas à l’exhaustivité : il entend simplement identifier les principaux acteurs et, pour le reste, illustrer la complexité du paysage des études sud-asiatiques en France.

À l’EHESS, le Centre d’Études de l’Inde et de l’Asie du Sud (CEIAS : UMR 8564) est le plus important sur la zone, par le nombre de ses membres statutaires (une trentaine) ou associés (une quarantaine). Il est aussi, et c’est décisif, une pépinière de doctorants et de jeunes chercheurs. Par ses membres associés le Centre est lié à de multiples établissements qui comptent des chercheurs sur la région : de l’Institut de Recherche sur le Développement (IRD) au Centre d’Études et de Recherches Internationales de Sciences Po (CERI : UMR 7050) ; de l’Université Paris-Ouest la Défense (chercheurs du laboratoire d’ethnologie et de sociologie

comparatives, UMR 7186, géographes du GECKO (EA 375), aux enseignants chercheurs de l’EPHE ou de l’Inalco.

Le CEIAS, dès son origine, a voulu mettre en résonance les études textuelles et les études de terrain. Ses sections de rattachement au CNRS soulignent ses champs de recherche privilégiés (Sociétés et cultures, section 38 au premier chef ; Mondes modernes et contemporains, section 33 ; Espace territoires et sociétés, section 39 en rattachements secondaires). Ses neuf équipes interrogent ainsi, dans le quadriennal en cours, « la première modernité », l’orientalisme, la production et les usages des textes, les territoires du religieux, le soufisme au Pakistan, la citoyenneté, les politiques socio-économiques et les recompositions territoriales indiennes, l’idée et la pratique des frontières, les « industries culturelles », offrant ainsi à la fois les outils aiguisés de l’interprétation du passé et des héritages structurels de la région et ceux requis par l’analyse des grandes transformations en cours.

Le Centre d’Études Himalayennes (UPR CNRS 299) est l’autre grand pôle spécialisé sur la région, et sur ses marges tibétaines. Avec 11 chercheurs CNRS ethnologues et géographes et un tibétologue de l’EPHE, ses doctorants et ses post-doctorants, il passe au crible le monde himalayen (et l’Inde du Nord-Est) par la double approche de l’ethnologie et de la géographie, la structurant autour de quatre champs de recherche : politique, conflits, justice ; appartenances, territoires, changements ; histoire, savoirs, patrimoine ; recherches sur les marges.

Le CERI est quant à lui un pôle incontournable sur les évolutions socio-politiques de l’Asie du Sud et sur l’inscription de la région – particulièrement de l’Inde – dans le nouvel ordre mondial. Il bénéficie d’une visibilité particulière auprès des décideurs, de solides réseaux internationaux et d’un vivier de doctorants de Sciences-Po. Couvrant le monde entier, le CERI offre des opportunités multiples de croiser les études sur l’Asie du Sud avec des axes thématiques nourrissant des études comparées.

Le Collège de France, par son Institut d’Études Indiennes, aujourd’hui dirigé par le professeur titulaire de la chaire « Langues et religions indo-iraniennes » et les ressources de sa bibliothèque, demeure un pôle de référence pour les études textuelles, entre autres. Quant à l’École

Pratique des Hautes Études, sa section des sciences historiques et

philologiques comme sa section des sciences religieuses comptent des indianistes, dont trois sont membres associés du CEIAS.

Outre les enseignements dispensés par son Département Asie du

Sud et du Sud-Est (CASSE), équipe Littérature et société : Tibet, Népal, Mongolie (TINEMO), équipe pluralité culturelle et religieuse. Plusieurs laboratoires sont par ailleurs interinstitutionnels : l’UMR 7528 « Mondes

indien et iranien », qui publie le Bulletin d’Études Indiennes, est portée par

Paris III, l’Inalco, l’EPHE. L’UMR 7107 « Langues et civilisations à tradition orale » (LACITO) associe Paris III et l’Inalco, et recoupe en partie l’objet de recherche de certains indianistes. En dépit de son nom le CREOPS, Centre de Recherche sur l’Extrême Orient de Paris Sorbonne, compte aussi des spécialistes de l’Asie du Sud en histoire de l’art, un domaine où les chercheurs du Musée Guimet sont évidemment présents eux aussi, des anthropologues ayant pu travailler aussi au Musée du Quai Branly. Les universités Paris 1 (IRICE, UMR 8138, qui intègre le Centre d’Histoire de l’Asie Contemporaine), Paris 7 (laboratoire SEDET, EA 4534) et Paris 8 (Institut Français de Géopolitique) accueillent régulièrement des doctorants travaillant sur les questions internationales touchant à l’Asie du Sud, ou sur des questions de développement et d’histoire contemporaine.

Si l’Asie du Sud ne dispose pas, comme d’autres aires culturelles asiatiques, de laboratoires de bonne taille non parisiens (tels l’Institut d’Asie Orientale de Lyon, UMR 5062, ou l’Institut de Recherche sur le Sud-Est Asiatique de Marseille, UMR 9962), elle mobilise nombre de

chercheurs et d’enseignants chercheurs à travers la France. À Toulouse,

une expertise indienne (anthropologie, sociologie) existe au sein du Laboratoire Interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoires (LISST, UMR 5193). À Rouen, de longue date, un pôle indianiste de géographes poursuit ses travaux (entre autres au sein de l’EA 2534 AILLEURS) ainsi qu’à Bordeaux (ADES, UMR 5185). On peut citer aussi Lille, Strasbourg et Aix-Marseille où des enseignements sur l’Inde sont donnés – cette liste n’est pas limitative. En dehors de ces pôles, on peut noter au fil du hasard des recherches doctorales individuelles soit en universités, soit en Instituts d’Études Politiques.

Une place à part doit être faite aux Instituts Français de Recherche à

l’Étranger (IFRE) établis à Pondichéry (Institut Français : IFP, UMIFRE

21) et à New Delhi (Centre de Sciences Humaines : CSH, UMIFRE 20), ainsi qu’au Centre de Pondichéry et à celui plus modeste de Pune de l’École

Française d’Extrême Orient. Ces instituts sont essentiels, aussi bien pour

l’expertise qu’ils ont acquise – l’IFP en indologie, en sciences de l’environnement, dans certains champs des sciences sociales, dont la santé ; le CSH dans l’étude des dynamiques sociales, économiques et politiques de l’Inde contemporaine – que par leur fonction de formation de doctorants ou de post-doctorants et d’accueil de chercheurs confirmés, mis à disposition

ou en détachement. Cette circulation des chercheurs disposant de bases dans le pays d’étude ou proches de pays voisins est particulièrement bénéfique.

On ne saurait enfin négliger les cercles de réflexion (think tanks ou institutions spécialisées) qui développent des recherches sur contrats relevant souvent davantage dans leurs publications de l’approche académique que de la recherche appliquée. Parmi eux, l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI) affiche un constant intérêt pour l’Asie du sud qu’abordent des auteurs français ou étrangers dans ses publications papier (Politique étrangère) ou électroniques. L’Institut de Recherches Internationales et Stratégiques (IRIS) est de même généraliste, alors qu’Asia Centre, focalisé au départ sur l’Asie orientale, s’ouvre à l’Asie du sud. La Fondation pour la recherche stratégique (FRS) suit pour sa part la région via deux thèmes principaux : la prolifération nucléaire et le terrorisme. La montée en puissance de l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (IRSEM), les bourses doctorales de l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN), les appels d’offres du nouveau Conseil Supérieur de la Formation et de la Recherche Stratégiques (CSFRS) ouvrent de nouvelles perspectives dans le champ des études internationales et de sécurité (au sens le plus large du terme).

Au total, les recherches sur l’Asie du Sud privilégient l’Inde, comme on peut s’y attendre. Le Pakistan est désormais mieux couvert, y compris par des doctorants. Le Bangladesh (160 millions d’habitants) est plus délaissé, en dépit de travaux de bons auteurs. La relève se dessine pour le Sri Lanka. L’Afghanistan, qui fait techniquement partie de l’Association Régionale pour la Coopération en Asie du Sud (SAARC) depuis 2007, reste difficile d’accès, mais des experts, confirmés ou plus jeunes, peuvent y faire des missions s’ils passent par les canaux adéquats.

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ES MODALITÉS D

INTERNATIONALISATION DE LA RECHERCHE

Enfin, il faut noter les institutions œuvrant, par nature, à la coopération internationale et à la structuration des réseaux. De longue date, la

Fondation Maison des Sciences de l’Homme, par ses directeurs d’études

associés, ses boursiers post-doc et son programme franco-indien de coopération en sciences sociales, facilite l’invitation de chercheurs d’Asie du Sud en France et le dialogue entre chercheurs français (spécialistes ou non de la zone) avec l’Inde, mais aussi encourage des opérations

triangulaires avec des pays tiers ou des mises en perspectives globales, sur l’économie des émergents par exemple.

Depuis 2001, le Réseau Asie (UPS 2999), devenu Réseau Asie &

Pacifique, favorise les contacts entre chercheurs francophones de tous les

champs asiatiques et organise tous les deux ans un congrès qui les rassemble. Il s’élargit aujourd’hui à des partenariats étrangers, en privilégiant l’Europe du Sud, ainsi qu’en rend compte, entre autres, son annuaire « Eurasiane ».

Plus largement, les réseaux européens ou internationaux se construisent sous quatre formes : de chercheurs à chercheurs ; par le biais des chercheurs étrangers invités par des institutions (dans les deux sens) ; de centre à centre (CEIAS et South Asia Institute de Heidelberg par exemple) ; de laboratoire à instance internationale (Centre d’Études himalayennes et réseau de l’European Bulletin of Himalayan Research, ou EFEO et Consortium Européen pour la Recherche sur le Terrain en Asie (ECAF) qu’elle a contribué à mettre en place.

Cette bonne insertion dans les réseaux internationaux est facilitée aussi bien par les appels d’offres européens (7e

PCRD, European Research Council), que par la circulation des post-doctorants et par les politiques délibérées des laboratoires, à l’image de l’initiative du CEIAS de faciliter, avec l’appui de l’European Association for South Asian Studies et en liaison avec le Swedish South Asian Studies Network (SASNET) la circulation des doctorants entre Paris, Heidelberg (South Asia Institute) et Edimburg (Centre for South Asian Studies).

Quant à l’Association Jeunes Études Indiennes (AJEI), elle témoigne du dynamisme des jeunes chercheurs : animée par des doctorants ou des post-doctorants, elle est à même d’obtenir l’appui de suffisamment d’institutions pour organiser chaque année un colloque en Inde, avec des partenaires locaux, et publication d’ouvrage à la clé.

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ES POLITIQUES DE PUBLICATION

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La diffusion du savoir sur l’Asie du sud s’appuie sur de multiples instruments. Parmi les revues, les plus anciennes débordent du cadre de l’Asie du sud, tels le Bulletin de l’EFEO, le Journal asiatique, Arts asiatiques, contrairement à la très récente revue annuelle en ligne, Samaj (South Asia Multidisciplinary Academic Journal), offrant des dossiers thématiques en sciences sociales, ou au Bulletin d’études indiennes publié par l’Association Française pour les Études Indiennes, sous l’égide de

l’UMR Mondes iranien et indien. Le champ sud-asiatique ne dispose donc pas d’équivalent français à Perspectives chinoises, revue trimestrielle publiée également en anglais par le Centre Français d’Études sur la Chine Contemporaine (CFEC, UMIFRE 18) ni d’équivalent français aux revues trimestrielles ou semestrielles anglophones consacrées à la zone (South Asia : Journal of South Asian Studies, revue australienne, ou India Review, revue anglo-américaine).

C’est que la politique éditoriale a privilégié les collections spécialisées, telle la collection « Indologie » du Centre EFEO et de l’Institut Français de Pondichéry et celles lancées par le CEIAS, d’abord avec Purushartha (30 volumes thématiques collectifs aux Éditions de l’EHESS) puis avec « Monde indien » (13 volumes d’auteurs à CNRS Éditions) : un corpus considérable au total. Rares sont les travaux individuels chez les grands éditeurs généralistes (Fayard, le Seuil) et, malheureusement, la collection « Planète Inde », lancée par Albin Michel, s’est arrêtée au septième ouvrage.

En revanche, les moyens numériques sont de mieux en mieux utilisés : nombre d’études sont disponibles en ligne, par le biais des 30 titres des CSH Occasional/Working Papers du Centre de Sciences humaines (CSH UMIFRE 20), des Pondy Papers in Social Sciences de l’Institut Français de Pondichéry, des « e-notes » et des études Asie.Visions de l’IFRI ou des Études du CERI consacrées à l’Asie du Sud), auxquelles il faut désormais ajouter les carnets d’Hypothèses.org, les dépôts en archives ouvertes opérés sur HAL et les blogs personnels.

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UESTIONS POUR DEMAIN

Une richesse incontestable, une production conséquente, des synergies croissantes interinstitutionnelles, à l’occasion d’ANR ou d’élaborations de projets de Labex, une bonne insertion dans les réseaux internationaux : les recherches françaises en SHS sur l’Asie du sud sont incontestablement dynamiques et à sa façon le classement A+ du CEIAS par l’AERES en 2009 en témoigne.

On peut toutefois s’interroger sur quelques points qui conditionneront pour une part l’avenir de la recherche sur l’Asie du sud. On en retiendra trois.