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Annick Horiuchi 30 juillet

Mots clés : Histoire, Japon, Littérature, Philosophie, Poésie

Réseau Asie – Quels sont les sont les changements radicaux intervenus dans la région du monde de votre aire de compétence ?

Annick Horiuchi – La catastrophe du 11 mars 2011 a provoqué une onde de choc dans la société japonaise. L’attention des chercheurs en sciences sociales est depuis lors tournée vers les effets de la catastrophe nucléaire et sismique. Compte tenu de la durée dans laquelle s’inscrit cette crise, on peut prévoir que la thématique soit encore déclinée sous de multiples formes au cours des années à venir.

Bien que moins immédiatement visible, le déclin démographique, la dénatalité et le vieillissement de la population sont également des facteurs majeurs d’évolutions. C’est un sujet de préoccupation central des pouvoirs publics et du monde socio-économique depuis plusieurs années. La situation des femmes est souvent associée aux interrogations sur l’avenir de la population japonaise. Les recherches sur le genre occupent désormais en sociologie, comme en histoire, une place significative.

Le Japon est amené depuis une vingtaine d’années à coopérer de plus en plus étroitement avec ses voisins asiatiques et notamment chinois. La circulation des hommes et des femmes, mais aussi des produits culturels entres les pays de la région est en augmentation croissante. Ce nouvel environnement favorise les problématiques régionales dans la recherche.

La société japonaise est également travaillée par le doute. Alors que les pays émergents de la région connaissent la croissance et considèrent leur avenir avec optimisme, le Japon est en proie à des interrogations sur son identité, son passé, ses valeurs, et cherche des réponses par différents moyens, notamment en revisitant ses classiques.

Réseau Asie – Quel est l’état des forces et des faiblesses de la recherche française dans votre aire culturelle ?

Annick Horiuchi – Si on la compare à la situation il y a une vingtaine d’années, la recherche française présente des signes d’un dynamisme certain. Un nombre significatif de postes dans les universités permet d’absorber les jeunes docteurs. Les manifestations (colloques, ateliers, et conférences) souvent organisées en collaboration avec des laboratoires japonais sont en augmentation. Les publications sont souvent de qualité.

Cependant, cette recherche présente aussi des signes de fragilité quand on la compare aux études sinologiques ou tibétologiques (autres champs couverts par le CRCAO). Les chercheurs CNRS sont en voie d’extinction. Les universitaires doivent faire face depuis de nombreuses années à un public étudiant nombreux et à des tâches administratives qui absorbent leur énergie. La visibilité dans le monde anglo-saxon des publications françaises est faible. Il n’existe pas de portail d’accès identifié à la production en langue française, comme il n’y a pas de revues scientifiques francophones internationalement reconnues. Les enseignants-chercheurs ne déposent pas ou peu leurs contributions dans des archives ouvertes (HAL), comme ils sont peu présents dans les congrès internationaux (EAJS, AAS) et dans les sociétés savantes. Ils publient peu en anglais. Les jeunes docteurs, presque toujours formés dans des universités japonaises, méconnaissent les résultats de la recherche anglo-saxonne. Il importe cependant de souligner leur haut niveau de compétences. Ils maîtrisent parfaitement la langue et la documentation en langue originale. Leur réseau au Japon est bien plus étendu que par le passé. Ils publient également plus souvent dans les revues japonaises que leurs aînés.

Réseau Asie – Quelles sont les nouvelles thématiques et axes de recherche émergents (dans votre laboratoire ou dans votre champ de recherche) ?

Annick Horiuchi — Voici quelques thématiques nouvelles : les formes de sociabilité et de gouvernance dans un pays en crise, le rapport à l’environnement naturel, à l’habitat, au patrimoine, à l’alimentation dans sa dimension historique, la circulation et les contacts des hommes, des biens, des techniques, des savoirs en Asie orientale, la mémoire et la représentation de l’histoire et leur mise en scène, l’empire colonial japonais et son impact socio-économique et culturel, l’étude des ouvrages « mineurs » (guides, almanachs, encyclopédies domestiques, dictionnaires) ou techniques du Japon médiéval et pré-moderne, les visages du féminisme, les collections japonaises conservées dans les bibliothèques françaises, la culture et les effets de la traduction dans toutes ses dimensions.

Réseau Asie – Quelles mesures permettraient d’améliorer et d’accroître la recherche française, autant dans votre domaine précis que, plus généralement, sur votre aire culturelle au sens large, voire sur l’Asie et le Pacifique ?

Annick Horiuchi – L’une des faiblesses de la recherche française vient de l’éparpillement des forces sur plusieurs laboratoires et sur plusieurs sites qui ne communiquent pas entre eux. C’est le cas plus particulièrement à Paris, même s’il existe quelques rares lieux de dialogue. Il importe donc de mettre en relation les différentes structures, voire même de les réunir au sein d’une même entité, d’un même lieu, de les organiser autour de revues internationales, de faciliter la communication entre les spécialistes, à travers des forums ou des sites web communs. Le regroupement des spécialistes en littérature, en linguistique, et en sciences sociales dans des départements d’Asie orientale est chose courante dans les universités. Il n’est pas toujours pertinent du point de vue de la recherche. Les chercheurs en sciences sociales ont besoin d’un espace propre, où ils sont en interaction avec les spécialistes des aires culturelles proches. Les séjours prolongés sur leur terrain de recherche leur sont indispensables. Ils sont amenés à travailler en contact étroit avec les spécialistes européens dans le cadre de programmes financés et à réfléchir dans un cadre collectif et régional.

Les besoins financiers des chercheurs en littérature sont en comparaison plus modestes, si l’on exclut les besoins en documentation. Leur travail s’inscrit davantage dans la durée et ne nécessite pas la même réactivité, même s’il doit impérativement se nourrir de contacts et d’échanges avec diverses pratiques de recherche. Les travaux de traduction qui constituent une partie essentielle de leurs activités et qui contribuent notablement au rayonnement de la recherche dans la société méritent d’être davantage valorisés. S’agissant de la littérature asiatique, l’aide publique devrait autant porter sur les programmes de traduction que sur les travaux de recherche collectifs. De même, les travaux de valorisation des collections des bibliothèques ou des musées contribuent d’une manière efficace à diffuser la connaissance dans la société.

Annick Horiuchi est historienne, spécialiste du Japon, professeur à l’université Paris Diderot (Paris 7) et directrice du CRCAO.