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Christophe Sand 30 juillet

Mots clés : Anthropologie, Ethnologie, Océanie, Pacifique, Préhistoire

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NTRODUCTION

L’archéologie francophone dans le Pacifique a une longue tradition, remontant au début du 20e siècle. Mais c’est au professeur José Garanger que l’on doit la mise en place des premières équipes structurées sur ce thème et le début d’un enseignement sur l’archéologie de l’Océanie à partir des années 1970. Au cours des dernières décennies, les équipes francophones travaillant dans la région se sont multipliées et diversifiées, avec une tendance récente de renforcement de structures archéologiques basées directement dans les archipels, intégrant des archéologues océaniens. Ce rapport propose un tour d’horizon synthétique de la situation contemporaine de l’archéologie francophone du Pacifique.

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NTERVENANTS

Dans un monde océanien où l’influence de la recherche anglo- saxonne, en particulier australienne, néo-zélandaise et américaine, est massive, quatre grandes entités scientifiques francophones regroupent la quasi-totalité des chercheurs travaillant sur l’archéologie du Pacifique. Les structures nationales sont composées du CNRS associé à différentes universités, ainsi que de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). L’équipe Océanie de l’UMR 7041 (Arscan), basée à l’Université Paris I-Paris X de Nanterre, fédère le plus grand nombre d’archéologues océanistes, couvrant des champs scientifiques divers, répartis à travers l’ensemble du Pacifique. La caractéristique majeure de cette équipe est qu’un nombre important de ses membres ne fait pas partie des personnels du CNRS. Une équipe plus réduite est intégrée au sein du CREDO (Centre

de recherches et de documentation sur l’Océanie), basé à l’Université de Provence. Les archéologues de l’IRD travaillant dans le Pacifique sont majoritairement rattachés à ce centre, car aucun laboratoire archéologique avec personnel permanent n’est en place aujourd’hui dans les centres de recherche IRD de Nouméa et de Tahiti.

L’Université de Paris I est associée à l’Université de la Polynésie Française à Tahiti, où existe un laboratoire de recherches archéologiques, le CIRAP (Centre International de Recherche Archéologique sur la Polynésie), fédérant plusieurs équipes régionales. Cette structure est le pôle principal d’accueil des étudiants français souhaitant travailler dans le Pacifique Est. Un enseignement en archéologie océanienne est délivré à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, mais sans poste d’enseignant titulaire.

Outre ces structures de recherche d’État, les collectivités de la Nouvelle-Calédonie et de Polynésie Française ont chacune créé des entités archéologiques locales. Le gouvernement calédonien et les provinces ont fondé en financement local l’Institut d’archéologie de la Nouvelle- Calédonie et du Pacifique (IANCP), avec un personnel – uniquement local – de 10 personnes. Un Département Archéologie existe depuis de nombreuses années au sein du musée de Tahiti et des îles, avec également un fonctionnement sur finances locales. Enfin, doit être soulignée l’existence au sein du Centre Culturel du Vanuatu — État indépendant de Mélanésie —, de personnels francophones formés à l’archéologie en France. Aucune structure n’existe par contre à Wallis-et-Futuna, en Polynésie occidentale.

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HÈMES

Quatre thèmes principaux fédèrent les chercheurs francophones travaillant dans le Pacifique. Le premier — et probablement celui rassemblant le plus de personnes —, s’articule autour des phases de premier peuplement dans la région. Pour le Pacifique sud-ouest, il s’agit principalement de la période Lapita il y a trois millénaires. Le processus chronologique régional de ce peuplement est aujourd’hui bien défini. Pour la Polynésie orientale, peuplée entre la fin du premier millénaire et le début du deuxième millénaire après J.C., les données archéologiques restent encore confuses et sujettes à interprétations, incitant à des recherches multiples.

Le deuxième sujet majeur est l’étude multithématique des sociétés traditionnelles océaniennes de pré-contact et leurs évolutions au cours de la

période coloniale. Ce champ de recherche est extrêmement riche et divers, allant d’études sur l’intensification de l’occupation de l’espace insulaire, à des analyses typologiques poussées de matériel archéologique, en intégrant les questions d’évolutions sociopolitiques et les échanges à longue distance.

Les analyses d’anthropologie physique traversent les deux premiers thèmes, en s’intéressant aux caractéristiques des premiers découvreurs autant qu’aux évolutions physiques et génétiques au cours du temps. L’étude des rituels funéraires développés dans les différentes régions et un autre axe de ce thème.

Le dernier grand thème développé par les archéologues francophones dans la région est composé d’études spécialisées comme l’anthracologie, la palynologie, la reconnaissance géologique des matériaux et les études isotopiques. Des études ethnoarchéologiques sur les techniques de navigation, les techniques de plantations horticoles ou de pêche, complètent ce thème.

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ES APPORTS PRINCIPAUX DE LA RECHERCHE ARCHÉOLOGIQUE FRANCOPHONE EN

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CÉANIE

Les travaux archéologiques menés par les chercheurs francophones dans le Pacifique ont contribué à faire avancer la connaissance du passé océanien de façon majeure sur un certain nombre de sujets. Les fouilles menées sur des sites de premier peuplement Lapita en Nouvelle-Calédonie et au Vanuatu, ont permis de proposer des interprétations renouvelées sur cette période clé de l’histoire océanienne. Sur ce thème, l’apport méthodologique de l’anthropologie française dans une équipe plurinationale, doit être souligné comme une des contributions internationalement reconnue lors de la fouille du premier cimetière Lapita découvert dans le Pacifique, sur l’île d’Efate au Vanuatu. Cette méthodologie appliquée à des sites funéraires plus récents, aussi bien en Mélanésie qu’en Polynésie, permet de placer la recherche francophone à la pointe scientifique dans ce domaine en Océanie.

Le développement d’une problématique centrale autour du premier peuplement de la Polynésie orientale par l’équipe de l’Université de la Polynésie Française depuis maintenant près de deux décennies, a permis, dans le cadre de programmes autonomes ou en collaboration avec d’autres structures de recherche de la région, de renouveler totalement nos connaissances sur la chronologie de cet épisode fondateur des sociétés polynésiennes. Les nouvelles fouilles menées sur des sites déjà étudiés ainsi

que l’étude de sites nouveaux, ont permis de rajeunir parfois de près d’un millénaire la datation des premières occupations humaines des dunes de bord de mer.

Le dernier thème où le savoir-faire et l’apport scientifique des chercheurs francophones est reconnu, porte sur les études spécialisées. L’anthracologie, développée depuis plus de deux décennies par plusieurs équipes, a ainsi permis de renouveler les questionnements. Ainsi, l’étude de plusieurs dizaines de milliers de charbons provenant de fouilles menées à l’île de Pâques, a démontré une chronologie progressive de déforestation, venant contredire l’image d’une destruction environnementale brutale et rapide après le premier peuplement polynésien. En Nouvelle-Calédonie, les études anthracologiques et palynologiques ont montré des processus complexes de déforestation/reboisement au cours du temps. Différentes collections de référence de collections de bois et de pollens ont été produites, certaines accessibles sur le Net. Dans un autre domaine, des études de pointes sont menées, dans le cadre de programmes internationaux, autour d’analyses isotopiques d’ossements humains.

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OMAINES DE RECHERCHE ARCHÉOLOGIQUE SOUS

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REPRÉSENTÉS

Le nombre peu important de francophones travaillant sur l’archéologie océanienne, à partir de la France ou des collectivités locales, ne permet évidemment pas que soient traités l’ensemble des sujets liés au passé des archipels de la région. Néanmoins, certains thèmes devraient être présents ou plus développés qu’ils ne le sont. Le plus emblématique est sans conteste l’étude de la période pléistocène aux îles Salomon. Ce grand archipel du nord de la Mélanésie a été peuplé il y a au moins 30000 ans. Mais le nombre extrêmement réduit de fouilles menées, n’a permis à ce jour de définir une première chronologie complète que pour l’île de Buka, à l’extrême nord. Absolument rien d’autre n’est connu des évolutions culturelles des Salomons avant la fin du deuxième millénaire avant J.C. L’expertise française en archéologie paléolithique étant mondialement reconnue, ce terrain aurait dû être depuis longtemps occupé par des équipes métropolitaines. Il est d’ailleurs à souligner qu’une équipe allemande (un pays absent de l’archéologie de la Mélanésie depuis très longtemps), débutera prochainement un programme sur ce thème.

La deuxième région où une présence d’équipes francophones fortes et nombreuses serait la bienvenue, concerne les grandes îles sous le vent de Polynésie, Tahiti et Moorea. Si le Département Archéologie local, associé dans certains cas à l’Université, mène des missions d’inventaires et de

fouilles préventives sur ces deux îles, les programmes les plus pointus sont menés sous la direction d’équipes étrangères.

Un renouvellement des travaux archéologiques francophones mériterait également d’être visible dans la grande région micronésienne, formant la partie nord du Pacifique. Quelques rares programmes ponctuels y ont été menés au cours des deux dernières décennies par des équipes françaises, mais la mise en place d’une problématique multithématique bien financée permettrait d’assoir dans cette région une présence scientifique francophone, qui fait aujourd’hui défaut, et où se développent essentiellement des programmes archéologiques australiens, américains et japonais.

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ERSPECTIVES D

AVENIR

L’archéologie francophone en Océanie est aujourd’hui à un tournant. Il apparaît clairement que ce sujet n’est pas porteur dans la recherche française en sciences humaines, engendrant une absence de planification de postes pour les étudiants thésards, que ce soit dans les centres de recherche ou à l’Université. Le désengagement de la métropole est probablement un phénomène qui se poursuivra au cours de la prochaine décennie, la crise financière apparaissant devoir perdurer et les collectivités territoriales françaises de la région étant dans un processus d’autonomie politique poussée.

L’avenir de l’archéologie francophone dans le Pacifique repose ainsi partiellement sur le développement d’entités locales, à travers les structures d’État comme les Universités mais aussi grâce aux structures créées par les collectivités territoriales. Là aussi, l’engagement des autorités politiques à soutenir financièrement le développement de l’archéologie apparaît central dans toute perspective d’avenir. De même, la liberté donnée aux équipes locales, seules ou en partenariat avec d’autres entités de recherche d’État ou de la région, à développer des programmes archéologiques de pointe — dans leur archipel mais également dans la région —, dépend fortement de choix politiques. C’est dans ce contexte que doit être favorisée de façon centrale la formation d’archéologues océaniens, en parallèle à des archéologues océanistes métropolitains. Cette nouvelle génération est la plus à même de sensibiliser les communautés locales sur l’intérêt et les apports de l’archéologie pour les habitants du Pacifique. L’intégration de ces chercheurs issus des Universités françaises est la meilleure garantie, en cette période difficile, d’assurer la pérennité de la recherche archéologique francophone océanienne.

Christophe Sand est anthropologue et ethnologue, directeur de l’Institut d’archéologie de la Nouvelle-Calédonie et du Pacifique (IANCP), HDR et président d’ICOMOS Pasifika (branche régionale de l’instance internationale du patrimoine culturel liée à l’UNESCO) ; UMR 7041 Arscan, Ethnologie préhistorique-Maison René-Ginouvès-