• Aucun résultat trouvé

Si les comparaisons des universités sont devenues « habituelles » dans leur aspect pratique, notamment sous la forme de benchmarking, suite à des demandes des organisations ou des gouvernements utilisant la comparaison comme outil de gouvernement, elles sont moins nombreuses et rigoureuses dans les sciences humaines et sociales.

Pour éviter la banalisation de la comparaison, il paraît essentiel d‘avoir recours aux catégories d’analyse qui se référent à des phénomènes liés à un contexte historique et social particulier et sont, dans ce cas, porteurs de valeurs. Dans l’article sur la démarche comparative, L. de Verdaille, C.Vigour et T.Le Bianic proposent la méthode suivante pour expliciter les catégories : d’abord « considérer les configurations dans lesquelles une institution ou un phénomène s’insère dans chacun des pays, ce qui permet de souligner les interdépendances entre faits sociaux ou politiques », ensuite « prêter attention au cadre dans lequel elles ont émergé et … identifier les acteurs qui ont contribué à les façonner », finalement, déconstruire « sens des catégories est nécessaire pour voir ce qu’elles recouvrent dans les espaces géographiques et temporelles différentes »2.

Nous considérons que l’approche par le référentiel proposée ci-dessus aborde tous ces aspects. En revenant à notre hypothèse initiale d’évolution des référentiels sectoriels vers un modèle commun, nous pouvons reformuler la nécessité d’une comparaison de façon suivante : la

comparaison permet de saisir les différentes nuances d’un référentiel commun d’université globalisée, démontrer son existence ou absence, le processus de son évolution, ainsi que ses formes différenciées compte tenu du contexte local.

Dans les travaux récents sur les politiques universitaires et leurs évolutions suite à la mondialisation, les auteurs promeuvent l’idée d’une convergence des politiques vers un modèle commun1. Cette position suscite de nombreux débats qui nous amènent à une réflexion sur l’universalisme et le particularisme. Ces deux grands paradigmes structurant le champ de comparatisme à l’heure actuelle s’affrontent pour leur part depuis le XIXème siècle. L’universalisme consiste à traiter comme phénomène transcendant les frontières, tandis que le particularisme correspond aux approches insistant sur les spécificités sociales et culturelles.

Récemment, des influences extérieures au domaine universitaire conduisent, à partir des années 1980, à la prolifération d’études économiques des universités sous l’angle de la rentabilité et de l’efficacité. La mondialisation s’accompagne d’un accroissement des exigences en matière de formation de la main d’œuvre, et d’inquiétudes quant à la concurrence internationale. Parallèlement, les indicateurs, les statistiques et les classifications internationales deviennent rapidement une base de représentation du nouvel universalisme. Une activité classique d’organismes internationaux, comme l’OCDE, consiste à produire des indicateurs et des définitions destinés à créer ainsi un « langage universel » comparable. A cela s'ajoute, au cours des dix dernières années, une activité d’évaluation de l’efficacité des universités par les classements internationaux. Les résultats des classements sont suivis avec attention dans le monde universitaire, mais aussi par les gouvernements, car ces comparaisons orientent les politiques de l'enseignement supérieur de la dernière dizaine d’années (cf. « Grand emprunt » en France,

Exzellenzinitiative en Allemagne).

En réponse, les critiques des classements ont donné un nouvel élan à des démarches particularistes. Ainsi, tant en Russie qu’en France, depuis la sortie des classements, les débats sur la spécificité des systèmes nationaux ne se calment pas.

Dans ce contexte de faible équilibre entre la globalisation et les particularités des cultures nationales, nous privilégions la position « culturaliste » de Charles Taylor dans notre travail de

1Par exemple, Neave G., The Bologna process and the evaluative state : a viticultural parable, Collected papers of the First Regional Research Seminar for Europe and North America, Paris, Unesco, 2004, pp. 11-34.

comparaison. C. Taylor considère que l’échange interculturel est réussi quand les différences entre « nous » et « eux » restent préservées. Ainsi, pour lui, la « fusion des horizons » ne signifie pas la victoire d’un point de vue universel sur des visions différentes du monde. La « fusion des horizons » mobilise ce que C. Taylor appelle un « langage de clarification des contrastes », qui fait apparaître les différents modes de vie comme des « possibilités alternatives » pour comprendre le monde1. Ainsi, le « langage de clarification des contrastes » parvient à dépasser les pièges d’un ethnocentrisme dans la recherche.

C’est également pour cette raison qu’une visée socio-historique est importante dans notre comparaison. La compréhension des processus de transformation historique des faits sociaux permet de saisir à chaque niveau le changement différencié, de restituer les processus et de montrer les éléments qui s’entrecroisent2. Selon N. Gally, « en se privant de profondeur historique, l’usage « typologiste » des comparaisons internationales fait disparaître les anomalies, c’est-à-dire les éléments qui éloignent le cas empirique concret de l’idéal-type. Aussi la comparaison se trouve-t-elle privée des outils propres à la démarche wébérienne où l’idéal-type est l’instrument de mesure du comparatiste permettant d’évaluer en permanence la distance entre l’image idéale construite par le chercheur et le cas empirique considéré »3.

En même temps, la reconstitution du fil des événements est un moyen de surmonter toute vision trop statique des changements en repérant des « moments critiques » du processus de changements dans les systèmes universitaires. Les dynamiques de transformations sont analysées sur une période relativement courte de fin 1990 – 2014, car c’est pendant ce temps que les changements majeurs dans les systèmes universitaires sont apparus. Le milieu des années 2000 est considéré comme le début de changement de référentiel, car le concept de l’université « de classe mondiale » apparaît tant dans les esprits que dans les textes officiels et les objectifs d’Etats.

Partant du principe développementaliste, nous supposons dans la comparaison que les deux systèmes universitaires connaissent le développement vers un référentiel commun « mondialisé ». Dans une logique culturaliste, nous nous interrogeons aussi sur les différences spécifiques au site.

1Taylor C., Compréhension et ethnocentrisme, La liberté des modernes, trad. et présent. Ph. de Lara, Paris, PUF, p.208.

2Courtin E. et al., Démêler les fils du récit comparatif, Revue internationale de politique compare, 1/2012, Vol. 19, pp.7-17.