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B. L’approche par le référentiel : dépasser la dualité structure / acteur

2. Comment définir un changement de référentiel ?

Un des termes principaux dans l’approche par le référentiel est le rapport entre le niveau global et le niveau sectoriel. Le global « constitue un lieu …d’où va émerger une vision dominante ne s’imposant pas comme une « pensée unique » mais comme un contexte de sens »1. Il ne paraît pas facile de définir le référentiel global dans la recherche, car ces frontières et son

contenu paraissent trop vagues pour être utilisées dans une explication de changement. La notion même a été beaucoup critiquée. Nous allons donc saisir le référentiel global via ses effets de « contrainte » sur les acteurs et les politiques publiques.

Les différents secteurs de la société tentent chacun de constituer également son univers de sens que P. Muller appelle « référentiel sectoriel ».

Selon P. Muller, le rapport global-sectoriel « constitue l’outil essentiel pour analyser le changement et le rôle de l’action publique dans la régulation du changement social »1.

Comment définir un changement de référentiel sectoriel ? Quand nous pouvons observer l’apparition d’un nouveau système d’explication et d’interprétation du problème, de nouvelles solutions, de nouvelles normes avec une remise en cause de la hiérarchie des acteurs dans le secteur.

Il convient ici de revenir sur un des termes les plus importants du concept – celui des médiateurs qui incarnent « la relation complexe entre la contrainte du global et l’autonomie du sectoriel »2. Le repérage de ce type d’agents s’avère compliqué, car ils sont nombreux et se situent à des niveaux différents. Le schéma d'analyse de P.Muller, valorisant le rôle des élites et des médiateurs dans la construction des politiques publiques, a suscité de nombreuses critiques. Ainsi, Philippe Warin considère qu’il n’y a « aucune raison de limiter l’approche à leur construction par une seule catégorie d’acteurs, ceux dont la position sociale consacre plus que d’autres l’influence et la clairvoyance»3.

Ainsi, en partant de coalitions stratégiques définies préalablement, nous risquons de nous priver de certains acteurs. Il pourrait dans ce cas être utile de s'interroger sur les conditions particulières nécessaires pour que les valeurs, normes, algorithmes et images, éléments mentionnés par P. Muller, soient en cohérence et forment un référentiel.

Dans le cas d’impossibilité de partir d’acteurs pour étudier la médiation, nous privilégions l’analyse de processus de médiation divisée en deux phases (qui ne se suivent pas forcement l’une

1

Muller P., Esquisse d'une théorie du changement dans l'action publique, op. cit., p.168.

2Idem, p.183.

3Warin P., Les politiques publiques, multiplicité d’arbitrages et construction de l’ordre social, dans Faure A., Pollet G., Warin P., (dir.), La construction du sens dans les politiques publiques. Débats autour de la notion de

après l’autre) : théoriser et agir sur le nouvel état du monde. Cette démarche s’inscrit bien dans les deux dimensions conflictuelles du processus de médiation selon P. Muller : le couple «dimension cognitive/dimension normative» et le couple «champ intellectuel/champ de pouvoir»1.

En premier lieu, nous étudierons comment le nouveau système d’interprétation des rôles et des fonctions de l’université est construit par les acteurs à tous les niveaux. La démarche est effectuée à partir des trois types d’idées mentionnés plus haut. Nous supposons que la nouvelle référence est celle de l’université « de classe mondiale ».

Selon P. Muller, le référentiel exprime « les intérêts et la vision du monde du groupe dominant au sein d’un système d’action publique »2. Il consiste à la fois de représentations et d’action sur le monde. Il s’agit alors, ensuite, de reconstituer les modalités de la mise sur agenda des questions des politiques universitaires en étudiant le débat politique domestique dans deux pays. Pour cet enjeu, nous avons choisi d’introduire la dimension temporelle et d’analyser les questions en deux étapes :

• 1990 – milieu 2000 : la période est caractérisée par une intensification de la

coopération entre les universités grâce à l’internationalisation accrue ;

• Milieu 2000 – nos jours : la pression du marché globalisé et l’influence de la vision « néolibérale » sur les politiques publiques d’Etats amènent à une évolution du référentiel d’université dont l’idéal est l’université très compétitive et davantage concentrée sur la recherche3.

Nous supposons que le milieu des années 2000 est marqué par le début du changement de référentiel dans le secteur universitaire dans plusieurs pays, parmi lesquels la France et la Russie.

Etant donné l’autonomie croissante et l’organisation compliquée des universités, il nous paraît essentiel de passer au niveau micro pour observer la constitution de sens et la lutte

1Muller P., Les politiques publiques comme construction d'un rapport au monde, dans Faure A., Pollet G., Warin P., (dir.), La construction du sens dans les politiques publiques. Débats autour de la notion de référentiel, Paris,

L’Harmattan, 1995 , p. 163.

2Muller P., Référentiel, dans Boussaget L. et al., Dictionnaire des politiques publiques, Presses de Sciences Po, 2010, p. 561.

d’intérêts au sein de l’université. Cette démarche est nécessaire pour saisir les représentations d’acteurs essentiels dans le fonctionnement de l’université : l’administration et les universitaires.

Les hypothèses que nous voulons tester dans cette partie sont les suivantes :

1) Nous supposons que le nouveau référentiel commun qui a commencé à se former au milieu des années 2000 est celui de «l’université compétitive» dont le degré supérieur de développement est l’université « de classe mondiale ».

2) Ce référentiel, commun à plusieurs pays, présente des particularités à différents niveaux de leurs systèmes universitaires.

3) Le développement de l’internationalisation « physique » dans une université facilite le changement de référentiel parmi les universitaires.