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Le « global » qui n’appartient plus à l’Etat

Dans le concept déjà mentionné de Pierre Muller, pour comprendre le changement, l’analyse de la relation entre la contrainte globale et la liberté des acteurs est indispensable. Le changement survient quand le décalage devient trop grand entre le mode de régulation d’un secteur et les transformations perçues du global. Dans ce cas, les acteurs redéfinissent les objectifs de la politique concernant leurs intérêts.

P. Muller met en évidence deux niveaux du référentiel « global ». Le premier niveau concerne le discours justifiant les changements intervenus. «On reste dans une logique « d’usage du global » dans la mise à jour de stratégies d’acteurs, cherchant à délégitimer les positions des tenants de l’ancienne politique... Mais ce rapport au global existe sous la forme d’une tension qui exprime la nécessité du changement, cette nécessité étant mise en sens par des acteurs dans différents secteurs»1.

Les « forums » (terme de B. Jobert)2 au sein desquels les acteurs produisent les cadres d’expérience relèvent également de ce niveau.

P. Muller distingue également un second niveau de mise en évidence du global qui « prend en compte le caractère coordonné du changement dans différents secteurs d’action publique. C’est alors que la notion de « global » devient vraiment nécessaire parce que, sans elle, une partie du changement de l’action publique devient inexplicable, dans la mesure où il est impossible de trouver un lien entre les changements qui affectent différentes politiques »3.

La question se pose sur la capacité d’un Etat-nation de constituer à présent le référentiel global, car les acteurs participant à la construction des matrices cognitives globales se référent de moins à moins à un statut étatique. Ainsi, les « forums » de production des idées globales

1Muller P., Esquisse d'une théorie du changement dans l'action publique, op. cit. pp. 176 - 177.

2Jobert B., Le retour du politique, dans Jobert B. (dir.) Le tournant néolibéral en Europe, Paris, L’Harmattan, 1994, pp. 9 – 20.

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deviennent désormais transnationaux.

Dans cette perspective, nous nous posons la question sur l’apparition de nouvelles références au niveau transnational et leur reflet en France et en Russie, tant en discours, qu’en action. Pour procéder à l’étape initiale d’analyse, nous avons utilisé deux techniques :

• une revue de documents et de périodiques internationaux et nationaux dans une perspective historique, analyse qualitative et quantitative ;

• la restitution d’actions importantes aux niveaux d’Etat et internationaux dans une perspective historique.

Nous privilégions la perspective historique car notre hypothèse est qu’à la fin des années 1990 - début 2000 les références dominantes étaient plutôt « coopération » et « modernisation », mais vers milieu des années 2000, les références de « compétition » et d’ « université de classe mondiale » commencent à prendre force, notamment suite à la concurrence causée par les classements internationaux.

D’abord, un effort d’identification d’acteurs internationaux importants pour la sphère universitaire a été effectué. Leur influence peut être considérée plutôt comme soft power – via les formules, les recommandations, les études, la diffusion de bonnes pratiques, etc. Nous avons étudié la production des acteurs suivants de l’internationalisation :

• les organisations internationales (l’UNESCO, notamment l’Association Internationale des Universités, l’Association Européenne de l’Université, l’OCDE, notamment le Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement, la Banque mondiale ;

les éditeurs des classements mondiaux des universités (Times Higher Education, Université Jiao Tong de Shanghai, etc.) ;

• les acteurs participant au processus de Bologne ;

• certains chercheurs célèbres dont les travaux servent de véritables références internationales dans le monde de l’éducation (notamment Jane Knight, Burton Clark, Philip Altbach, Barbara Kehm, Ulrich Teichler, Marijk Van der Wende, etc.).

Ainsi, nous avons entrepris une étude qualitative et quantitative des productions de ces acteurs, notamment dans les revues internationales telles que Higher Education Journal (Boston College), Politiques et gestion de l’enseignement supérieur (OCDE), revue de l’UNESCO-CEPES Higher Education in Europe.

Pour suivre l’évolution de réaction de la société académique en France et en Russie une revue des périodiques dans les deux pays a été faite.

Revues sélectionnées en Russie :

Vysshee obrazovanie v Rossii (« L’enseignement supérieur en Russie »), existe

depuis 1993;

Obrazovanie segodnja (« L’éducation aujourd’hui »), existe depuis 2006 ;

Voprosy obrazovanija (« Questions de l’éducation »), existe depuis 2004 ;

Universitetskoe upravlenie (« Gestion dans l’université »), existe depuis 1997 ;

Alma Mater, existe depuis 1940.

Revues sélectionnées en France :

Politiques et gestion de l’enseignement supérieur (OCDE, arrêté en 2011) ;

Education et societies ;

Revue internationale d’éducation de Sèvres (CIEP) ;

Spirit.

Nous avons également recouru à d’autres revues publiant des articles sur le sujet concerné (en France il existe peu de revues thématiques consacrées à l’enseignement supérieur, les articles sont dispersés dans les revues politiques, économiques, sociologiques, éducatives).

Parallèlement, la restitution des actions et des initiatives importantes dans le domaine universitaire a été faite, tant au niveau international qu’au niveau national, en France et en Russie.

Tableau 3. Actions et initiatives importantes dans le domaine universitaire en France et en Russie.

International France Russie

1998 - 1999 1998 – Conférence générale de l’UNESCO

1998 - World Development Report: Knowledge for Development (World Bank)

1998 – début du processus de Bologne

2000 - 2003 2003 – premier classement de Shanghai, Shanghai-choc

2000 - Plan université du troisième millénaire (U3M)

2001 – organisation d’expérience de l’Examen d’Etat Unifié 2003 – adhésion au processus de Bologne 2004 - 2006 2005 – création de l’ANR

2006 – apparition des PRES 2006 – création de l’AERES 2004 – réforme administrative dans le secteur 2007 – 2010 2009 Conférence générale de l’UNESCO 2007 - création de Campus France

2007 - adoption de la loi LRU (principes de NPM) 2008 – plan Campus 2010 – Investissements d’avenir 2007 – Projet national « Education » 2009 – création d’universités fédérales et d’universités nationales de recherche, programme de soutien des universités leaders

2010 – création d’un centre d’innovation « Skolkovo » 2011 - 2014 2013 – nouvelle loi relative à

l’enseignement supérieur et à la recherche

2012 – nouvelle loi sur l’éducation (remplace celle de 1993)

2012 – programme « 5-100 »

2. Référentiel global, référentiel sectoriel : deux types de changement dans le système