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Changement du rôle de l’université dans la « société de la connaissance »

Le terme « économie de la connaissance » a été introduit par Fritz Machlup en 19621 et est actuellement utilisé pour définir le type d’économie, où la connaissance joue le rôle prépondérant et où la production de la connaissance devient la source de croissance. Le besoin de définir les fondements de cette nouvelle économie a vu le jour en 1962, lorsque Kenneth Arrow a proposé l’idée que les activités d’innovation se distinguent des activités de production classique. Selon K.Arrow, la connaissance est un bien économique particulier, produit par un secteur spécialisé en unifiant dans la production le travail qualifié et le capital. La reproduction de la connaissance passe par un processus d’apprentissage2.

Dans les années 1990, l’économie de la connaissance s’est constituée comme une spécialité à partir d’un double phénomène : d’une part, la croissance des ressources consacrées à la production et à la transmission des connaissances ; d'autre part, le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Cette économie traduit la part croissante de l'immatériel dans la production des richesses3. Comme le souligne le Commissaire général au plan Jean-Michel Charpin, dans son rapport La France dans l'économie du savoir (2002), « à l'échelle de l'entreprise, il est de plus en plus clair que l'avantage compétitif repose avant tout sur les compétences de ses ressources humaines et la capacité à se doter d'une organisation apprenante, qu'il a pour principal ressort la dynamique du savoir et des compétences, qu'il suppose le partage

1Machlup F., The production and distribution of knowledge in the United-States, Princeton University Press, 1962.

2Arrow K., Economics welfare and the allocation of resources for invention, Princeton University Press, 1962, disponible sur http://www.nber.org/chapters/c2144.pdf

des savoirs »1.

En 1996, l’OCDE définit les économies fondées sur la connaissance comme « celles qui sont directement fondées sur la production, la distribution et l’utilisation de la connaissance et de l’information »2. La Banque mondiale, de son côté, distingue quatre composantes de l'économie de la connaissance : éducation et ressources humaines, infrastructures d’information, incitation économique et régime institutionnel, système d'innovation3.

En 2009, lors de la conférence de la Commission européenne à Göteborg, qui a porté sur le sujet « Le triangle de la connaissance à la source de l'avenir de l'Europe » et qui s'inscrivait dans le cœur de la stratégie de Lisbonne sur la croissance et l'emploi 2000, une nouvelle définition des piliers de l'économie de la connaissance a été faite : recherche-développement et innovation (RDI), éducation et technologies de l’information et de la communication4.

Pour l’établissement du lien entre la croissance économique et l’état du système universitaire nous renvoyons aux théories de la croissance, notamment à celle proposée par Philippe Aghion et Peter Howitt. Le point principal de cette théorie est de comprendre si le système éducatif et son architecture institutionnelle sont adaptés au niveau de développement économique, économie de connaissance du pays5.

Les scientifiques visent à tester l’hypothèse suivante : les ressorts économiques et institutionnels de la croissance ne sont pas les mêmes pour une économie en phase de rattrapage et une économie qui se situe ou veut se situer à la frontière technologique6.

Philippe Aghion suggère que dans les pays éloignés de la frontière technologique, en phase de rattrapage, la démarche la plus avantageuse est de poursuivre la modernisation, i.e. de copier

1Commissariat Général au Plan, La France dans l'économie du savoir : pour une dynamique collective, La Documentation Française, 2003, disponible sur http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/024000577/0000.pdf

2 The knowledge-based economy, OECD, 1996, p. 7, disponible sur

http://www.oecd.org/science/sci-tech/1913021.pdf

3The four pillars of knowledge economy, World Bank, disponible sur http://go.worldbank.org/5WOSIRFA70

4

The knowledge triangle shaping the future of Europe, summary report from the conference 31 August-2 September

2009, Göteborg, Sweden, disponible sur http://www.hsv.se/download/18.726d1204123dc555ee67ffe233/0926R.pdf

5Education et Croissance, Conseil d'analyse économique, La Documentation française, 2004 (avec Elie Cohen),

les technologies modernes provenant d’autres pays. Le rôle principal est joué par les investissements et les projets à long terme (exemple du Japon, de la Corée du Sud). Plus un pays se rapproche de la frontière technologique, plus il devient raisonnable de développer des projets liés aux innovations. Cependant, le passage de l’étape de modernisation à l’étape de l’innovation est parfois tardif, car les grandes corporations industrielles empêchent le développement de la concurrence en utilisant leur influence politique accrue.

L’efficacité des deux composantes de la croissance (modernisation via transfert et innovation) au niveau d’Etat est définie par les institutions, les deux étapes de croissance nécessitent des institutions différentes, leur changement représentant une difficulté pour l’Etat. Par exemple, les mesures protectionnistes recommandées aux pays se situant loin de la frontière technologique, deviennent un obstacle pour les innovations, mais il est politiquement difficile de les liquider.

Dans le contexte de cette théorie, la comparaison des caractéristiques de croissance de la Russie - en phase de rattrapage économique dans les années 1991 – 2013 – et de la France - s’approchant à la frontière économique, présente un enjeu intéressant, notamment en ce qui concerne la question de l’imitation (transfert) et de l’innovation.

« L’économie de la connaissance » est devenue un terme fréquemment utilisé par les dirigeants dans la définition des buts stratégiques du pays. Ces termes apparaissent dès le discours annuel du Président V. Poutine devant l’assemblée générale en 20001. Les nouvelles ambitions russes trouvent désormais leurs expressions dans les documents de stratégie économique à moyen et long terme.

Le passage vers l’économie de la connaissance en France a été en grande partie influencé par la politique de l’Union européenne. En 2000, l'UE a défini une stratégie visant à faire de l'économie européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique

1Poutine V., Rossija ne granitse tysjacheletij (« La Russie à la frontière des millénaires »), Novaja Gazeta (« Nouveau Journal »), le 4 janvier 2000, disponible sur http://www.ng.ru/politics/1999-12-30/4_millenium.html

du monde »vers 20101.

En 2002, le rapport du Commissariat général du plan diagnostique une relative fragilité du positionnement de la France dans l'économie du savoir, notamment en ce qui concerne l’innovation2.

En 2013, l'analyse de la Commission européenne range la France non dans le groupe des pays leaders de l’innovation (le Danemark, la Finlande, l’Allemagne et la Suède), mais dans le second groupe, celui des suiveurs de l’innovation3. En même temps, selon The Global Innovation Index, la France est classée 20ème, tandis que la Russie est seulement 62ème4.

Le plus grand problème est une faible adéquation des systèmes de recherche française et russe aux nouveaux modes de production des connaissances scientifiques. Pour avancer sur le chemin de l’innovation, la France et la Russie devraient surmonter des problèmes structurels et des obstacles culturels, dont un lien faible entre l’université et l’entreprise.