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L’internationalisation devient une « obligation »

C. De nouveaux modèles d’université : les influences externes

1. L’internationalisation devient une « obligation »

Pour tracer ces tendances nous avons entrepris une étude bibliographique concernant l’internationalisation. En utilisant une méthode chronologique, nous avons étudié les dimensions différentes concernant l’internationalisation universitaire : un corpus de revues internationales et nationales, les organisations qui apparaissent, les thèmes de forums et de conférences sur l’éducation. La question principale que nous nous sommes posée est « à quel moment l’internationalisation devient une « obligation » pour les universités auparavant nationales ? Comment ce changement peut-il être appréhendé ? »

Les questions de l’éducation internationale sont étudiées depuis plus de la moitié d’un siècle (apparition de NAFSA1 en 1945, des ouvrages et articles qui apparaissent dans les années 1970 notamment), cependant, avant les années 1990 le terme le plus utilisé était « education

abroad », englobant de nombreuses activités internationales des universités. Les deux dernières

décennies sont caractérisées par la routinisation du terme « internationalisation » : les échanges se multiplient et diversifient, l’internationalisation devenant un concept stratégique plutôt qu’un ensemble d’activités particulières. Ces années voient apparaître des revues spécialisées dans l’éducation internationale et ses problèmes, revues qui sont ensuite devenues des références dans leur domaine : International Education Journal en 1999, Journal of Studies in International

Education 1997, Journal of Research in International Education en 2002.

La naissance des organisations spécialisées en études de l’éducation internationale caractérise également cette période : Association européenne pour l’éducation internationale (EAIE - European association for international education) en 1989, Center for International

Higher Education (CIHE) à Boston College en 1995, Association Européenne de l’Université en

2001, Center for Higher Education (CHE), éditeur d’un célèbre classement international, en 1994. L’internationalisation est également présente dans les discours et les études produites par des grands organismes internationaux, tels que l’UNESCO, l’OCDE, la Banque mondiale1.

La « Déclaration mondiale sur l’enseignement supérieur pour le XXIème siècle » et le « Cadre d’action prioritaire dans l’enseignement supérieur » adoptés en 1998 appellent à une coopération et à des échanges internationaux, décrits comme un moyen d’amélioration et de développement plus fort et plus équitable de l’enseignement supérieur dans le monde. Tous les rapports régionaux de la conférence de l’UNESCO de 1998 indiquent la tendance vers la convergence des systèmes via une coopération augmentée dans les régions. Plusieurs sections de ces documents citent la dimension internationale comme nécessaire pour garantir la qualité. L’UNESCO a donné l’exemple en lançant les chaires UNESCO-UNITWIN basées sur le partenariat égalitaire.

En parlant de l’internationalisation, il est impossible de marginaliser le sujet du processus de Bologne et de l’espace de l’enseignement supérieur et de la recherche qui ont beaucoup contribué à l’évolution de modèle de l’université européenne actuelle. Auparavant, au milieu des années 1970, le Conseil des ministres de la CEE2 avait adopté la Résolution sur le premier programme de coopération dans le domaine de l’éducation, et les programmes Tempus, Erasmus avaient été préparés. Lancé à la fin des années 1990 lors de la conférence de la Sorbonne en 1998 par les ministres de l’Education allemand, français, italien et britannique, le processus de Bologne vise à créer un espace européen de l’enseignement supérieur. Ses objectifs principaux incluent la «réalisation d’une plus grande compatibilité et comparabilité entre les différents systèmes d’enseignement supérieur », «une meilleure compétitivité du système européen d’enseignement supérieur», ainsi que la «création de l’espace européen de l’enseignement supérieur » et « la promotion de ce système européen à l’échelon mondial»3. Les enquêtes de l’AIU de 2003 et 2005 montrent clairement l’importance des échanges régionaux, notamment européens, dans les stratégies d’internationalisation des universités.

1Par exemple, environ 60 études sur l’internationalisation sont produites par l’OCDE selon le site oecd-ilibrary.org,

2Communauté économique européenne.

Sous l’effet de l’internationalisation de l’enseignement supérieur, la recherche universitaire s’est aussi internationalisée ces vingt dernières années, tout particulièrement grâce à la mobilité des chercheurs et des doctorants. La croissance de l’internationalisation est attestée par la croissance des citations non américaines, aussi que par la montée en présence des investisseurs étrangers1.

Ainsi, le développement de l’internationalisation apparaît de moins en moins en tant qu’option, le choix concerne seulement la stratégie possible. L’internationalisation devient ainsi une composante essentielle de la qualité d’université et est désormais étudiée en termes d’efficacité et d’indicateurs.

Le classement international de la revue Times Higher Education a introduit le critère de l’internationalisation depuis le début de son édition en 2004. Le début des années 2000 est également caractérisé par l’apparition des véritables stratégies de l’internationalisation de plusieurs universités, notamment celles du Royaume-Uni.

En ce qui concerne les initiatives nationales de suivi d’internationalisation, elles se développent activement dans la deuxième moitié des années 2000. Par exemple, en 2006, les universités allemandes, sous la supervision de CHE2, ont lancé un projet visant à mesurer leur internationalisation et à développer un kit d’indicateurs dans cet objectif3. En 2009, le projet « IMPI– Indicators for Mapping and Profiling Internationalisation » a démarré avec le soutien de la Commission européenne, en coopération avec les opérateurs européens.

Au niveau global, l’internationalisation a commencé à être évaluée par l’Association Internationale des Universités en 2003, des enquêtes ont été également menées en 2005 et 20104. En 2003, 73% des répondants considéraient l’internationalisation comme une « grande priorité » pour leurs institutions, notamment pour la possibilité de mobilité académique, collaborations et assurance de qualité5. Ainsi, le développement « humain » est devenu un bénéfice plus important

1

Internationalité, enjeux et conséquences. Internationalisation de la recherche, Institut des hautes études pour science

et technologie, synthèse 2012, disponible sur http://www.ihest.fr/activites/les-cercles-de-l-ihest/internationalisation-de-la

2Centre for Higher Education Development.

3Brandenburg U., Federkeil G., How to measure internationality and internationalisation of higher education

institutions. Indicators and key figures, working paper 92, 2007, disponible sur http://www.che.de/downloads/How_to_measure_internationality_AP_92.pdf

4Knight J., Internationalization of higher education: practices and priorities: 2003 IAU survey report, International Association of Universities, disponible sur http://www.iau-aiu.net/sites/all/files/Internationalisation_2003_0.pdf 5Idem, p.8.

de l’internationalisation que les avantages économiques.

Malgré les implications qu’elle induit dans le développement de l’université actuelle, l’internationalisation ne constitue pas une thématique très répandue, comme nous l’avons déjà mentionné, parmi les équipes de recherche dans les universités : ainsi, seulement une dizaine de thèses en France et en Russie sont réalisées sur le sujet de l’internationalisation universitaire depuis 2003 (selon une étude statistique à l’aide des instruments de recherche theses.fr et

dissercat.ru).

Au début des années 2000, Jane Knight1 et Hans de Wit2 ont présenté quatre motivations principales pour le développement de l’internationalisation universitaire : politique, économique, académique et sociale/culturelle. Les enquêtes ont démontré que pendant la première moitié des années 2000 les motivations académiques et économiques jouent le rôle prépondérant. Cependant, à partir du milieu des années 2000 une composante politique forte entre en jeu avec le concept de l’université « de classe mondiale ».