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Les changements du XX ème siècle : les choix de directions opposées de la France et de la

Au XXème siècle, les systèmes universitaires français et russe prennent des directions opposées suite à des événements politiques importants. Tandis que la France abandonne le modèle de l’université impériale pour se rapprocher de l’université humboldtienne, l’URSS reprend les traits généraux de l’université napoléonienne.

La formation française héritée de Napoléon a subi des critiques sévères suite à la défaite de la France dans la guerre avec l’Allemagne en 1871. Les débats se déroulaient principalement autour de trois problèmes.

La bataille contre le monopole des titres universitaires produit finalement une séparation entre le système universitaire piloté nationalement, centralisé et relativement uniforme, et un secteur constitué d’institutions et d’écoles plus différencié, plus réactif aux innovations et moins coordonné.

Dans le même temps, face à l’excellence du système universitaire allemand où les professeurs combinaient les fonctions d’enseignant et de chercheur, plusieurs mesures sont prises en France pour renforcer le développement de la science, notamment la création des diplômes de « pure recherche » et d’institutions ayant la recherche pour vocation. Cependant, ces initiatives sont marginalisées au sein des facultés, les activités de recherche se faisant principalement à l’extérieur des universités.

L’autonomie universitaire a également suscité des débats : dans des rapports aux ministres sur le système allemand les universitaires français vantaient les mérites d’universités allemandes gérées d’une manière collégiale, disposant d’un budget propre et de pouvoirs de décision et réunissant sous un même toit les différents ordres de faculté. La création des entités administratives nommées universités en 1896 résulte pourtant d’un ensemble de compromis mous car les nouvelles structures ne disposent que d’une faible prérogative, le pouvoir principal restant au niveau des facultés et des doyens. Les recteurs placés à la tête des universités par la loi 1896 sont des niveaux quasi transparents1.

Pendant la première moitié du XXème siècle, l’enseignement supérieur universitaire se replie

1

Musselin C., Brève histoire des universités, dans Les universités en France. Fonctionnement et enjeux, Publications de l’Université de Rouen, 2012, pp. 14 - 25.

sur la délivrance des titres nationaux et laisse la place aux écoles pour toutes formations qui sortent de son champ traditionnel. La recherche reste marginale à l’université mais se développe dans les organismes de recherche, tels que le CNRS1, créé en 1936.

Les participants des deux colloques de Caen, en 1956 et 1966, dénoncent le cloisonnement du système universitaire français et concluent à l’urgence de nouvelles réformes. Ils mettent particulièrement en avant la nécessité de la constitution d'universités autonomes, se substituant au système centralisé des facultés « napoléoniennes ». Prenant cette fois le modèle américain comme point de référence, ils reprennent le double credo des réformateurs de la fin du XIXème siècle : la réunion de l’enseignement et de la recherche et la création d’universités autonomes.

La loi Edgar Faure préparée en quelques semaines suite aux mouvements de mai 1968 comporte plusieurs orientations radicalement nouvelles pour le système universitaire français. Elle rompt avec le système des facultés en créant de nouvelles universités pluridisciplinaires, déclare les nouvelles universités autonomes dans la gestion de leur budget, de leur pédagogie et de leur fonctionnement. La gouvernance subit également des changements : l’université est désormais dirigée par un président élu parmi les enseignants et entouré par deux conseils.

La loi Savary adoptée en 1984 réaffirme les principes de gouvernance et d’autonomie inscrite dans la loi Faure. Cependant, l’esprit « innovateur » de ces deux lois n’a pas réussi à pénétrer rapidement dans les pratiques quotidiennes du système universitaire, la tutelle d’Etat ayant en réalité de nouveau remplacé l’autonomie acquise. La politique contractuelle introduite depuis 1989 a déclenché le mouvement vers une plus grande autonomie des universités. Quel que soit le gouvernement en place, ce mouvement orienté vers une nouvelle université de modèle humboldtien n’a pas été remis en question.

Si la France de l’après-guerre s’est dirigée vers la modernisation des universités en les rapprochant des modèles allemand ou américain, le système universitaire soviétique a pris une toute autre direction, en créant les établissements d’enseignement supérieur à caractère utilitariste, non destinés à la recherche.

Comme la Révolution française, la Révolution russe de 1917 avait pour objectif d’établir une nouvelle société nécessitant un développement économique intensif. Cette société ayant préféré l’approche utilitariste en matière de la formation, l’université a donc été supprimée et

transformée en institutions spécialisées (des équivalents des « facultés » françaises). Dans les années 1930, les grandes universités pluridisciplinaires voient leurs facultés se diviser pour former des institutions autonomes. Par exemple, la Faculté de Médecine de l’Université d’Etat de Moscou est devenue l’Institut de médecine de Moscou. En même temps, les unités scientifiques deviennent des instituts scientifiques. Certaines se mettent sous la tutelle ministérielle, d'autres entrent dans le système de l’Académie des sciences. La création de chaires scientifiques, ne faisant pas partie des universités, a été le premier pas vers la division de la recherche et de l’enseignement dans le système universitaire soviétique. Ces réformes ont considérablement réduit les possibilités de recherche et de formation interdisciplinaires.

Une attention particulière a pourtant été portée à la création de nouvelles institutions, notamment dans les grandes villes et les républiques soviétiques. Après la Seconde Guerre mondiale, l’enseignement supérieur en URSS a connu une croissance rapide du nombre de diplômés, ayant comme contrepartie la baisse de qualité de l’enseignement, notamment dans les sciences humaines et sociales et les sciences économiques. En même temps, la population d’ingénieurs ne cessait de croître : le nombre d’ingénieurs par promotion a été multiplié par 2,6 entre 1960 et 19851. Cette situation est étroitement liée à un terme spécifique pour l’URSS « val » : le produit intérieur brut dont la croissance devait déterminer le développement économique du pays. Quantité et programme, non quantité et demande de consommateurs, tels étaient les facteurs de succès de l’économie stalinienne et poststalinienne. Ces principes se diffusaient sur d’autres secteurs, notamment celui de l’enseignement supérieur. L’université fonctionnait selon les « règles d’usine », fondées sur la discipline centralisée et la gouvernance bureaucratisée.

L’objet de fierté du système académique soviétique était pourtant les liens forts présents entre l’enseignement supérieur et l’industrie, assurés par le degré supérieur de centralisation de gouvernance de l’industrie et le monopole d’Etat sur le marché de travail. Cette politique permettait d’organiser de manière efficace l’insertion professionnelle de chaque étudiant à la sortie de l’université.

Dans les années 1970, les universités ont perdu leur prestige, ne pouvant pas s’adapter à la

1Arefiev A.L., Arefiev M.A., Inzhenerno-tekhnicheskoe obrazovanie Rossii v tsifrakh (« L’éducation russe en

sciences d’ingénieur en chiffres »), Vysshee obrazovanie v Rossii (« L’enseignement supérieur en Russie »), n° 3,

société d’information se développant à l'ouest. Réductions de financement dans le secteur universitaire (« principe résiduel de financement »), poursuite des scientifiques non-conformistes, baisse du prestige des connaissances par rapport aux valeurs utilitaires, dictature d’administrateur et croissance de la résistance à des pratiques innovantes : telles sont les caractéristiques principales du système universitaire soviétique à « l’époque de la stagnation ».

Les dernières années avant la chute de l’Union soviétique ont apporté des changements dans le système universitaire, ainsi que des idées nouvelles et progressistes (la formation en six ans pour les spécialités très scientifiques, de nouvelles approches du financement, une évaluation régulière des universités). Les universités ont acquis plus d’autonomie. Cependant, ces innovations ont été exécutées par les anciens leviers administratifs.

La période de perestroïka (à partir de 1992), liée à la chute de l’Union soviétique, commence à rapprocher le système universitaire russe à un modèle d’université européen (notamment avec l’adoption de standards d’Etat). Cependant, ces changements positifs n’amènent pas à des résultats significatifs car la survie financière est le souci principal des universités, désormais confrontées aux règles de l’économie du marché. Pour faciliter la situation, l’Etat a donné une autonomie inédite aux universités et a permis l’apparition des établissements privés. Dans une période courte, un marché des services éducatifs est créé et se développe constamment jusqu’à présent.

La perestroïka a contribué à la libération idéologique, notamment dans les sciences humaines et sociales. Les universités ont acquis un haut degré d’autonomie et ont commencé à créer des liens permanents avec les établissements étrangers. La loi « Sur l’éducation » a donné aux universités le droit d'interagir directement avec les universités, compagnies et organisations internationales. Les relations internationales sont devenues une partie importante de l’autonomie universitaire, notamment parce que les universités et organisations internationales soutenaient financièrement les universités russes durant la crise économique. Les programmes de coopération ont aidé à moderniser les cursus et à introduire de nouvelles spécialisations. Ainsi, pour beaucoup d’universités, la coopération internationale est devenue une source importance non-gouvernementale de revenus (programmes Tacis-Tempus).

3. Les systèmes universitaires en France et en Russie devant le nouveau millénium :