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Etat de la littérature sur la comparaison en France et en Russie

La littérature américaine a longtemps dominé dans le champ de la politique et de la sociologie comparative. Mattei Dogan et Dominique Pelassy ont contribué à la diffusion de ces travaux en France en publiant en 1980 une sélection de textes anglo-saxons qui portaient sur différentes problématiques de la comparaison3. Ces deux auteurs ont publié deux ans plus tard un

1Organisation Mondiale du Commerce.

2

Gayon V., Un atelier d’écriture internationale : l’OCDE au travail. Eléments de sociologie de la forme « rapport », Sociologie du travail, 2009, nº 3, pp. 324-342 ; de Verdalle L., Vigour C., Bianic T. Le, S’inscrire dans une démarche

comparative : enjeux et controverses, Terrains et travaux, 2012/2, nº 21, pp. 5 – 21.

ouvrage qui détaille les différentes étapes d’une recherche comparative1.

La multiplication des travaux comparatistes montre que ce type de recherche attire de plus en plus l’attention dans la littérature francophone. Par exemple, le manuel de Cécile Vigour, publié en 2005, propose une réflexion méthodologique sur l’usage et l’élaboration d’une démarche comparative2.

En dehors de ces ouvrages, on trouve également un nombre croissant d’articles francophones traitant de la théorie et de la méthodologie de la comparaison depuis les années 1990. Ainsi, dans son premier numéro, la Revue internationale de politique comparée a publié l’article de Giovanni Sartori, « Bien comparer, mal comparer », où l’auteur se pose trois questions : pourquoi comparer ? qu’est-ce qui est comparable ? comment comparer ? 3 Patrick Hassenteufel, dans son article de 2000, présente les exigences et les apports de la démarche comparative, en s’appuyant sur son expérience personnelle de chercheur4. Il développe la méthodologie de la comparaison dans l’article de 2005, et s’interroge sur les différentes façons d’articuler les comparaisons internationale et transnationale, en mettant en premier plan la question de la convergence des politiques publiques5.

Depuis quelques années, le sujet de l’écriture des analyses comparatives attire également l’attention des chercheurs français. Ainsi, en 2012, un numéro de la Revue internationale de

politique comparée a été entièrement dédié à la « mise en mots » de la comparaison6.

Malgré le nombre croissant des comparaisons transnationales, la science politique française reste assez franco-centrée7. « Comme le démontre chaque année le salon des thèses en science politique organisé par l’Association française de science politique, les doctorants prennent acte

1Dogan M., Pelassy D., La sociologie politique comparative. Problèmes et perspectives, Paris, Economica, 1982.

2Vigour C., La comparaison dans les sciences sociales. Pratiques et méthodes, La Découverte, coll. « Guides repères », 2005.

3Sartori G., Bien comparer, mal comparer, Revue internationale de politique comparée, 1994, vol 1, n°1, p 22.

4Hassenteufel P., Deux ou trois choses que je sais d’elle. Remarques à propos d’expériences de comparaisons

européennes, dans CURAPP, Les méthodes au concret, Paris, PUF, 2000, pp. 105 – 124.

5Hassenteufel P., De la comparaison internationale à la comparaison transnationale, Revue française de science politique, 1/2005, Vol. 55, pp. 113-132.

6Mettre en mots la comparaison : analyses de pratiques, Revue internationale de politique comparée, 2010/1, Vol.

19.

7Editorial, La Science politique française demeure désespérément franco-centrée, Revue internationale de politique comparée, 3/2004, Vol. 11, pp. 337-338.

qu’il devient périlleux et appauvrissant d’analyser une politique publique ou une mobilisation sociale sans prendre en compte une dimension internationale et/ou comparative. La quantité et la qualité des thèses comparatives ont beaucoup progressé en France, sans malheureusement que cela ne se traduise au plan des recrutements»1, tel était le constat du comité de rédaction de la

Revue internationale de politique comparée en 2004.

En Russie, on observe une situation voisine, avec plus de retard, cependant, du fait de la spécificité des sciences humaines dans la période soviétique. Il existe actuellement quatre chaires de politique comparée dont la première a été fondée en 1998, une chaire de sociologie comparée. Une brève étude de la littérature théorique et méthodologique ainsi que des articles comparatistes (notamment via le site e-library.ru) montrent un nombre très réduit d’ouvrages et d’articles en théorie et méthodologie comparatistes qui se limitent généralement à une description de concepts de chercheurs étrangers. Les débats dans ce domaine sont ainsi quasi inexistants. Les études comparatives sont toutefois très répandues dans toutes les sphères des sciences sociales, sans que les bases de la démarche soient bien expliquées. Dans la littérature russe, l’idée dominante est que la sociologie comparée est l’usage d’outils de comparaison dans l’analyse de la réalité sociale, soit une façon de penser les faits sociaux sur la base de contraste de leurs caractéristiques2.

Pour avoir une image plus claire de la situation en France et en Russie, nous avons recouru à l’aide de deux moteurs de recherche nationaux concernant les thèses de doctorat, entre 2003 et 2013, dans le domaine des sciences humaines et sociales (science politique, sociologie, économie, histoire, gestion). Nous avons visé les statistiques concernant les thèses en éducation et politiques universitaires en sciences humaines et sociales. L’étude statistique menée sur les sites web

theses.fr et dissercat.ru montre que le nombre de thèses de doctorat (aspirantura et doktorantura3

en Russie) avec la dimension comparatiste en sciences humaines et sociales reste assez modeste dans les deux pays. Ainsi, en France environ 330 thèses ont été rédigées sur les universités, parmi lesquelles seulement 11 thèses sont comparatives. En Russie, parmi 400 thèses sur les universités, une dizaine est réalisée dans une démarche comparative.

1

Editorial, La Science politique française demeure désespérément franco-centrée, op. cit., p. 337.

2 Rezaev A., Tregubova N., Sravnitel’nyj analiz v sotsiologii : urovni primenenija i kontseptual’nye

problemy (« Analyse comparative en sociologie: niveaux d’usage et problèmes conceptuels »), Sravnitelnaja

En général, l’intérêt porté aux recherches comparatives dans les higher education studies a sensiblement augmenté dans les dernières décennies. Cette tendance est notamment la plus prononcée en Europe et semble due notamment à la collaboration entre les chercheurs dans le cadre de l’espace européen de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Il existe actuellement de nombreux centres d’éducation comparée (majoritairement dans les pays anglophones ou en Chine, à Singapour et dans quelques pays d’Europe). Plusieurs cours sont proposés dans les universités dans le monde et les résultats d’études sont publiés dans des revues telles que Comparative Education, International Review of Education, Mediterranean Journal of

Educational Studies, International Education Journal, International Journal of Educational Development, Comparative Education Review, Current Issues in Comparative Education. Le

domaine de l’éducation internationale est soutenu par plusieurs projets nationaux et internationaux, notamment ceux de l’UNESCO.

Cependant, certains auteurs1 considèrent que la plupart des travaux dans le domaine des politiques éducatives comparées restent trop « simplistes » par rapport au contexte complexe du monde universitaire. C’est très souvent qu’une étude comparative est un recueil d’articles ou chapitres différents concernant des pays différents, sans avoir une comparaison plus profonde des phénomènes étudiés. De surcroît, les recherches comparatives rencontrent le même problème que d’autres recherches en higher education studies, celui de la dépendance au contexte politique actuel suite au financement par projet.

Ainsi, Patrick Hassenteufel souligne qu’avec le développement récent d’un nombre important de travaux comparatifs, ce type d’analyse comporte un risque croissant de se transformer en une « comparaison canada dry ». Pour cet auteur, ce sont « des travaux qui ont l’apparence de la comparaison, mais qui, en définitive, quand on les regarde de plus près, n’en sont pas ou si peu. C’est souvent le cas d’ouvrages collectifs, portant par exemple, sur une politique publique sectorielle, formés de chapitres couvrant un cas national et rédigés par des auteurs différents (en général du pays traité) »2.

1Par exemple, Goedegebuure L., Van Vught F., Comparative higher education studies: the perspective from the

policy science, Higher Education, 1996, Vol. 32, nº 4, pp. 371 – 394.

2Hassenteufel P., Deux ou trois choses que je sais d’elle. Remarques à propos d’expériences de comparaisons

Il existe également un autre type très répandu de travaux comparatifs dans le domaine - les projets comparatifs lancés par les organismes internationaux dans les objectifs appliqués, par exemple de nombreux travaux de l’OCDE : Think scenarios, rethink education compare le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Nouvelle Zélande et le Canada1. L’Association Internationale des Universités (AIU), l’Association Européenne de l’Université (EUA – European University Association) réalisent également de nombreuses études comparatives concernant les aspects différents de l’enseignement supérieur et de la recherche, par exemple le benchmarking interne, etc.