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La méthode d’analyse et d’interprétation des données et sa validité

D EUXIEME PARTIE

Section 3 La méthode d’analyse et d’interprétation des données et sa validité

Synthèse de la section 3

La méthode d’analyse et d’interprétation choisie pour les récits de vie est l’analyse structurale, qui se termine par une analyse comparative. L’analyse structurale est une méthode d’analyse des discours basée sur la recherche de disjonctions. Les entretiens sont codés lors de trois lectures successives où l’on relève les séquences, les actants qui y interviennent (les acteurs) et enfin, les propositions argumentaires, c’est à dire les jugements émis par les narrateurs. On recherche ensuite les disjonctions au sein des trois niveaux de discours et l’on formalise un schème d’abord provisoire, puis spécifique à chaque narrateur. Il représente la structure du discours. Enfin, dans une dernière phase, qui permet d’atteindre des voies de transférabilité, on réalise une analyse comparative qui nous permet d’aboutir à des schèmes communs à certains types d’internautes.

Cette étape de la démarche se scinde en deux. La première est l’analyse, la deuxième est l’interprétation. Au sein de chacune de ces étapes, il y a des sous-étapes. En ce qui concerne l’analyse, il faut tout d’abord procéder au codage des données. Il s’agit de l’opération intellectuelle du chercheur qui consiste à transformer les données brutes en une première formulation signifiante. Dans cette étape déjà, le chercheur doit donner du sens au matériau mais c’est plutôt un sens commun, trivial dont il s’agit. C’est dans la deuxième étape, la catégorisation, que l’on monte d’un cran dans la conceptualisaton, et l’on doit trouver un phénomène plus général qui recouvre, qui nous permet de comprendre ce que l’on a recueilli. Le chercheur doit alors mobiliser ses connaissances, sans toutefois utiliser de grille de lecture préalable (Mucchielli, 2009). La deuxième grande étape est l’interprétation, où le chercheur va donner du sens à ces données analysées, et proposer une vision du phénomène.

1. Le choix de l’analyse structurale

Il existe un panorama très étendu de méthodes d’analyse de la recherche qualitative. On peut parler d’analyse lexicale, thématique, syntaxique ou encore sémantique (Evrard et ali., 2003). Nous avons étudié la possibilité de déployer une de ces méthodes qui sont parmi celles les plus employées en gestion. Nous avons notamment commencé à travailler sur base d’une analyse de contenu

thématique. Nous avons été déçue par deux éléments. Le premier élément est que le codage laisse place à interprétation, en ce sens, le vécu du narrateur semble assez vite trahi par le sens qu’y plaque le chercheur. Le deuxième élément est que cette méthode apporte une aide faible dans la montée en conceptualisation. Nous avons alors recherché une méthode plus en adéquation avec notre épistémologie.

1.1. Un aperçu de la génèse de la méthode

La méthode d’analyse structurale s’est répandue en sciences humaines dans les années 70 sous l’égide de nouveaux penseurs devenus médiatiques. Il s’agit de Levi-Strauss (anthropologue), Foucault (philosophe), Barthes (sémiologue) ou encore Lacan (psychiatre) et Greimas (linguiste). Au sein des méthodes d’analyse structurale, on observe, à notre connaissance, trois procédés : celui de Levi-Strauss (1958), celui de Greimas (1966) et enfin, celui de Demazière et Dubar (1997) adapté au marketing par Özça!lar-Toulouse (2005, 2008).

La méthode de Levi-Strauss (1958) se fait en cinq étapes : repérage des récits homogènes parmi l’ensemble du matériau recueilli, « les mythes » ; décomposition des mythes en sous-unités, « les mythèmes » ; construction de la matrice structurale (recherche des correspondances entre mythèmes) ; formulation du sens des analogies et intégration dans une problématique générale (structure de signification sous-jacente commune) ; intégration du sens des analogies dans une problématique générale (Mucchielli, 2009).

La méthode de Greimas (1966) est basée sur la recherche des disjonctions, c’est-à-dire des oppositions dans les discours. Ces éléments de base sont ensuite combinés pour former une structure du discours. La dernière étape concerne l’élaboration d’un schéma qui restitue les dynamiques existant dans la structure qui s’appelle le « schéma de quête ».

Enfin, la méthode de Demazière et Dubar (1997), telle qu’adaptée au marketing par Özça!lar-Toulouse (2005), propose quelques différences notamment dans le déroulement des étapes et les terminologies employées mais se rapproche de celle de Greimas (1966). L’analyse structurale telle qu’utilisée en marketing (Benoit-Moreau, 2008 ; Özça!lar-Toulouse, 2005) est celle des sociologues Demazière et Dubar (1997). Ils se revendiquent de l’analyse structurale telle que présentée par Barthes (1966, 1981 in Demazière et Dubar, 1997), de la description structurale de Hiernaux (1977, 1995 in Demazière et Dubar, 1997) élaborée à partir de la sémantique structurale de Greimas (1966), dont on retrouve les grands principes méthodologiques.

1.2. Choix de l’analyse structurale et objectifs

La méthode structurale a été choisie pour plusieurs raisons. La première est qu’elle s’inscrit dans notre paradigme interprétatif et est une démarche inductive. La deuxième est qu’elle a déjà fait ses preuves dans l’analyse des comportements de consommation y compris en dehors de notre champ 84. En effet, elle se prête à plusieurs niveaux d’analyse : au niveau du sujet et des relations interpersonnelles (ce qui est notre cas ici et qui est qualifié de « microsocial »), comme au niveau macrosocial (phénomènes touchant la société ou les groupes). La troisième raison est qu’elle est rigoureuse, comme le disent Piret et al. (1996), c’est un garde-fou qui nous empêche littéralement de plaquer nos propres significations sur les récits. Le deuxième point est qu’elle a peu été utilisée en marketing à ce jour (Benoit-Moreau, 2008 ; Özça!lar-Toulouse, 2005).

L’objectif général de l’analyse structurale est de fournir des outils et des règles au chercheur pour qu’il puisse reconstruire les représentations du narrateur à partir du matériau linguistique recueilli (Piret et al., 1996). La méthode structurale est de nature sémantique car l’on s’intéresse au sens du discours, avec l’objectif de comprendre le sens que le narrateur y met. « La méthode se présente donc comme un garde-fou donnant au chercheur les moyens d’approcher le matériau de sa recherche sans y projeter ses propres conceptions » (Piret et al., 1996, p. 8). En outre, elle permet d’appréhender la structure du récit en y recherchant les associations et les oppositions. Ce sont les relations entre les éléments qui vont permettre de comprendre ce sens, comme dans l’analyse sémiotique, plus que les unités lexicales en elles-mêmes.

2. Le déploiement de l’analyse structurale

2.1. Les principes de l’analyse structurale

Afin de comprendre les fondamentaux de l’analyse structurale, il convient de comprendre ce qu’est ce qu’une représentation. Une représentation a trois dimensions (Moscovici, 1961). La première est qu’une représentation se fait par l’intermédiaire d’un contenu informationel (des mots, des concepts, des termes). La deuxième est qu’une représentation a une structure (l’organisation du contenu, les relations des termes entre eux). Enfin, la troisième est l’aspect normatif de la représentation (la connotation positive ou négative d’un élément).

De la définition d’une représentation, découlent les six principes de l’analyse structurale énumérés par Özça!lar-Toulouse (2005, p. 220-221). Le premier principe, qui se réfère à la première dimension évoquée par Moscovici (1961), est que le sens est dans la « mise en mots ». Il est important de comprendre ce que recouvre cette mise en mots car de cela résulte la manière de procéder au codage de l’information. La mise en mots a une fonction référentielle (descriptive, elle dit comment sont les choses), une fonction modale (de l’ordre du jugement, elle dit ce que la narrateur pense des choses) et une fonction d’acte (elle modifie l’état de l’auditeur). La deuxième règle met en avant l’importance de la méthode de recueil de l’information par entretien, qui est régie par une norme de production de sens. Le troisième présupposé se rapporte à la structure de la représentation. Celle-ci est différentielle, c’est-à-dire que le sens émerge par opposition (ou disjonction) entre termes d’un même niveau. Elle est aussi intégrative, ce qui signifie que cette opposition ne fait sens que si elle se rapporte, à un niveau supérieur, à une catégorie qui chapeaute ces termes opposés. On parle alors de conjonction. Le quatrième fondement est lié à la découverte du code narratif employé par la personne interrogée. Dans ce code se reflètent à la fois les catégories personnelles du narrateur mais aussi les catégories sociales. Le cinquième principe renvoie à la dynamique du discours. L’entretien est le reflet d’un parcours personnel, codé par le narrateur. Il va s’agir de comprendre les processus cognitifs, affectifs ou interactifs qui permettent l’élaboration de ce discours qui se crée en interaction avec le chercheur, en identifiant la hiérarchie des catégories (sociales, personnelles). Enfin, le sixième postulat implique de retrouver et reconstruire la logique inhérente au discours en se basant sur les raisons qui ont poussé le narrateur à agir et les objectifs qu’il a poursuivi.

Parmi cet ensemble de six préceptes, on peut dire que le troisième présupposé est celui qui ossature toute la démarche d’analyse structurale, c’est-à-dire la recherche d’oppositions (disjonctions) et de conjonctions. Pour faciliter cette recherche, un codage méthodique est proposé, basé sur l’identification des trois éléments structurants du récit : les séquences (unité de temps), les actants (acteurs du récit) et les propositions argumentaires (attitudes, jugements émis), qui vont être détaillés dans le paragraphe suivant.

2.2. La démarche d’analyse structurale

Dans ce paragraphe, nous allons présenter la méthode qui a été suivie, étape par étape. Tout d’abord, un tableau récapitule les étapes suivies. Dans un deuxième temps, nous les détaillerons en proposant une illustration concrète de chacune au travers de l’entretien d’Isabelle.

Tableau 4.9 – Les étapes de l’analyse structurale Etape liminaire Retranscription intégrale et fidèle des entretiens

Pour une heure d’enregistrement, il faut près de 6 heures de retranscription. Pour 29 H 42 min d’entretien, il a donc fallu 180 heures de retranscription (soit un mois plein à raison de 8 heures de travail par jour).