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CONTEXTE GENERAL ET SPECIFICITES DU ON LINE

Section 1. La dimension culturelle et cyberculturelle de la consommation

3. La consommation en ligne, un fait culturel ?

Traditionnellement, seul un nombre restreint de comportements de consommation s’inscrivent dans la consommation dite culturelle : les produits culturels et de loisir avant toute chose, et notamment les spectacles (Bourgeon et Filser, 1995 ; Bourgeon et Bouchet, 2007) et les visites de musée (Bourgeon, 2005), le don de cadeaux ou encore la préparation et la consommation alimentaire (Rook, 1985). Dans un contexte d’avènement de la culture informatique (voir le paragraphe précédent sur la cyberculture), la consommation en ligne peut également être étudiée comme un comportement culturel (Schau et Gilly, 2003). Ce n’est pas parce que la consommation en ligne est d’apparence utilitaire et qu’elle est intangible (dématérialisée) qu’elle ne permet pas de vivre des expériences psychiques et qu’elle ne porte pas de sens. Cette distinction est fausse, la consommation est porteuse de sens indépendamment des besoins qu’elle cherche à combler (Douglas et Isherwood, 1979). En outre, les internautes ont aussi des motivations hédoniques d’achat en ligne (Cases et Fournier, 2003 ; Childers et al., 2001 ; Mathwick, Malhotra et

Rigdon, 2002). Toutefois, son intangibilité peut rendre difficile la compréhension de la consommation en ligne comme fait culturel. En effet, ce qui se passe en ligne est immatériel, contrairement à l’achat d’un produit qui rend « palpable la culture » (Douglas et Isherwood, 1979). C’est aussi cela qui fait l’intérêt de la problématique.

Plusieurs éléments nous incitent à penser que la consommation en ligne peut-être comprise comme un fait culturel. Ils sont au nombre de cinq : l’existence de rituels, de communautés de consommateurs en ligne, la nature magique de l’expérience de navigation par l’intermédiaire de la téléprésence, l’importante appropriation des expériences de consommation en ligne, et enfin, la production de significations.

Le premier élément de réponse réside en ce que l’utilisation d’Internet s’apparente à un rituel. Il est désormais admis que les rituels ne sont pas seulement de nature religieuse ou mystique (Goffman, 1974 ; Picard, 1995 ; Rivière, 1995). Rook (1985) énumère les caractéristiques des rituels profanes : un rituel est composé de séquences d’événements qui sont fixées ayant un début, un milieu et une fin ; son déroulement est normé ; il se répète ; c’est une expérience partagée, implicante et riche de sens ; il est accompagné d’une gestuelle. En 2003, 62% des internautes estimaient être dans un rituel quotidien de connexion à Internet (Hoffman, Novak et Venkatesh, 2004). Ainsi, les internautes développent des rites de connexion qui se caractérisent par plusieurs éléments typiques des rites : un horaire déterminé, une répétition des comportements, un ancrage par rapport à d’autres rituels de consommation (préparer son café, ouvrir ses volets, allumer la radio), des modalités précises et des séquences de consultation des sites (sites d’information, feuilletage des blogs favoris). En outre, les rituels de connexion s’accompagnent d’une gestuelle qui va se complexifiant avec le développement des technologies : au début du web, allumer un bouton, taper sur un clavier ; plus tard, cliquer, et désormais, par l’intermédiaire des écrans tactiles, de nombreux gestes de pincement, d’étirement, de secouage ou de tapotement. De plus, l’implication est telle que l’utilisation d’Internet peut aboutir à des addictions (Hautefeuille et Véléa, 2010). Pourquoi ces modalités de connexion sont plus que des habitudes ? La frontière est peut-être ténue. Les rituels ont une portée qui dépasse l’individu et véhiculent davantage de sens que les habitudes. L’enchainement de ses actions de connexion quotidiennes ont un ancrage qui dépasse le simple individu : pour ne pas se marginaliser, il est désormais important de suivre ces rituels de connexion. En effet, ce rituel communique le statut social, la maturité, les aspirations, la conformité, éventuellement la moralité de la personne (Rook, 1985).

Ces rituels ont une importance de tout premier plan dans la consolidation des communautés de consommateurs en ligne (Toder-Alon, Brunel et Schneier Siegal, 2005). L’existence de communautés de consommateurs en ligne est un autre élément de la cyberculture. Elles sont

régies par des codes qui les font s’apparenter aux communautés du monde physique. En effet, une communauté virtuelle26 se définit selon quatre critères qui sont aussi ceux des communautés « réelles » (Bagozzi et Dholakia, 2002 ; Kozinets, 1998) : les individus se connaissent les uns les autres ; ils sont identifiés ; ils utilisent un langage, des symboles et des normes spécifiques (les membres ont un rôle social, il y a des barrières à l’entrée de la communauté, des rituels, un engagement dans les projets communautaires et des normes d’interaction) ; ils établissent et renforcent des frontières au sein et en dehors du groupe (notamment par l’intermédiaire du centre d’intérêt qui les unit). Les communautés virtuelles de consommateurs sont l’un des multiples types de communautés virtuelles, qui s’inscrivent dans une sorte de continuum, allant des plus aux moins liées (Bagozzi et Dholakia, 2002) : certaines sont très soudées, les membres se connaissent dans le réel et le virtuel. D’autres sont peu liées, et ont été mises en place pour des raisons sociales ou commerciales : ce sont, dans ce dernier cas, les « communautés de transaction » selon le terme de Hagel et Armstrong (1997) ou les « communautés de consommation » selon le terme de Kozinets (1999).

Un troisième élément contribue à donner une dimension culturelle à la consommation en ligne : la téléprésence (Steuer, 1992) ou le flow27 (Csikszentmihalyi, 1990). Le flow est un état émotionnel agréable qui apparaît durant la navigation, caractérisé par une communication fluide, facilitée par l’interactivité, accompagnée par une perte de conscience de soi et un renforcement du soi(Hoffman et Novak, 1996) (section 4). Le flow et l’état extatique qu’il génère apparente les expériences de consommation (dont les expériences en ligne) à une expérience magique voire sacrée (Badot et Heilbrunn, 2006 ; Belk, Wallendorf et Sherry, 1989).

De plus, une caractéristique de la dimension culturelle de la consommation est l’appropriation des produits consommés ou des modes de consommation afin de leur donner une signification voulue par le consommateur : Internet permet une personnalisation très forte des interfaces et une individualisation de la relation entre les marques et leurs clients. L’internaute peut s’approprier l’expérience de shopping en ligne en utilisant de nombreux outils du web : les listes de courses et les historiques de panier permettent à l’internaute d’entrer ou pas dans les rayons du magasin ; il peut spécifier ses centres d’intérêt afin d’être informés de nouveaux produits pertinents ; les

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Le terme de « communauté virtuelle » est apparu pour la première fois dans un ouvrage de Rheingold (1991), et les décrit de la façon suivante : « les gens dans les communautés virtuelles utilisent des mots pour échanger des plaisanteries et débattre, faire des joutes intellectuelles, faire du commerce, échanger du savoir, partager des émotions, faire des projets, brainstormer, cancaner, se disputer, tomber amoureux, se faire des amis et se fâcher, jouer, flirter, faire de l’art et surtout bavarder » .

éléments du web 2.0 permettent d’établir une communication avec d’autres acheteurs ; la réalité augmentée permet d’essayer les produits sur soi ou dans sa maison ; le réglage du volume sonore permet de personnaliser l’ambiance ; ce n’est plus le centre commercial qui dicte les enseignes que voit le consommateur mais c’est lui qui choisit son parcours de sites en sites ; il peut consigner des favoris pour personnaliser son parcours au sein de ses enseignes préférées. De plus, la connaissance client (au travers des données comportementales ou déclaratives) permet au marchand de personnaliser les mises en avant et les suggestions d’achat. Toutes ces possibilités facilitent les rituels de possession au sens de McCracken (1986).

Enfin, la consommation en ligne produit des significations, au même titre que la consommation en général. En effet, les biens ou les services qui sont consommés en ligne sont bien souvent similaires à ceux consommés hors ligne, à quelques exceptions près (un jeu en ligne, un service de rencontres, un réseau social).

La jonction entre la cyberculture et la consommation est faite par Venkatesh, Karababa et Ger (2002), Giesler (2004) et Giesler et Venkatesh (2005). Ils introduisent le concept de « culture matérielle post-humaine » (posthuman consumer culture), et en appellent a un changement d’épistémologie en marketing, pour prendre en compte la dimension éminemment technologique de la société de consommation actuelle. En effet, selon eux, il devient impossible de penser l’homme comme un pur esprit dans un environnement social stable (cartésianisme et positivisme). Il faut voir l’esprit comme mouvant, non détaché du corps (embodied) et plongé dans un univers lui-même mouvant. Sans cela, la technologie sera toujours vue comme un objet ou un outil, or, elle est en train modifier la société.

Figure 1.1 – Exemple de marketing post-humain : des sous-vêtements Uniqlo pour devenir une Cyborg ?