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En quête de notabilité locale et intellectuelle

II- Les médecins dans les loges maçonniques

Tout comme dans la vie publique, le médecin est un personnage qui s’investit pour autrui. Dans l’état d’esprit des Lumières, il va aussi suivre les mutations de son époque, adhérer aux nouvelles idées552.

1. Une large et rapide diffusion en Languedoc

Apparue en Angleterre en 1717, la franc-maçonnerie s’implante à Paris en 1725. Elle gagne les capitales du sud-ouest au cours des années 1740553. Les loges sont présentes sur

l’ensemble du territoire, dans les grandes villes comme dans les petites bourgades.

Le réseau est sensiblement plus dense dans les provinces de Languedoc. Comme le précise très justement Michel Taillefer, « ce qui frappe d’abord […] c’est la rapidité et l’ampleur de sa diffusion ». Les francs-maçons sont nombreux, environ 50 000. En Languedoc, Michel

Taillefer en dénombre 1200 à Toulouse, 126 à Castelnaudary et 415 dans le Tarn554.

Concernant son recrutement, l’ordre admettait les trois ordres qui constituaient la société d’Ancien Régime. Là encore nous reprenons les chiffres de Michel Taillefer. Le clergé y est représenté à hauteur de 5,2% à Toulouse, 4% à Castelnaudary et 8% dans le Tarn. La proportion de nobles atteignait 20,5% à Toulouse, 15% à Castelnaudary et 40,5% dans le Tarn555. Le tiers état reste l’ordre le plus représenté avec 73,1% à Toulouse, 81% à

Castelnaudary et 51,5% dans la Tarn. Par tiers état, il faut entendre bourgeoisie avec une surreprésentation de la moyenne bourgeoisie à savoir les membres des professions libérales juridiques, médicales et intellectuelles, les officiers roturiers et les cadres de services publics. Concernant leur fonctionnement, les « frères » se réunissaient une fois par semaine, souvent le dimanche. Ces réunions consistaient au traitement de questions d’ordre interne et de la correspondance puis à l’initiation de nouveaux membres. Une fois par an avait lieu l’élection des officiers suivie d’un banquet, vers la Saint Jean, le 24 juin. Les loges maçonniques ne sont

552 Nous avons cherché des traces de la présence de médecins dans les compagnies dévotes des cités étudiées,

nous n’en avons pas trouvées. La franc-maçonnerie apparaît plus attractive.

553 Toulouse en 1741, Montauban en 1745 et Auch en 1746.

554 TAILLEFER (Michel), op. cit. Nous retenons ici les chiffres pour notre aire géographique et gardons

Toulouse à titre de comparaison.

555 Michel Taillefer précise que la noblesse maçonnique est surtout constituée d’officiers de l’armée royale soit

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pas des sociétés savantes. Les questions philosophiques, politiques ou religieuses n’y ont pas leur place. Comme le rappelle Michel Taillefer, la notion d’égalité prônée par les maçons n’a de sens qu’au sein de l’organisation. A aucun moment, l’aspect inégalitaire de la société d’Ancien Régime n’est remis en cause. Mais les loges avaient une vocation philanthropique. La notion d’entraide était valable pour les frères comme pour les nécessiteux. Ainsi les actions charitables étaient-elles nombreuses à leur initiative comme distribution de pain aux pauvres, de vêtement, d’argent556.

2. Médecins et maçons

Au sein de notre aire géographique, nous comptons huit loges dont font partie certains médecins de cette étude. Nous allons tenter, tant que faire se peut, de retracer l’historique de ces loges avec leur implantation mais aussi et surtout le rôle des médecins.

Nous nous intéressons aux loges d’Albi, Castelnaudary, Carcassonne, Rodez, Gaillac, Sorèze, Villefranche-de-Rouergue. A notre connaissance, seulement quatre médecins du corpus sont maçons. Malgré le petit nombre de maçons, il nous paraît essentiel de s’y attarder. Comment étudier la sociabilité de ces médecins dans un siècle en pleine mutation sans aborder la franc- maçonnerie. Le petit nombre de médecins peut s’expliquer par le fait que la création des loges date des années 1740.

On compte sur l’ensemble de notre aire 16 loges maçonniques, nous nous contenterons de présenter brièvement celles qui concernent les médecins de notre corpus. Ces derniers sont peu présents au sein des loges.

Deux médecins maçons font partie de la loge carcassonnaise Saint-Jean de la Parfaite Union et Parfaite Vérité Réunies créée en 1765 : François Gourg, Jean Estribaud. Ce siège épiscopal compte cinq loges.

La loge de Gaillac557 est fondée le 1 décembre 1774 sous le titre de La Parfaite Harmonie.

L’accord de création est donné dès le 12 janvier 1775 et une fête est célébrée en février 1775.

556 Ces actions allaient bien au-delà avec constitution de dots de filles à marier, mise en apprentissage, libération

de prison pour dette, etc… Voir TAILLEFER (Michel), op. cit.

557 Concernant cette loge, nous avons pu consulter un document de LABRUSSE (Roger), Petite loge, petite ville,

grande histoire, aux archives municipales de la ville Gaillac. Ce document a été donné par Charles Pistre. Dans

l’une de ses publications Michel Taillefer déplore le fait que la loge de Gaillac n’ait pas trouvé son historien. Nous avons cependant trouvé d’autres informations sur le sujet notamment grâce au travail de Charles Pistre.

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Le médecin Jean-Antoine-Edouard Fos de Laborde contribue à cette fondation sous l’égide de la loge de Castres l’Ancienne. A l’occasion de la naissance du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier fils de Louis XVI, une fête est organisée. La loge cesse son activité peu de temps avant la révolution. Il participe parallèlement à la création de la loge maçonnique de Gaillac, la « Respectable Loge Saint Jean de Jérusalem, sous le titre distinctif de la Parfaite Harmonie à l’Orient de Gaillac 558». La cérémonie qui officialise l’installation à lieu le 14 février 1775. A

25 ans, Fos de Laborde en est le membre le plus jeune559. La composition de la loge évolue :

de neuf membres en 1775 elle passe à trente-six membres en 1787. En 1779, Fos devient vénérable. Cette loge présente une composition originale. Lorsque Fos est à la tête de la loge, sur trente-deux membres : treize sont nobles, quatre avocats, deux médecins, un trésorier de France, un cuisinier, deux domestiques, trois charpentiers et deux bourgeois. Comme le souligne Charles Pistre, la composition de la loge gaillacoise est en « contravention au moins partielle avec les règles de la franc-maçonnerie en France 560». Cette appartenance est cruciale

pour Fos lui permettant de tisser un réseau et d’affirmer sa personnalité. Fos de Laborde reprend ses activités maçonniques puisqu’il est grand vénérable en 1788.

Jean-Jérôme III Lobinhes, médecin de la Maison médicale du roi, est membre de la Société Olympique. Cette loge, dont la création est enregistrée en 1784, procède de « L’Olympique de la Parfaite Estime »561. Lobinhes figure parmi le tableau des membres de la loge en 1788 :

« Lobinhes, médecin au coin de la rue des Prêtres, rue de l’Arbre-Sec ».

La vie publique et le pouvoir sont de plus en plus accessibles aux médecins au cours du XVIIIe siècle. Conjuguées aux réformes et à l’évolution des mentalités, le médecin trouve une

autre place dans la société pour ne pas dire qu’il y fait sa place. Participer au gouvernement de la ville n’est pas leur seule préoccupation. Les mutations s’engendrent à tous les niveaux et les médecins vont y participer en l’occurrence dans le domaine intellectuel.