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Le déroulement des études

II- La peregrinatio academica, une pratique ancienne

La peregrinatio academica est une pratique qui prit beaucoup d’ampleur au début de l’époque moderne. Le type de pérégrination auquel nous nous intéressons concerne les pratiques estudiantines. Pour les étudiants, il s’agissait d’une tradition consistant à acquérir leur savoir en allant suivre des enseignements dans les universités les plus réputées d’Europe. Ces pratiques, quoique coûteuses, sont courantes comme en témoignent les frères Platter ou encore Rabelais à travers Pantagruel. Cette démarche humaniste permet aux jeunes hommes d’acquérir un savoir-vivre tout en se forgeant un réseau. La pratique concerne surtout les étudiants en droit, avant ceux de médecine. A partir du XVIIe siècle, la conjoncture politique et religieuse va modifier la finalité et le comportement estudiantin.

Cette pratique freinée par les évolutions politiques et le cloisonnement religieux va devenir plus nationale et moins européenne. En effet, les étudiants du royaume de France sont priés de suivre leurs études au sein des universités du royaume. De plus, le pouvoir monarchique prend conscience qu’il est primordial de se doter d’une justice et d’une bureaucratie compétentes. Dans le cas de la médecine, la pérégrination a un statut particulier qui se confirme au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Le voyage académique s’apparente à un apprentissage professionnel mais comme le soulignent Dominique Julia et Jacques Revel , les pratiques régnicoles ne répondent pas aux mêmes logiques. L’importance du réseau intellectuel est indéniable au regard des correspondances. Ces mêmes chercheurs relèvent, tout comme Patrick Ferté, qu’il a toujours existé cette logique dissociative entre faculté d’étude et faculté de grades, un point qui sera développé plus loin.La pérégrination médicale est toujours active au XVIIIe siècle. Sur l’ensemble du siècle, près d’un tiers des individus,

quel que soit le diocèse, sanctionne son cursus médical en ayant transité par plusieurs universités. Le choix de l’université est prédestiné par le grade que l’on souhaite obtenir. Ainsi se dessine le choix par complaisance où l’on choisit l’université en fonction de ses moyens financiers, du sérieux de ladite université. Sans oublier que le bonnet de docteur décroché à Montpellier reste gage de prestige. Ces comportements laissent entrevoir la mise en place d’une « stratégie estudiantine » dans le cadre des cursus universitaires. Le but pour ces futurs médecins et leur famille est que ces derniers s’installent et prospèrent rapidement.

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1. Deux stratégies pour les études

La plupart des cursus sont incomplets comme nous l’avons vu précédemment. Mais que les cursus soient complets ou non, cela n’empêche pas les étudiants de fréquenter plusieurs universités – plus du tiers d’entre eux, comme nous venons de le dire. La majorité a fréquenté la même université à savoir la faculté de médecine de Montpellier. Le diocèse de Rodez comprenant le plus grand nombre d’individus représente la part la plus importante d’étudiants ayant fréquenté une seule université. Vient ensuite le diocèse d’Albi dont les étudiants privilégient l’université de Toulouse. Suivent les diocèses de Lavaur, Carcassonne puis Castres. Dans ce cadre, l’université la plus fréquentée est, sans surprise, celle de Montpellier. Les universités de Toulouse et de Cahors représentent un nombre minime.

La majorité des étudiants suivent l’ensemble du cursus dans la même université à savoir 74% de notre corpus. Une majorité certes, mais nous avons évoqué plus haut les stratégies estudiantines. En effet, l’enjeu est d’importance et il est crucial d’en prendre la mesure. Le coût exorbitant qui pèse sur les familles vient renforcer la difficulté, la nécessité de réussir et de prospérer. Ainsi on observe que bon nombre des carabins vont suivre leurs études dans plusieurs universités, mais pas tous de la même façon : plusieurs comportements se distinguent.

2. L’errance d’une partie des étudiants méridionaux

D’un point de vue général, le choix de deux universités est le plus courant. 25% du corpus a suivi son cursus dans deux universités. La combinaison Toulouse-Montpellier est la plus représentée. Dans ce cas de figure, le diocèse de Rodez détient le plus grand nombre d’individus. Suivent ensuite les diocèses d’Albi, Castres, Carcassonne et Lavaur.

Dans certains cas, les étudiants pouvaient transiter par trois, voire quatre universités. Sur l’ensemble du XVIIIe siècle, on compte trois cas pour trois universités et deux pour quatre

universités187. Il est nécessaire de faire une précision de taille. Les 3 universités de notre étude

– Montpellier, Toulouse et Cahors – ne sont pas les seules considérées sur ce point. Si les fréquentations de notre corpus peuvent s’avérer multiples, il n’en reste pas moins que toutes

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les facultés sont méridionales. Ainsi les universités d’Orange188 et d’Avignon189 viennent

s’ajouter au réseau pérégrinant de futurs médecins. A l’histoire différente et aux origines apostoliques voire étrangères, ces deux universités représentent en quelque sorte la plaque tournante du grade vite obtenu, sans trop de difficultés. Deux catégories de faculté se dessinent ici. Pour reprendre les termes de Patrick Ferté, il y a la « faculté où l’on étudie et celle où l’on prend son bonnet de docteur190 ». On remarque ainsi que la plupart des étudiants

passant par ces universités y prennent généralement le grade de la maîtrise-ès-arts. Rares sont les cas qui, comme Michel Lagarde, obtiennent un grade supérieur. Étudiant originaire de Sorèze, diocèse de Lavaur, il a suivi un premier cursus à l’université d’Orange puis a poursuivi ses études à Montpellier pour obtention du prestigieux doctorat. Le docteur Dulieu le mentionne comme étant déjà docteur de l’Université d’Orange.

En revanche, on observe que si les étudiants obtiennent leur maîtrise, ils s’inscrivent tout de même dans ces mêmes facultés pour ensuite prendre leur(s) grade(s) dans des facultés plus prestigieuses. En effet, les étudiants doivent justifier du nombre d’inscription pour obtenir leur grade.

Dans certains cas, rares, on note une réorientation. Certains étudiants se prédestinant à une carrière ecclésiastique comme Philippe Pinel, ou encore Félix-Robert Albenque191, se tournent

finalement vers la médecine.

Autre trajectoire, dont il est nécessaire de parler, au sujet des étudiants dont on trouve la trace car ils sont seulement inscrits. Si l’on se penche de plus près de ces quelques cas, on s’aperçoit que ces étudiants sont d’origine protestante. On retrouve plusieurs de ces cas dans le diocèse de Castres avec Jean Lanthois qui a suivi quelques cours à Montpellier sans y prendre de grade. Dans le même cas, et à la même période, en 1745, Marc-Antoine Malzac suit quelques cours à Montpellier. Il semblerait qu’il ait été diplômé puisqu’il exerce à Castres. Paul Bosc d’Antic a lui aussi suivi des cours à Montpellier mais il a pris ses grades en Hollande. Ce dernier fera carrière comme médecin du roi et technicien. Les descendants de

188 L’université d’Orange fut fondée en 1365. Concernant l’histoire de l’université d’Orange voir HOLLARD

(Claude-France), MOREIL (Françoise), (ss dir.), La principauté d'Orange du Moyen-Age au XVIIIe siècle :

actualité de la recherche historique : actes du colloque de l'université d'Avignon et des pays du Vaucluse,

Avignon, 17 juin 2005.

189 L’université d’Avignon fut fondée en 1303. Concernant l’histoire de l’université d’Avignon voir BÉNEZET

(Brigitte), L’université d’Avignon naissance et renaissance, 1303-2003, Arles, Actes sud, 2003. ; MARCHAND (Pierre-Jean-Abbel), L’université d’Avignon aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Alphonse Picard et fils, 1900.

190 FERTÉ (Patrick), op. cit.

191 Félix-Robert Albenque est originaire de Gabriac dans le diocèse de Rodez. Dans le répertoire de Patrick

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ces médecins n’auront pas de souci pour poursuivre leur cursus dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle192.