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La pratique de la médecine

II- Les relations avec les autres professions de santé : reflet des grandes thématiques médicales du XVIII e siècle.

1. Les chirurgiens

Les rapports entre chirurgiens et médecins sont certainement les plus étudiés. Affiliée aux chirurgiens-barbiers, la profession a toujours été considérée comme inférieure à celle de médecin. Le XVIIIe siècle marque la véritable reconnaissance de cette spécialité. Les

chirurgiens sont beaucoup plus présents que les médecins en milieu urbain comme en milieu rural. Dès le début du XVIIIe siècle, Pierre Chirac, conscient de l'importance à donner à cette

branche de la santé, souhaite la création d'une chaire de chirurgie à l'université416.

Malheureusement, le médecin du roi ne verra pas son projet aboutir. Ce n'est qu'à partir des années 1740 que sera créée la première académie de chirurgie. A cette période, les chirurgiens sont considérés comme faisant partie des professions dites mécaniques. Les médecins rédigent les ordonnances et les soins donnés aux malades. Ce sont les chirurgiens qui se chargent de prodiguer eux-mêmes les soins aux patients. Médecins et chirurgiens interviennent parfois ensemble chez les malades comme en témoignent les prestations de serment rédigées par les médecins de Gaillac. Thomas Coutaud, docteur en médecine, et Etienne Pagès, maître en chirurgie, officiant à Gaillac, visitent le 20 août 1766, la femme de Vital Chaulet. Ils ont au préalable, « preté serment entre les mains de monsieur Rignal lieutenant principal417 ». Le 22

mars 1766, le docteur Campmas et messieurs Pagès et Rigal, maîtres en chirurgie, prêtent eux aussi serment418. Le 11 février 1778, Jean Gallet-Duplessis, médecin à Carcassonne, assiste à

l'autopsie du corps de Monsieur Rieux « prébendé à la cité de Carcassonne agé d'environ soixante ans, mort subitement à neuf heures du matin 419 » en présence de chirurgiens.

Il semblerait que bien souvent, en particulier en milieu rural, le chirurgien s'occupe des malades et il n’est fait appel au médecin qu’en cas de problème. C’est ainsi que Jean-Baptiste Bo rend au chevet d'un malade.

Je fus appelé pour voir un jeune homme de seize ans qui etoit alité depuis trente jours. Le chirurgien me fit le rapport de sa maladie dit qu'il avoit vomi

416 Pierre Chirac, professeur de l’université de Montpellier et médecin du roi, a milité pour la reconnaissance de

la chirurgie en proposant la création d’une chaire ainsi que celle d’une académie.

417 ADT - B 572 - Ce serment fait suite à une ordonnance du juge royal d'Albigeois. 418 ADT - B 572.

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quarante cinq vers et qu'il avoit rendu encore un plus grand nombre par les selles.420

Le médecin dresse par la suite ses propres observations sur l'état du jeune patient.

Le malade tombé dans un vrai marasme ressemblait a un squelette vivant, il avoit le ventre collé sur les vertèbres, le poulx etoit misérable, la langue seche, noire, gersée, la face hippocratique421.

Les fléaux qui ont sévi depuis le Moyen-Age, ont souvent projeté les chirurgiens au premier plan. L'un des épisodes les plus marquants du XVIIIe siècle reste la peste de Marseille. Dans

ce cas, les trois professions sont amenées à coopérer plus que jamais.

La variole, ou petite vérole, reste l’une des maladies les plus fréquentes et les plus meurtrières encore au XVIIIe siècle. Trouver un traitement devient une préoccupation majeure.

L’inoculation suscite l’intérêt, tout le monde a un avis. Elle est le lieu commun, comme l’a écrit Catriona Seth422 : « Inoculer, c’est prendre en main son destin ou du moins supprimer la

cause principale de mortalité 423». Apparue dans les années 1710-1720, cette technique

préventive n’est utilisée qu’au cours de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. La faculté

parisienne y a d’abord été favorable, suivie par la faculté de Montpellier. Le premier sujet de thèse de baccalauréat de notre corpus traitant de la variole date de 1764424. A l'automne 1778,

une épidémie de petite vérole, déjà présente dès l’été dans la circonscription voisine, sévit dans le diocèse de Rodez. Le docteur Malrieu exerçant à Vabres prend l'initiative de former les chirurgiens à la pratique de l'inoculation425. Parfois dans ces conditions, les chirurgiens se

trouvent soit dépassés, soit incapables. L’ action de ce praticien vabrais est également une

420 ANM - SRM 195 d°11 p°1 – BO - Observations qui prouve que les affections vermineuses sont souvent

héréditaires.

421 Idem.

422 SETH (Catriona), Les rois aussi en mouraient. Les Lumières en lutte contre la petite vérole, Paris, Ed.

Desjonquères, 2008. Dans cet ouvrage, l’auteur retrace l’histoire de l’inoculation et interroge tous les enjeux que peuvent représenter cette maladie et surtout la tentative d’éradication à travers des sources variées.

423 SETH (Catriona), op. cit., p.10.

424 Il s’agit par conséquent d’un sujet de baccalauréat de la faculté de Montpellier, De variolarum extirpatione

quaerenda primum; illique subnectenda variolarum insitione, soutenu par Jean-Baptiste Richard, originaire de

Cransac.

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preuve de la maîtrise de cette technique par les médecins. En effet, le docteur Malrieu préconise l’incision plutôt que la piqûre.

Inoculer attise la curiosité des médecins au-delà des frontières. Jean-Baptiste Bo relate son séjour en Syrie dans un mémoire présenté au concours auprès de la Société royale de médecine à l’été 1788426. Après une description topographique, l’un des nouveaux genres en

vogue à l’époque, le médecin rouergat fait allusion à la pratique de l’inoculation à Alep. Il précise qu’il s’agit d’une « pratique courante chez les chrétiens 427». Il a lui-même inoculé des

enfants sur place428.

Bô déplore l'incompétence, et plus précisément, le manque d'humanité des chirurgiens au cours de l'épidémie qui touche la partie nord du diocèse de Rodez en 1777.

L'hyver passé j'ai été obligé souvent de faire le chirurgien lapothicaire et d'acheter les remedes pour ne pas voir perir des malheureux a qui les chirurgiens refusoient les soins parce qu'ils etoient pauvres.429

Dans d'autres situations, on retrouve les tensions opposant médecins et chirurgiens. En effet, le dernier quart du XVIIIe siècle marque une période d'ébullition dans le medical market-

place430. Bien que la profession soit plus reconnue, la négligence n'est pas exclue. Jean-Pierre

Carayon relate un épisode tragique. Appelé dans la soirée du 13 août 17431, le docteur Jean-

Pierre Carayon est prié par le premier consul de la ville de Réalmont d’aller porter secours à deux enfants noyés. Première surprise pour le médecin, les enfants n’ont pas été transportés. Leurs corps inanimés gisent au bord de la rivière « distante de la ville d’environ un quart d’heure 432». Sur place, le manque d’humanité quant au traitement de ces deux enfants

consterne le médecin.

Je les trouve tout nus, exposés depuis environ deux heures au clair de la lune, aux influences du terain toujours plus frais et plus vaporeux le long des rivieres, l’un etendu sur l’herbe du rivage, et l’autre sur la barque, je me

426 ANM- SRM 116 d°3- Bo. 427ANM - SRM 116 d°3 – Bo. 428 Ibidem.

429 ANM - SRM 193 d°3 p°4 - Bo.

430 L'expression a été empruntée à Laurence Brockliss.

431 ANM – SRM 197 d°13 P°10 - Carayon, « le 13e du mois d’aout dernier, je fus prié vers les huit heures du soir

par le premier consul de notre ville ».

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plaignis amerement contre les assistants de ce qu’on ne les avait pas portés dans quelques maisons voisines pour les y rechauffer et leur donner quelques secours ; je gemis d’abord quand on me repondit qu’on n’avait osé les transporte, crainte de la justice, et je fremis d’horreur quand on n’ajoutta qu’on les avait secourus en les suspendant par les pieds433

Cette technique décrite par Jean-Pierre Carayon est révélatrice des pratiques encore présentes en milieu rural et met à la fois en avant le savoir du médecin. En effet, la suspension par les pieds dans le secours des enfants noyés apparaît dans les écrits dès le Moyen Age434. Le

thème de la réanimation est en pleine explosion à la fin de l’Ancien Régime.

Le juge et le chirurgien, présents sur les lieux depuis plus d’une heure, ont eu la « barbare constance435 » de laisser ces pauvres enfants dans cette triste situation. Cependant le médecin

tente de leur porter secours malgré l’absence de moyens puisque « tout manque a l’exception de quelques couvertures, qu’on se procura dans une maison assez écartée436 ». Le docteur

Carayon juge que ces enfants sont susceptibles de recevoir un traitement, ayant déclaré à son arrivée « qu’ils pouvaient n’être pas morts437 ». Il préconise qu’ils soient transportés afin

d’avoir meilleur secours. Il se heurte alors à l’orgueil du jeune juge royal, qui ayant nommé un chirurgien d’office, se refuse à exécuter la demande du médecin.

Le jeune juge […] ordonne que ces infortunés seront transportés à l’auditoire pour y être exposés. Je lui observe que leur état etant susceptible de secours, comme je l’avais déjà déclaré en sa présence, il conviendrait de les transporter au four banal pour y être soigné, et non à l’auditoire […] il me repond qu’il ne changera pas son ordonnance, j’insiste en lui observant que j’étais fait pour donner le ton quand il s’agit de diriger un traitement, il prend à temoin trois d’entre les assistants sur ce que j’avais dit que j’étais fait pour donner le ton, je lui réplique que je n’entends point le troubler dans ses fonctions, mais que j’avais dit et que je répétais que j’étais fait pour donner le ton sur le traitement a faire a ces infortunés, et sur le lieu le plus convenable ou ils devaient etre transportés, que je vois avec la plus vive

433ANM - SRM 197 d°13 p°10 – Carayon.

434 Au sujet de la réanimation et de sa place dans le discours médical voir la thèse d’Anton SERDECZNY,

D’entre les morts. Une anthropologie historique de la réanimation XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, EPHE, 2014.

Cette pratique est relatée dans les miracles médiévaux au sujet des enfants noyés, voir D. Lett, « Les lieux périlleux de l'enfance d'après quelques récits de miracles des XIIe-XIIIe siècles », in Médiévales, année 1998, vol. XVII, n° 34, pp. 113-125, et plus généralement P. Riché et D. Alexandre-Bidon, L’Enfant au Moyen Âge, Paris, Seuil/BNF, 1994.

435 ANM - SRM 197 d°13 p°10- Carayon. 436 Ibidem.

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douleur qu'il refuse de se conformer a mon sentiment, que les moments sont précieux, qu'il m'empeche de secourir ces tristes victimes, qu'il ignore combien le gouvernement a a coeur le traitement des malheureux de cette espece, que je le rends responsable de tous les moments438

Le jeune juge persiste malgré l’avis contraire du procureur du roi et du chirurgien. Les enfants sont d’abord transportés à l’auditoire pour y être exposés, puis au four banal. Carayon précise qu’il a tout de même donné ses instructions au chirurgien pour le traitement : « son inaction m’ayant fait asses connoitre qu’il l’ignorait en entier439 ».

Les paroles du médecin sont vaines. Les enfants furent enterrés le lendemain. Le médecin s’est trouvé confronté à l’orgueil du juge et à l’incompétence du chirurgien.

A Castres, un litige oppose le docteur Alexis Pujol et Jean-François Icart, chirurgien, au sujet du déroulement d’une intervention. Ce désaccord, au départ sans conséquence, prend des proportions démesurées et remet ainsi en cause la compétence de l’un et de l’autre au sein de la ville. Le docteur Pujol se sent dans l’obligation d’en faire part à la société royale de médecine dans une lettre di 26 avril 1776.

Il est bien triste pour un homme public et surtout pour un médecin d’avoir a se justifier sur un crime tel que celui que m’imputa le sieur Icart dans sa lettre du mois d’août 1775440

La querelle opposant les deux praticiens concerne une opération effectuée quinze ans auparavant par Icart. Le sieur Séguier, victime d’une fracture du coude, a reçu les soins du chirurgien qui a procédé à des ligatures à l’aide de fils d’archal en argent, « dont il entortilla et sera les os cassés ; et que pour faire cette opération il coupa et perca les chairs en differens sens ce qui fit beaucoup souffrir le malade qui mourut trois ou quatre jours apres441 ». Outre

l’intervention de Pujol auprès de la société royale de médecine, nous ignorons quelles ont été les suites de ce conflit. Il semblerait que l’affaire se soit atténuée.

438 Ibid.

439 ANM - SRM - 197 d°13 p°10 - Carayon 440 ANM - SRM 140 d°50 p° 1 - Pujol. 441 Ibidem.

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