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Choisir un lieu d’installation

III- La situation patrimoniale

La situation patrimoniale est un autre moyen d'évaluer la position des médecins au moment de leur installation, bien que la plupart d'entre eux développent ce patrimoine au cours de leur vie - éléments

342 Cette famille est présentée au chapitre 1.

343 Aimé Balssa les attache à deux groupes familiaux bien distincts, les Gasc-Dejean et les Pujol-Batigne-

Combeguille. cf op. cit. p.120.

344 La famille Gasc est liée sur deux générations à des familles d’apothicaires du Castrais. 345 AML – GG 12-2.

346 La dynastie Patricot est présente à La Tour-du-Pin sur cinq générations. Dossier généalogique Maîtres

chirurgiens de La Tour-du-Pin aux XVIIe et XVIIIe siècles.

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souvent étudiés dans l'histoire de la médecine348. Au regard des sources à notre disposition, nous avons

choisi d’aborder la situation patrimoniale des médecins avant et après mariage. Les familles de certains d’entre eux possèdent des domaines, signe d’appartenance à la bourgeoisie notamment rurale, dont ils hériteront. Le mariage est un autre moyen de s’assurer un revenu convenable tout au moins le temps de se forger une clientèle.

Au commencement de leur carrière, les médecins ne disposent pas de biens personnels propres. Leur situation est conditionnée par celle de leur famille et par la future dot. Ce dernier élément est bien entendu l'un des principaux enjeux du mariage.

Nous n'avons pu retrouver les contrats de mariage de tous les individus du corpus. Nous pensons cependant que certains cas permettront d'illustrer nos propos. Les registres de la capitation349 donnent

des indications sur le rang social en fonction du lieu de domicile, en particulier dans des villes importantes comme les villes épiscopales mais aussi des villes plus modestes comme Gaillac. On peut ainsi constater les différences entre les familles médicales. A Gaillac, la famille Coutaud possède un patrimoine plus important que la famille Fos. A Millau, la famille Dalbis est assujettie à une capitation de 50 livres, la somme la plus élevée en 1784, alors que la famille Molinier verse 9 livres350.

Concernant la situation dotale, en milieu rural, quelle que soit la situation familiale, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les dots semblent conséquentes, comparées à d'autres du même milieu. Jean- Marie Cadalen, fils de notaire royal, épouse à Alban (sa ville natale) en février 1787, Anne Molinier, fille de Jean Molinier, bourgeois de Bubos (ou Bubas). La dot s'élève à 3000 livres et comprend également du mobilier dont la valeur avoisine 2500 livres351. A Rabastens, François Barthélemy

Jaybert, fils de maître chirurgien, épouse Marianne Dufau en mai 1784, fille d'un bourgeois de Mirepoix. Dans son cas, son épouse va percevoir une donation de 21 000 livres sachant que la dote s'élève déjà à 4000 livres352. Une réussite pour le docteur Jaybert.

Dans une ville de plus grande envergure comme Gaillac, Thomas Coutaud, fils de « Monsieur Antoine Coutaud, conseiller du Roy et lieutenant maire de la ville »353, épouse Marguerite Fontenilles, fille de

feu jean Fontenilles. La dot s'élève à 10000 livres au total. Antoine Coutaud désire par ailleurs léguer sa maison à son fils ainsi que le pressoir attenant. La position de la famille dans la ville de Gaillac est meilleure que celle de la famille Fos à en croire les registres de la capitation de l'année 1780. Le

348 Sur ce point, voir certains travaux qui datent un peu, DELAUNAY (Paul), op. cit., LEHOUX (Françoise), op.

cit., mais également un travail plus récent CLAUSTRE (Edith), Les médecins dans les diocèses d’Albi, Castres

et Lavaur : fin XVIIe- début XVIIIe siècle, UTM, Mémoire de Master recherche 1° année, 2006, 106p.

349 Impôt établi en 1695 comme impôt de guerre pesant sur tous les sujets. 350 ADA – Registre la capitation, Millau.

351 ADT - 3 E 15-25. 352 ADT - 6 E 2689.

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montant de l'impôt s'élève à 23 livres pour les Coutaud quand il est de 18 livres pour les Fos354. Nous

verrons que cette situation va évoluer durant les deux décennies suivantes.

A Albi, Antoine Boussac, fils de maître chirurgien, épouse en juillet 1714 Marguerite Delecons, fille de Jean-Pierre Delecons, bourgeois. La dot est de 4600 livres355.

Louis Merlin épouse à Rodez, en octobre 1714, Marie Romière, fille de bourgeois. La dot s'élève à 6000 livres et comporte un supplément de 10 000 livres356. Dans la petite ville de Graulhet, la famille

Rossignol, véritable dynastie médicale, est particulièrement bien implantée. François Germain peut disposer d'un capital foncier important.

Les exemples ci-dessus font état d'une certaine aisance au début de la carrière des médecins, ou à défaut nous permettent de connaître la situation familiale. Fort heureusement pour eux, les médecins vont accroître leur fortune par le biais d'acquisition au cours de leur carrière. A l’image de la bourgeoisie et encore plus de la noblesse, les médecins tentent d’adopter les mêmes comportements. En effet, en bons membres de la bourgeoisie pour la plupart d’entre eux, ils ont l’éducation mais il leur faut la propriété. On retrouve ainsi des propriétés en ville mais aussi en milieu rural. Nous disposons de plus amples témoignages de médecins installés en ville. Il est plus difficile de connaître la situation de ceux qui sont en milieu rural. A Rodez Louis Merlin rencontre des soucis avec le Sieur Bonnal concernant la livraison de denrées dans ses propriétés. Dans les documents, un inventaire de ses biens patrimoniaux est dressé. On y apprend que le docteur Merlin est « seigneur direct pour la troisième partie des villages de Buscassels, Buscales et les Lanses et dependances dans la paroisse de Prades »357. Jean Colomb, conseiller médecin du roi, dépose plainte contre les hommes chargés de

livrer le foin dans son domaine et volant ce dernier. On y apprend que le docteur Colomb a à son service une servante et un domestique358. Jean Pellet, médecin de Millau, dispose de suffisamment de

revenus pour avoir à son service une domestique, tout comme François-Germain Rossignol à Graulhet. Antoine Clausade, médecin dans la petite ville de Rabastens, fait également office de gestionnaire patrimonial pour le compte de la famille, et plus précisément pour celui du chef de famille à savoir son frère aîné, François Clausade, juge royal. Grâce à la correspondance qu'il entretient avec son frère, nous avons connaissance de l'étendue de ce patrimoine familial. Antoine Clausade fait état de propriétés à Rabastens mais aussi à Couffouleux, principalement des métairies359. Ces biens à vocation

354 ADT - C 568. 355 ADT - 6 E 27-7. 356 ADA - 3 E 15057. 357 ADA - 3 B 4. 358 ADA - 3 B 50.

359 Le métayage est un système de location et d’exploitation très répandu dans le Midi. Le propriétaire loue

l’exploitation et les semences tandis que le métayer fournit son travail. Georges Frêche parle de « règne du métayage » dans le Midi en particulier dans le Toulousain et le Lauragais. Il explique avec précision la teneur

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agricole, sous-entendent l'exploitation et la récolte de céréales et autres denrées. Dans une lettre du 12 octobre 1743360, Antoine Clausade déplore un vol de grains. Il rend compte tous les mois des revenus

tirés de ce patrimoine. La famille possède également des vignes361. Jean-Pierre Carayon, médecin

réalmontais, a entretenu entre 1783 et 1809 un livre de raison dans lequel il a retranscrit ses comptes362. Un outil précieux puisque ces mouvements d’argent sont relatifs à l’entretien de ses

propriétés363 qui se trouvent entre autres à Lombers ou Sainte-Cécile. Pour l’année 1793, Jean-Pierre

Carayon fait état des semences : blé, seigle, orge, avoine, pois cassés, fèves ou encore graines de lin. La culture de céréales n’est pas le seul revenu de ce médecin puisqu’il est mentionné la culture de la vigne et du chanvre mais aussi la possession d’un cheptel. En 1793, son métayer, Monsieur Pauthé, vend une génisse à la foire de Réalmont puis un veau l’année suivante364. Il reste cependant difficile

d’évaluer le niveau de fortune de ce médecin réalmontais. Nous regrettons que son livre de raison ne nous donne aucune indication sur ces honoraires de médecin. A Cordes, la Révolution va permettre au docteur Ladevèze d'élargir son patrimoine foncier par le biais de la vente de biens nationaux dans le consulat de Cordes mais aussi aux alentours365.

Les médecins ayant fait carrière à Paris ou dans les colonies sont certainement ceux qui se sont le plus enrichis. Ces derniers, comme Portal ou Pinel, ont constitué un patrimoine en région parisienne mais aussi dans leur ville natale. Alexis Miquel constitue le sien dans la région bordelaise. Jean-Edouard Fos de Laborde a considérablement agrandi son patrimoine gaillacois grâce à son séjour à Port-au- Prince, tout comme Jean Prat qui s’est installé à Montauban. Un document datant de 1762 fait état de possessions dans les paroisses de Gasseras et d’Albefeuille dans la généralité de Montauban366. Dans

une lettre à Bernard de Jussieu, Louis Prat fait référence à une connaissance qui peut lui permettre l’acquisition facilité d’une terre.

En conclusion, en milieu rural comme en milieu urbain, le choix du lieu d’installation est conditionné par la situation familiale des médecins mais aussi par la sur-représentation médicale. Le mariage représente un moyen de s’intégrer plus facilement dans la société. Une fois installé, le médecin doit

des baux qui lient le métayer au bailleur. Voir FRÊCHE (Georges), op. cit., p. 247. ; PUZELAT (Michel), La vie

rurale en France XVI-XVIII siècle, Paris, Sedes, 1999.

360 ADT - 14 J 2 - Lettre du 12/10/1743. 361 ADT - 14 J 2 Lettre d’octobre 1750.

362 ADT – 22J. Le document est en piteux état et la lecture est parfois difficile. Nous avons pu cependant glaner

les informations ci-dessus. En revanche, l’exploitation des comptes n’a pas été possible.

363 Nous ignorons en revanche s’il s’agit de biens familiaux ou si le docteur Carayon en a fait l’acquisition durant

sa carrière.

364 La foire de Réalmont est réputée, encore de nos jours. Pour autant, l’Abbé Expilly n’en fait pas mention dans

son Dictionnaire géogrphique…, op. cit..

365 PORTAL (Charles), Histoire de la ville de Cordes (1222-1799), Cordes, SAVC, 2010. Une branche de la

famille Ladevèze est présente depuis plusieurs siècles dans la ville dont les biens sont importants. Or il ne nous a pas été possible d’établir un lien direct avec nos médecins.

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développer sa clientèle. Il est à présent temps de s'intéresser à l'exercice de la médecine et exercer à proprement parler. Essentiellement déterminé par le choix géographique, l’exercice de la médecine le conduit à d’autres confrontations et associations, en premier lieu avec les autres acteurs de la santé d’Ancien Régime. Installé, devenu médecin, il s’agit alors pour lui d’affirmer ce statut, dans la pratique de son art et dans la défense de ses prébendes.

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Chapitre 6