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La pratique de la médecine

I- Les conditions d’exercice : une pratique à deux visages

2. L’exercice en milieu rural

Les campagnes ne sont pas délaissées par les médecins contrairement à ce qui a souvent été dit. Ils n’y vivent pas mais s’y déplacent. Il n’en reste pas moins que sur l’ensemble des individus du corpus dont nous connaissons le lieu d’installation, la part de ruraux est minoritaire. Cette sous-représentation peut s’expliquer d’une part par la présence d’une population certainement moins aisée qu’en milieu urbain et d’autre part par le fait que, comme aux siècles précédents, les médecins ont, plus de difficultés à pénétrer les campagnes. Penchons-nous sur les conditions d’exercice de ces médecins.

Malheureusement comme pour le point précédent, nous ne disposons que de peu de témoignages. Hormis les documents émanant de Jean-Pierre Carayon, médecin à Réalmont, le 30 août 1769375, un mémoire imprimé, un livre de raison376 et un article de la Revue du

Tarn377 le concernant, nous ne disposons que du témoignage des médecins correspondants de

la Société royale de médecine. En d’autres termes, nous ne possédons pas de témoignages de praticiens de la première moitié du XVIIIe siècle. Réalmont est, à la fin de l’Ancien régime,

un gros bourg de 1800 habitants. Jean-Pierre Carayon assigne l’héritier de Barthélémy Peyré pour le règlement la somme de 21 livres pour les « soins et voyages faits, par le demandeur dans la dernière maladie que le sieur Peyré a eue a la suite de laquelle il est decedé 378».

Michel Smeyers relate l’abondance d’une clientèle toujours plus nécessiteuse dans un contexte où les conditions d’exercice sont modestes. Le docteur Carayon reçoit ses patients chez lui. Il a aménagé une partie de son intérieur et consulte dans « un petit vestibule meublé d’une table et d’un fauteuil pour le praticien, une chaise pour le patient…un cabinet vitré, des instruments de petite chirurgie, de pots à pharmacie et un embrayon de bibliothèque de

374 ANM - SRM – 178 d°25 p°4 – Pellet.

375 ADT – B423 - Requête Audiences ; enregistrements d’arrêts, etc (1768-1774) « Jean-Pierre Carayon,

médecin à Réalmont, contre Victoire de Justy, veuve de messire de Lannoy, en reconnaissance de billets ».

376 Ces deux documents sont conservés aux ADT dans la série J

377 THOMAS (Emile), « Le livre de raison d’un médecin réalmontais (1783-1802) » in Revue du Tarn, 1963.,

SMEYERS (Michel), La ville et la prévôté de Réalmont en Albigeois au dernier siècle de l’Ancien Régime

(1685-1789), Ferrières, Ed. Frérerie de Ferrières, 1983.

378 ADT – B423 - Requête Audiences ; enregistrements d’arrêts, etc (1768-1774) « Jean-Pierre Carayon,

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travail 379». Comme nombre de ses contemporains, Jean-Pierre Carayon exerce au domicile

des patients ou chez lui. D’après l’étude de Michel Smeyers, face à l’ampleur des épidémies, le docteur Carayon a dû renoncer à ses déplacements pour se consacrer aux citadins ; dans ce contexte précis un service moins lucratif qu’auprès des ruraux. A la différence des grands ensembles urbains, les habitants les plus fortunés ont fui la cité à l’approche de l’épidémie. Seuls les travailleurs les plus pauvres résident en ville.

En Rouergue, région plus hostile quoique similaire au Sud-Tarnais, la situation est particulière. Guillaume Lacombe, médecin à Saint-Antonin et correspondant de la SRM, précise dans un mémoire adressé en 1777 qu’il n’a pu fournir de relevés suffisants compte- tenu du peu d’exercice dans son pays380. Bô, autre médecin rouergat exerçant à Mur-de-

Barrez381, relate dans sa correspondance à la SRM ses difficultés d’exercice et du peu de

revenus qu’il perçoit.

Je fais ma profession avec si peu d’intérêt que mes plus forts voyages ne me sont payés que six livres […] et du peu de fortune dont je suis pourvu382

On dénombre un médecin par bourgade ce qui confirme une densité médicale faible en opposition à la ville. Bien qu’ils soient déployés partout, leur présence reste minime. Compte- tenu de leurs honoraires, peu de gens font appel au corps médical « officiel », c’est en partie pour cette raison que certains médecins acceptent tout type de paiement comme Jean-Pierre Carayon.A son retour à Laguiole en 1735, Louis Prat rend visite à un confrère. Ce dernier est absent à son arrivée, « parti visiter en campagne383 ».

A travers le litige qui oppose Sylvain Malzac à Monsieur Fournés, ancien procureur au parlement de Toulouse, on apprend qu’un patient de Labruguière rencontre des difficultés à régler les honoraires du Sieur Vieussens, médecin à Montpellier384. Cette affaire amène un

autre questionnement. Pourquoi un médecin comme Raymond Vieussens se déplace-t-il

379 SMEYERS (Michel), op. cit. 380 ANM – SRM 143 d°10 – Lacombe.

381 Ce bourg est situé à l’extrême nord du diocèse de Rodez. On imagine aisément les conditions climatiques

particulières auxquelles était assujettie la population.

382 ANM – SRM 193 d°30 – p°4 – Bo - 26 août 1777. 383 Lettre à Bernard de Jussieu, Laguiole, 1735.

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jusqu'ici ? A-t-on fait appel à lui car aucun médecin n'était disponible ? Était-ce pour avoir un avis complémentaire ? Ou est-ce le reflet d'une désertification médicale certaine ?

On imagine aisément les difficultés rencontrées par les médecins de notre corpus en particulier en Rouergue et dans le Sud Tarnais dans la région de la montagne noire, où les climats sont rigoureux.

L'exemple cité ci-dessus illustre la difficulté certaine rencontrée par les médecins pour se rendre chez certains patients. Dans les relevés adressés à la SRM en date du 8 juillet 1786, Bô admet être dépassé par ses missions surtout pour remplir celles qui sont dans les campagnes385. Le manque de praticiens pousse les communautés à faire appel à des médecins

extérieurs. Charles Rossignol, médecin, passe une convention avec la communauté de Graulhet386 en 1742, tout comme son père Antoine à la fin du XVIIe siècle. Antoine Malzac

est lié à la communauté de Mazamet en 1715 pour dispenser des consultations gratuites destinées aux pauvres tous les quinze jours. 387

Nous avons vu les conditions d'exercice parfois précaires rencontrées par les médecins. Dans la pratique de la médecine, nous entendons également explorer les relations entre les médecins et les autres praticiens de santé. Face au manque de praticiens, les communautés s’organisent en établissant des conventions avec certains médecins afin d’assurer des soins gratuits pour les pauvres, et ce une fois par semaine ou toutes les deux semaines.