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Le déroulement des études

III- Fraudes : pratiques encore courantes au XVIII e siècle

1. État de la question et évolution depuis le début de l’époque moderne

La décadence et les pratiques frauduleuses ont été dénoncées dès le XVIe siècle. Les

universités de Cahors et Toulouse sont gangrenées par le phénomène tout comme celles d’Orléans, Avignon ou Orange. A la fin du XVIIe siècle, Louis XIV charge Charles d’Anglure

de Bourlemont, archevêque de Toulouse, Claude Bazin, seigneur de Bezons ainsi que le Sieur de Froidour de mener une enquête auprès des universités de Toulouse et de Montpellier193. Le

rapport d’inspection établi en 1668 accable l’université de Toulouse quant à la collation des grades, l’état des bâtiments et le comportement des étudiants. Comme le rappelle Patrick Ferté, l’autonomie financière des universités du royaume fut une tare. La pauvreté laissant libre cours aux abus, « pauvreté n’est pas vice, mais elle peut le favoriser 194». D’un point de

vue institutionnel, les universités sont dans une misère matérielle. L’enquête effectuée en 1667 déplore le mauvais état des bâtiments universitaires que les capitouls rechignent à entretenir. La faculté de médecine est décrite comme « mal en ordre et tres mal entretenue 195». Le constat est le même à Cahors.

Les autres abus majeurs concernent la collation des grades et tout ce qui s’y rapporte à savoir les inscriptions, la présence en cours, les examens. Car si l’on parle souvent des étudiants, les professeurs ne sont pas exempts de récrimination. Ces abus sont dénoncés dans de nombreux

192 Ces médecins ont déjà été signalés dans le premier chapitre.

193LEWEZYK (Anaïs), L’université de Toulouse en instance de réforme (1660-1679). L’inspection des

commissaires royaux de 1667, mémoire de maîtrise, 2005.

194 FERTÉ (Patrick), « L’autonomie des universités françaises sous l’Ancien Régime. Un bilan peut édifiant » in

Annales du midi, n°268, octobre-décembre 2009, p.551.

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témoignages. Ajoutons des universités comme Orléans, Avignon ou Orange dont la réputation n’est plus à faire et qui sont les dignes représentantes d’un cursus de complaisance. Charles Perrault dans ses mémoires196 relate son périple à Orléans et les circonstances anecdotiques

avec lesquelles il a obtenu son grade de licencié.

La fraude est aussi proprement estudiantine. Sans les étudiants, la fraude ne serait pas. Ce comportement estudiantin s’accompagne de violence et de désinvolture. Ces troubles sont dénoncés depuis plusieurs siècles à Toulouse197 comme à Cahors. A Toulouse, les capitouls et

l’université tentent d’enrayer les désordres causés par ces derniers. Les enquêtes en font également part.

A l’issue de cette inspection qui concerne, les universités de Toulouse et de Montpellier, Louis XIV fit promulguer sa réforme de 1679-1680 portant règlement aux études de droit. La théologie étant dans tout ce marasme plus ou moins épargnée. Le tourbillon estudiantin persiste à Toulouse tout au long du XVIIIe siècle comme en témoignent les archives

capitulaires. Les étudiants sont relativement violents au sein et surtout en dehors de l’université. Tout au long du XVIIIe siècle, 21 arrêts sont promulgués à l’encontre des

étudiants de 1706 à 1787, leur interdisant de s’attrouper ou encore de porter des armes198. Une

même tentative de brider la jeunesse estudiantine avait été entreprise au siècle précédent à Toulouse199, sans succès. Jules Barbot souligne qu’au XVIIe siècle, les étudiants étaient aussi

turbulents qu’au siècle précédent200. Cette remarque s’applique au siècle des Lumières. Même

si cet aspect n’est pas essentiel pour notre problématique, il constitue une part non négligeable du paysage contextuel dans lequel elle se situe.

Guy Patin201 dans ses écrits déplore les mêmes pratiques à double teinte, tout comme

Guillaume de Maran202, professeur et doyen de la faculté de droit de l’université de Toulouse.

Notons qu’en règle générale, la décadence est présente dans l’ensemble des universités du

196 PERRAULT (Charles), Mémoires contenant « beaucoup de particularités & d’anecdotes intéressantes du

ministère de M. Colbert », Avignon, 1759, p.20-23.

197 Sur la question de la violence estudiantine à Toulouse au Moyen-Age voir la thèse de Sophie BROUQUET,

La violence des étudiants toulousains de 1460-1610, thèse de 3° cycle, Toulouse, EHESS, 1982.

198 A ce sujet voir la liste figurant en annexe.

199 Concernant la violence estudiantine à Toulouse au XVIIe siècle voir LEWEZYK (Anaïs), L’université de

Toulouse…, op. cit., concernant la violence estudiantine au XVIIIe siècle, LEWEZYK (Anaïs), Les étudiants

hors les murs de l’université de Toulouse au XVIIIe siècle, mémoire de master2, Université Toulouse - Le Mirail,

2009.

200 BARBOT (T), Chroniques, op. cit., p.180. 201 Guy Patin, professeur de l’université de Paris.

202 MARAN Guillaume de, Remonstrance de la necessite de restabllir les universitez, pour le restablissement de

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royaume203. Le cas est similaire à Cahors où la fraude est déjà relatée dès le XVIe siècle

comme en témoigne Rabelais à travers le personnage de Pantagruel ou encore dans l’œuvre occitane anonyme Scatabronda204.

Observons de plus près la situation de l’université de Montpellier décrite par Guy Patin :

La plupart des médecins de Montpellier ont icy estudié avant que d’y aller prendre leurs degrez, et nous ont plus d’obligation qu’à ceux qui leur donné des bulles et du parchemin pour de l’argent. Ceux de Rouen, qui sont la pluspart docteurs de Montpellier, ont publié et reconnu en leur factom, il y a deux ans ; qu’ils nous estoient bien plus obligez de leur avoir enseigné leur art qu’à ceux de Montpellier, quileur avoient vendu leurs degrez ; nous sçavons bien comment on y refuse point les premiers degrez et comment on y obtient aisèment les seconds […] il n’y a que trois cents ans que Montpellier est en France, auparavant ce n’estoit que barbarie 205

Il faut cependant prendre les propos de Patin avec parcimonie compte-tenu de son animosité envers la rivale montpelliéraine.

Suite à ces nombreuses dénonciations, le pouvoir réagit donc en promulguant l’Édit de Marly en 1707. Cette mesure intervenant dans l’ensemble du royaume est destinée à s’appliquer à l’ensemble de l’enseignement médical. Les programmes sont modifiés et la collation des grades plus réglementée. Désormais il ne sera plus possible de délivrer la licence et le doctorat le même jour ou tout au moins à peu d’intervalle du baccalauréat.

Mais malgré l’Édit de Marly, la fraude persiste : l’université de Cahors est supprimée en 1751 pour cette raison206. De plus, de nouvelles ordonnances royales en 1736 et 1754 vinrent

rappeler aux professeurs la nécessité de se conformer à l’Édit de 1707, réitérations typiques de l’Ancien Régime, toujours signes de l’incapacité du pouvoir à faire appliquer ses décisions. Nous avons déjà croisé Jean Mailhès (chapitre 2.3) de l’université de Cahors, dont la nomination au poste de doyen s’apparenterait à une farce. Un autre épisode malheureux le concernant vient corroborer notre propos. Décrit par Patrick Ferté comme un « usurpateur zélé », Mailhès s’avère opportuniste. Son zèle est à nouveau mis en cause dans le cadre de trafic de grades dans les années 1740. Antoine Bellegarde, originaire de Fauch, diocèse d’Albi et fils de médecin rouergat, aurait obtenu son bonnet de docteur de façon illégale. Patrick

203 On retrouve de nombreux témoignages dans l’ouvrage de Dominique Julia et Roger Chartier, Histoire des

populations étudiantes en Europe, op. cit.

204 Scatabronda est une œuvre anonyme écrite en patois quercynois déjà présentée au chapitre précédent. 205 TRIARE (P), Lettres de Gui Patin 1630-1672, Paris, ed. Champion, 1907, p.442.

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Ferté démontre comment le père de cet étudiant a acheté un doctorat pour son fils « sans grande étude ny erudition 207» à un professeur cadurcien. Les soupçons pèsent lourdement sur

Mailhès, professeur à l’université à cette période. En effet, l’université de Cahors était assez connue pour la modicité de ses grades. Les soucis y sont nombreux : absentéisme des étudiants, contravention au règlement fixant des interstices entre les graduations ou encore hérédité des chaires.

Une autre affaire semble rappeler que de tels désordres touchent également l’université de Montpellier, si l’on en croit la querelle éclatant entre les professeurs de Toulouse et ceux de Montpellier. En 1783, les professeurs de la faculté de Toulouse furent alertés du comportement frauduleux de certains étudiants allant à Montpellier208. Ces derniers se

vantaient de pouvoir s’inscrire et obtenir leur grade sans justification, et ce malgré les règlements. Les professeurs toulousains envoyèrent une missive à leurs homologues de Montpellier pour les prévenir et leur prier de remédier au dit problème.

Même s’il faut prendre un certain recul par rapport à ces rumeurs, les actes des professeurs en témoignent : la fraude est bien présente à Montpellier.

Hélène Berlan soulève, elle aussi, une fraude à deux visages, institutionnelle et estudiantine, mais définie de façon différente. Tout d’abord, d’un point de vue institutionnel, il existe une « complicité209 » : une entente tacite entre les universités d’Orange et de Montpellier. Il est

vrai que les pratiques existantes entre les deux universités révèlent une habitude si ancrée qu’elle semble indéracinable. Perdurant tout au long du XVIIIe siècle, cet usage est dénoncé

en 1782 par un professeur d’Orange, François Vitalis auprès des professeurs de Montpellier. Comme le souligne, Hélène Berlan, seul un quart des étudiants de Montpellier terminent leurs études dans la faculté languedocienne en respectant une durée minimale de 3 années. Ce constat est le même pour les deux universités méridionales.