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CHAPITRE 1 : INTRODUCTION GÉNÉRALE

1.3 La Thérapie de Révision et Répétition par Imagerie Mentale

1.3.3 Mécanismes d'action de la RRIM

Dans le cadre de cette thèse, l'appellation "mécanisme d'action" est employée pour représenter les explications et raisonnements sous-jacents à l'efficacité d'un traitement; la littérature présente aussi des appellations similaires, telles que mécanisme de changement ou processus de changement. Les études dans le domaine du traitement des cauchemars cherchent généralement à valider leur efficacité, en évaluant la capacité de stratégies thérapeutiques ou protocoles de traitement à causer des améliorations sur des symptômes prédéterminés. Or, il est attendu que ces traitements soient efficaces parce qu'ils activent un ou plusieurs MAs, lesquels sont responsables des changements désirés. Un MA implique un processus; on s'intéresse à comment un traitement parvient à être efficace. Cela implique que cette variable peut évoluer au fil de la thérapie et nécessite donc d'être mesurée à plusieurs moments, ce qui diffère des résultats (mesures d'efficacité), qui sont généralement mesurés à un seul temps de mesure, puisqu'il est attendu que les changements ont été opérés et sont finaux (Kazdin, 2007).

La compréhension des mécanismes expliquant l'efficacité de la RRIM pourrait ordonner et permettre une parcimonie au sein des multiples composantes de traitement utilisées actuellement, dans le but d'optimiser son efficacité. Cela permettrait de sélectionner et de mettre en place rapidement les interventions les plus susceptibles d'activer les processus responsables des changements (Kazdin, 2007). Qui plus est, la connaissance des MAs est à même de favoriser la généralisation de la RRIM à plusieurs populations et contextes (Kazdin, 2007); considérant que les variables des patients et des milieux sont susceptibles d'être plus hétérogènes en milieux cliniques, une bonne connaissance des conditions nécessaires et optimales pour que la thérapie soit efficace est plus que justifiée. Un modèle théorique sous-jacent au traitement de la RRIM permettrait aux cliniciens d'adapter le traitement aux particularités de leurs patients et chez ceux dont l'efficacité ne se manifeste pas aussi rapidement.

Or, malgré les avantages de ces connaissances, on observe une absence de consensus sur les MAs de la RRIM et de ses variantes, ce qui pourrait possiblement expliquer la dispersion de la recherche sur le traitement des cauchemars. Dans une revue de littérature, l'absence de modèle théorique expliquant leur efficacité a été nommée comme l'une des principales lacunes dans ce domaine de recherche (Harb et al., 2013). Il apparait nécessaire d'avoir un modèle théorique pour guider la recherche future de façon cohérente. L'état actuel des connaissances sur les MAs de la RRIM est exposé dans les prochaines sections.

1.3.3.1 Hypothèses sur les MAs de la RRIM.

Bien qu'il n'existe aucun modèle explicatif de l'efficacité des cauchemars, il est possible de constater que plusieurs hypothèses de MAs sont suggérées dans la littérature. Des premiers questionnements sur l'efficacité des traitements pour les cauchemars sont formulés en 1978, dans une étude de Marks; l'auteur se demandait quel était l’élément thérapeutique de la technique d’imagerie mentale qu’il avait utilisée, l’approche qui a inspiré la création de la RRIM. Trois hypothèses ont été soulevées : l’exposition, l’abréaction et le sentiment de contrôle (Marks, 1978). L’exposition est le procédé par lequel une personne reste en contact avec l’objet de sa peur jusqu’à ce que son anxiété diminue. L’abréaction consiste à vivre une émotion pour s’en libérer. Une dernière hypothèse était une augmentation du sentiment de contrôle, définie plus récemment comme l’augmentation de la capacité du patient à contrôler les éléments de détresse dans ses rêves (Germain et al., 2004).

Par la suite, Halliday (1987) a proposé dans son relevé de la littérature que les traitements des cauchemars, toutes approches confondues, seraient efficaces en réduisant au moins l'une des quatre sources de détresse des cauchemars : l’anxiété qu’ils produisent, leur caractère réaliste,

l’importance qui leur est accordée ainsi que le fait que le sujet croit ne pas en avoir le contrôle. Toutefois, il ne se prononce pas sur les MAs capables de diminuer ces sources de détresse.

Aujourd'hui, les auteurs utilisent différents rationnels pour expliquer l'efficacité de leur protocole de traitement, lesquels diffèrent selon les variantes de la RRIM. Par exemple, la thérapie d'exposition, relaxation et révision est différente de la RRIM dans le fait qu'elle ajoute d'une composante d'exposition au contenu du cauchemar. Selon Davis (2009), le cauchemar représente un stimulus associé de façon erronée à une réponse de peur; la thérapie serait efficace en dissociant le contenu du cauchemar de cette réponse de peur à travers un processus d'habituation. Toutefois, les défenseurs de la RRIM soutiennent que l'exposition au cauchemar n'est pas nécessaire étant donné que la RRIM est tout aussi efficace en minimisant l'exposition au contenu du cauchemar (Krakow et al., 2000). Ce débat entre auteurs de protocoles très similaires et tous deux appuyés empiriquement démontre bien l'absence de consensus sous-tendant les processus thérapeutiques de ces traitements.

Une lacune qui paraît d'autant plus critique est l'absence de référence aux recherches dans le domaine d'étude des rêves. En effet, le fonctionnement des traitements des cauchemars peut être difficilement établi sans préalablement expliquer le phénomène de cauchemars en soi. En effet, les modèles théoriques du domaine d'étude des rêves, mais également du domaine de traitement des cauchemars, sont très peu cités et utilisés pour permettre l'avancement des connaissances sur les MAs de la RRIM. Ces derniers seraient pourtant à même d'éclairer le débat sur les MAs de la RRIM.

1.3.3.2 Apport des modèles théoriques des cauchemars aux connaissances sur les MAs. Le modèle de Spoormaker (2008) propose des recommandations cliniques indépendantes d'un protocole de traitement des cauchemars particulier, un avantage non négligeable dans l'avancement des réflexions sur les MAs de ces traitements, puisqu'il permettrait de rallier les auteurs des différents protocoles existants. Bien qu'il ne formule pas d'hypothèses sur les MAs, il est possible de déduire du modèle de Spoormaker (2008) que les MAs de la RRIM seraient de contrer les facteurs de maintien des cauchemars. La diminution de l'anxiété et des appréhensions négatives permettrait de diminuer les chances d'activer un cauchemar, la prévention de l'évitement aurait pour but de remettre en question le caractère effrayant du cauchemar, alors que la modification du script du cauchemar en mémoire (restructuration cognitive) viserait à briser le déroulement prévu du script une fois activé.

L'ouvrage de Davis (2009) suggère plusieurs MAs de la thérapie d'exposition, relaxation et révision, qui rappelons-le, partage plusieurs composantes thérapeutiques identiques à la RRIM. Les mécanismes proposés sont : l'exposition, la révision du scénario, les changements cognitifs,

l'exploration du thème du cauchemar, le sentiment de contrôle, la modification des habitudes de sommeil et la relaxation. Toutefois, ces mécanismes et les rationnels invoqués pour les justifier sont nombreux, semblent être causés par plusieurs composantes thérapeutiques et agir sur plusieurs mesures d'efficacité à la fois. Finalement, ces MAs ne découlent pas nécessairement du modèle explicatif des cauchemars; en un sens, cette section de l'ouvrage de Davis (2009) rappelle considérablement l'état de la littérature sur le traitement des cauchemars, soit une confusion à propos des MAs.

Finalement, le modèle de Nielsen et Levin (2007), puisqu'il ne propose aucune recommandation de traitement, ne se positionne pas sur les MAs. Néanmoins, il est possible de déduire de ce modèle que les MAs des traitements des cauchemars incluent la réduction de la charge affective, la modification de la structure de peur pour la rendre plus flexible au processus de recombinaison (fonction des rêves), ainsi que la diminution de la détresse affective. En ce sens, le modèle justifierait non seulement une action sur les facteurs de maintien des cauchemars mais aussi sur les fonctions du sommeil.

En somme, les connaissances sur les MAs des traitements psychologiques des cauchemars pourraient certainement être enrichies par les théories explicatives des cauchemars. Les modèles issus du domaine du traitement des cauchemars ciblent les facteurs de maintien sur lesquels intervenir et offrent pour cette raison davantage de pistes de réflexions sur les MAs. D'un autre côté, ceux-ci n'expliquent pas la fonction des rêves et ont une vision des cauchemars restreinte à ce qu'il est possible d'observer dans des études de traitement. La recherche fondamentale sur les rêves serait à même d'amener une vision plus large du phénomène de cauchemars et possiblement, de fournir des appuis plus solides à une compréhension des MAs de la RRIM.

1.3.3.3 Appuis empiriques aux MAs.

En combinaison avec un rationnel théorique, une bonne connaissance des MAs passe avant tout par l'étude empirique de ces variables. L'étude de Germain et son équipe (2004) est à notre connaissance la seule qui avait pour objectif principal de mesurer empiriquement un MA de la RRIM et plus particulièrement, valider que la RRIM amène une augmentation du sentiment de contrôle pouvant expliquer l'efficacité de cette thérapie. Des femmes victimes d'agression sexuelle ayant pris part à la RRIM ont rédigé leur cauchemar initial ainsi que le nouveau SM créé dans le cadre de la thérapie. Les auteurs ont quantifié dans ces verbatims la fréquence d'éléments de contrôle, d'éléments positifs ainsi que d'éléments négatifs. Malgré qu'aucune consigne n’avait été donnée à l'effet d’augmenter le contrôle de son rêve, ils ont constaté que les SM avaient plus d’éléments de contrôle que les cauchemars et qu'ils faisaient appel à une plus grande diversité de

modalités de contrôle du contenu du rêve (sociale, comportementale, environnementale, émotionnelle, mythique et par évitement). Ce résultat a fait croire aux auteurs que l'augmentation du sentiment de contrôle serait l’élément thérapeutique de la RRIM (Germain et al., 2004). Qui plus est, les SM avaient, comparativement aux cauchemars initiaux, une plus grande fréquence d’éléments positifs et moins d’éléments négatifs. Le fait que les SM ne soient pas dépourvus d’éléments négatifs montre que les participantes ont décidé de modifier leur cauchemar en ayant plus de pouvoir sur ces éléments, renforçant l’idée que le contrôle du rêve est au cœur du processus thérapeutique de la RRIM. D’ailleurs, aucune augmentation n’a été notée à l’échelle de chance, comme quoi c’est le contrôle du rêve et non un événement fortuit dans le rêve qui est privilégié par les participantes (Germain et al., 2004).

Il importe cependant de mentionner les limites de cette étude. Puisque seuls les SM créés en thérapie étaient analysés, il demeure difficile de statuer sur la généralisation de l'augmentation du sentiment de contrôle en dehors du contexte de thérapie ou pendant le sommeil. De plus, ces conclusions reposent sur les résultats d'un seul temps de mesure et sans comparaison à un groupe contrôle; il n'est donc pas possible d'évaluer la progression du sentiment de contrôle au fil de la thérapie et de s'assurer qu'elle est bien imputable au traitement. Cette étude n’évaluait pas l’efficacité de la RRIM, ce qui aurait permis d’étudier le sentiment de contrôle en relation avec la modification des symptômes, une condition nécessaire pour parler de MA. Finalement, la cotation de verbatims nécessaire pour mesurer le sentiment de contrôle est longue à réaliser, en comparaison à des mesures auto-rapportées utilisés pour d'autres construits. La validité du concept de sentiment de contrôle est en elle-même questionnable : à notre connaissance, il n'existe pas d'autre domaine d'étude qui ait mesuré et utilisé ce concept. Le sentiment de contrôle n'est pas rapporté comme MA d'autres troubles normalement traités par des approches de thérapie cognitive-comportementale; or, il serait surprenant qu'il soit un MA spécifique au traitement des cauchemars. Étudier cette variable comme MA nécessiterait au préalable plusieurs études pour prouver sa validité de construit, établir les qualités psychométriques de sa mesure et documenter sa pertinence dans l'étude de la RRIM.

Malgré l'apport indéniable de l'étude de Germain et al. (2004) sur l'avancement des connaissances des MAs de la RRIM, particulièrement en lien avec l'hypothèse du sentiment de contrôle, elle reste la seule étude empirique dédiée à démontrer un MA et comporte plusieurs limites, faisant en sorte que les conclusions qui peuvent en être tirées demeurent limitées. L'étude empirique de l'hypothèse du sentiment de contrôle mérite d'être poursuivie et approfondie. Au-delà des qualités méthodologiques des études, il importe de mieux conceptualiser le concept de sentiment de contrôle. Or, ce dernier a une définition semblable à celle d'un construit déjà existant et utilisé comme variable pour expliquer l'efficacité d'autres traitements psychologiques, la

perception d'efficacité personnelle (PEP). Une brève introduction à ce construit est présentée dans la prochaine section, dans un souci d'élucider comment il peut s'avérer pertinent dans l'étude des MAs de la RRIM.