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CHAPITRE IV : CONCLUSION GÉNÉRALE

4.3 Implications Cliniques

La présente thèse offre aux cliniciens le premier modèle théorique pour comprendre comment fonctionne le traitement des cauchemars. Les traitements psychologiques des cauchemars étant encore relativement récents, ces connaissances sont nécessaires pour les rendre plus efficaces. Plusieurs situations cliniques peuvent entraver le déroulement d'un traitement tel que recommandé dans un protocole : par exemple, un contexte clinique nécessitant d'ajuster les modalités des rencontres, un patient avec des troubles comorbides, un patient pour qui la thérapie n'est pas immédiatement efficace, un contenu d'un cauchemar qui se prête mal aux stratégies d'exposition ou de révision du scénario, etc. Connaître les MAs du traitement des cauchemars qu'ils offrent est essentiel aux cliniciens pour adapter convenablement leur traitement aux particularités de leurs patients et de leur milieu clinique.

Notre modèle soulève que les cliniciens devraient concentrer leurs efforts à promouvoir le traitement émotionnel de la structure de peur des cauchemars. Puisqu'aucun protocole ne semble supérieur à un autre (Casement & Swanson, 2012; Harb et al., 2013), il est suggéré que les traitements validés empiriquement représentent un ensemble de stratégies thérapeutiques pour arriver à cette fin. Le modèle de l'efficacité des traitements des cauchemars décrit dans l'étude 1 ne spécifie pas quelles sont les stratégies thérapeutiques capables d'activer chacun des MAs, ni à quel moment, faute de données à ce sujet. Cette section présente néanmoins certaines déductions qu'il est possible de faire sur les stratégies thérapeutiques recommandées, lesquelles nécessitent d'être testées empiriquement.

4.3.1 Favoriser le traitement émotionnel.

Pour favoriser le traitement émotionnel, il importe d'activer la structure de peur et d'y incorporer des informations incompatibles. Pour y parvenir, il importe donc (1) d'identifier l'objet de la peur afin de (2) s'assurer de l'activation de la structure de peur et (3) que les informations incorporées soient pertinentes. Les stimuli associés au phénomène des cauchemars devraient donc

être identifiés pour chaque patient. Pour ce faire, Foa et Kozac (1986) suggéraient d'utiliser comme indice l'augmentation de la vigilance. Des exemples de stimuli associés à la peur des cauchemars pourraient être le contenu du cauchemar ou des éléments de l'environnement du sommeil, tels que la chambre et la routine du sommeil (Davis, 2009; Pruiksma et al., 2016). Il importe de garder en tête que les comportements d'évitement, tels que garder les lumières ouvertes, retarder l'heure du sommeil, sortir du lit, etc. (Spoormaker & Montgomery, 2008), peuvent empêcher l'activation de la structure de peur.

Selon les objets de peur identifiés, l'activation de la structure de peur est susceptible d'avoir lieu pendant que le cauchemar se produit, en séance, ou lorsque confronté aux stimuli associés à la survenue des cauchemars (e.g., avant le coucher). En séance, discuter du phénomène de cauchemar ou remémorer le contenu d'un cauchemar permettraient de prévenir le recours à l'évitement et d'incorporer de nouvelles informations à la structure de peur. Mais à plus forte raison, le traitement émotionnel est susceptible de s'opérer en dehors des séances, lorsque le patient se trouve en présence des stimuli associés au phénomène de cauchemars. Les devoirs à réaliser à la maison seraient particulièrement importants dans ce contexte, qu'il s'agisse de visualiser le nouveau script d'un cauchemar, d'exercices de relaxation et de respiration, de se remémorer des croyances réalistes à propos des cauchemars ou de tout exercice prévenant le recours à l'évitement. Finalement, la nature onirique du symptôme ciblé ne permet pas d'incorporer consciemment de nouvelles informations à la structure de peur pendant que le cauchemar se produit, à moins que le patient ne parvienne à devenir lucide pendant les rêves. Étant donné que les cauchemars constituent en grande partie un phénomène visuel, une façon d'accéder plus facilement à la structure de peur et de permettre son traitement émotionnel serait de recourir à la modalité d'imagerie mentale (Krakow & Zadra, 2006).

La prochaine section expose les types d'informations incompatibles proposées dans les stratégies thérapeutiques des protocoles de traitements des cauchemars. Selon l'objet de la peur et le moment où il est possible d'activer la structure de peur, la diversité de ces stratégies offre un éventail de possibilités aux cliniciens pour arriver à permettre le traitement émotionnel.

4.3.1.1 Stratégies thérapeutiques recommandées.

L'exposition en imagination prolongée et répétée au souvenir du cauchemar permettant une habituation et une tolérance à la détresse pourrait être pertinente seulement dans les cas où le contenu même du cauchemar fait partie de la structure de peur d'un patient. Autrement, une exposition de courte durée au contenu du cauchemar serait suffisante pour permettre de contrer l'évitement et une première remise en question de la structure de peur. En effet, des exemples de la

littérature montrent que le simple fait d'avoir parlé d'un cauchemar en traitement n'était pas associé à une montée d'anxiété, les patients constatant que les émotions du cauchemar n'étaient pas revécues à l'éveil (Davis, 2009; Morgan Iii & Johnson, 1995). La révision du scénario du cauchemar, ou la pratique du rêve lucide dans laquelle le patient décide de la modification qu'il apportera à son scénario lorsqu'il prendra conscience qu'il rêve de son cauchemar, sont aussi des façons de permettre l'incorporation d'éléments incompatibles avec le contenu du cauchemar (Spoormaker, 2008); toutes ces techniques auront aussi l'avantage de modifier la croyance sous-jacente à cette structure de peur, selon laquelle les cauchemars sont incontrôlables (Krakow & Zadra, 2006).

Lorsque l'environnement du sommeil semble avoir été associé à la peur de vivre des cauchemars chez des patients, les techniques de traitement de l'insomnie (hygiène du sommeil, contrôle du stimulus et restriction du sommeil) pourraient s'avérer efficaces pour briser cette association (Davis, 2009). Les stratégies de relaxation et de respiration viseraient pour leur part à réduire l'anxiété et l'activité cognitive avant le sommeil dans le but de diminuer les chances d'occurrence d'un cauchemar. La restructuration cognitive et la psychoéducation seraient des stratégies permettant de modifier les croyances irréalistes sur les cauchemars qui sont susceptibles d'augmenter l'anxiété d'anticipation ou la détresse ressentie dans un cauchemar.

L'identification et la modification du thème traumatique dans le cauchemar est un ajout à la technique de révision du scénario du cauchemar, que l'on retrouve dans la thérapie d'exposition, relaxation et révision (Davis, 2009). Le thème du cauchemar a été défini par les « structures et processus de compréhension cognitive et affective non résolus » (Davis & Wright, 2006, p. 9, traduction libre). La révision du scénario, en ciblant directement le thème au cœur du cauchemar, permettrait sa résolution, un plus grand sentiment de contrôle ainsi qu'une plus grande diminution des cauchemars et symptômes associés (Davis & Wright, 2006). Cette technique est innovante, puisqu'elle sous-tend un MA derrière la technique de révision du scénario de cauchemar, qui serait de permettre le traitement émotionnel de la structure de peur à l'origine du contenu du cauchemar. Bien que cette stratégie fut inventée pour permettre un intermédiaire entre le traitement des cauchemars et du TSPT, les cauchemars idiopathiques sous-entendraient aussi des préoccupations émotionnelles (Hartmann, 2008; Krakow, 2015; Krakow, 1992). D'ailleurs, selon le modèle de Nielsen et Levin (Levin & Nielsen, 2007; Nielsen & Levin, 2007), un cauchemar idiopathique serait la résultante d'un échec à la fonction d'extinction de peur par la combinaison d'éléments chargés affectivement avec de nouvelles informations; cette compréhension semble rejoindre celle de Davis et Wright (2006) selon laquelle le thème du cauchemar n'est pas résolu. L'exploration du thème du cauchemar pourrait donc s'avérer profitable pour modifier la structure de peur et rejoindrait les patients pour qui la quête de sens de leurs rêves est importante. Qui plus est, cette technique

pourrait être offerte aux patients faisant des cauchemars non récurrents qui n'ont pas développé une structure de peur associée au phénomène de cauchemars, mais pour qui ce symptôme engendre tout de même une détresse importante lorsqu'il est vécu.

Notre modèle soutient aussi qu'augmenter le sentiment de contrôle, ou la PEP, serait une façon de modifier la structure de peur. À cet effet, Bandura (1977) propose quatre façons d'acquérir une plus grande PEP, ce que plusieurs des stratégies thérapeutiques des traitements des cauchemars permettraient d'accomplir : l'accomplissement d'une performance (e.g., la révision d'un scénario, la pratique du rêve lucide), la persuasion verbale (e.g., la psychoéducation et la restructuration cognitive), l'activation d'émotions positives (e.g., la relaxation, l'imagerie mentale plaisante) et l'expérience vicariante (e.g., en contexte de thérapie de groupe). Les données de l'étude 2 spécifient que, pour avoir un impact sur les symptômes nocturnes d'insomnie et de qualité du sommeil, l'augmentation de la PEP doit être spécifiquement à propos des rêves et cauchemars.

Devant la multitude de stratégies, les cliniciens devraient se souvenir de privilégier les techniques auxquelles leurs patients semblent le mieux répondre. Par exemple, le traitement émotionnel de la structure de peur pourrait être facilement activé chez un patient par des stratégies cognitives (e.g.., psychoéducation), alors que chez un autre patient, des expériences émotionnelles (e.g., prendre le contrôle du scénario d'un cauchemar) s'avèreront nécessaires pour le convaincre de que ses cauchemars ne sont pas incontrôlables et dangereux. Finalement, viser l'augmentation du sentiment de contrôle tôt dans le suivi aurait des effets plus larges, en augmentant l'acceptabilité du traitement, le recours aux stratégies thérapeutiques et l'efficacité du traitement. En effet, le sentiment de contrôle serait primordial pour le bon fonctionnement d'autres stratégies thérapeutiques, telles que l'exposition et la pratique du rêve lucide (Kellner, Singh, & Irigoyen- Rascon, 1991; Zadra & Pihl, 1997) et un haut niveau de PEP a été associé à l'observance du traitement de l'insomnie (Bouchard et al., 2003).

4.3.1.2 Stratégies particulières aux cauchemars post-traumatiques.

Selon le modèle suggéré dans l'étude 1, les cauchemars post-traumatiques répondraient aux mêmes MAs que les autres types de cauchemars récurrents, puisqu'ils constituent le même phénomène s'étalant sur un continuum de sévérité (Levin & Nielsen, 2007). La particularité des cauchemars post-traumatiques serait leur structure de peur plus rigide comportant non seulement des informations sur le phénomène de cauchemars, mais aussi sur le trauma. Pour cette raison, les mêmes stratégies thérapeutiques recommandées précédemment s'appliquent, puisqu'elles visent le traitement émotionnel.

Le traitement d'exposition, relaxation et révision est un protocole de traitement des cauchemars très similaire à la RRIM qui cible spécifiquement les cauchemars post-traumatiques. Sa principale distinction est qu'il ajoute des composantes d'exposition au contenu du cauchemar ainsi que l'exploration du thème du cauchemar. Il n'y a pas pour le moment pas de différence en termes de protocoles basés sur la révision du scénario d'un cauchemar qui ajoute ou évite l'exposition au souvenir du cauchemar pour les gens souffrant de cauchemars post-traumatiques (Casement & Swanson, 2012; Pruiksma et al., 2016). À l'instar de ce qui a été mentionné plus tôt, l'exposition peut donc être utilisée, particulièrement lorsque le contenu du cauchemar est identifié comme un stimulus de peur en lui-même.

En ce qui concerne l'exploration du thème traumatique du cauchemar, une étude a démontré que cette stratégie augmenterait l'efficacité du traitement (Harb, Thompson, Ross, & Cook, 2012). Possiblement, cette technique aurait l'avantage de modifier autant les informations de la structure de peur sur le trauma que sur le phénomène de cauchemars. D'autres études sont nécessaires pour confirmer les bénéfices de cette stratégie.

4.3.1.3 Favoriser les fonctions du sommeil.

Une des utilités du sommeil serait de permettre la continuité du traitement émotionnel de la structure de peur entamé de jour dans le cadre de traitements psychologiques (étude 1). Or, notre modèle n'exclut pas la possibilité de favoriser le MA de traitement émotionnel en agissant directement sur les fonctions du sommeil. Les perturbations du sommeil suivant un événement traumatique empêcheraient les fonctions adaptatives du sommeil et expliqueraient les cauchemars répétitifs (Phelps et al., 2008). Il est maintenant démontré la très forte comorbidité entre la présence de cauchemars, d'insomnie et d'apnée du sommeil; or, le traitement de l'apnée du sommeil a démontré un impact sur la réduction des cauchemars, autant chez des patients avec ou sans diagnostic de TSPT (Krakow, 2015). Le dépistage de l'apnée du sommeil suivi d'un traitement approprié pourrait s'avérer une avenue prometteuse pour restaurer les fonctions du sommeil chez les personnes qui en souffrent.

Une autre façon d'intervenir sur les fonctions du sommeil serait par la prise de psychotropes. À ce jour, la prazosine est recommandée comme le traitement pharmacologique de première ligne pour les cauchemars associés au TSPT (Aurora et al., 2010) et est démontrée aussi efficace que les traitements psychologiques des cauchemars (Augedal et al., 2013). Il s'agit d'une médication normalement utilisée pour traiter l'hypertension, mais elle pourrait avoir un impact sur les cauchemars de par son action bloquant les récepteurs alpha-1 adrénergiques, lesquels sont associés à la réaction de peur (Maher et al., 2006). Cependant, plus d'études sont nécessaires pour

tester l'efficacité de la prazosine sur les cauchemars idiopathiques et en combinaison avec un traitement psychologique (Nadorff, Lambdin, & Germain, 2014). Qui plus est, le maintien des gains de cette médication après l'avoir cessée n'a pas été prouvée, contrairement aux traitements psychologiques pour lesquels l'efficacité a été démontrée après la fin de la thérapie (Augedal et al., 2013). Malgré ces lacunes, la prazosine s'avère une avenue prometteuse pour les patients ne désirant pas travailler sur leurs cauchemars en thérapie ou pour optimiser l'effet de la thérapie.

Pour avoir un impact sur les cauchemars, les traitements pharmacologiques ayant un impact sur les structures cérébrales impliquées dans la formation des rêves devraient être privilégiée. Levin et Nielsen (2007) ont identifié quatre structures modulant la détresse vécue dans les rêves et cauchemars : l'amygdale, associée à la formation de souvenirs de peur et leur réactivation; le cortex préfrontal médial, responsable de l'extinction de la peur; l'hippocampe, détenant l'information sur le contexte dans lequel s'inscrit la peur; et le cortex cingulaire antérieur, régulant la détresse ressentie. De manière théorique, une médication qui empêcherait l'activation émotionnelle en rêve pourrait diminuer les cauchemars; or, comme l'activation de la structure de peur en rêve est une condition nécessaire au traitement émotionnel, une telle médication ne permettrait sans doute pas un maintien des gains après son arrêt.