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Critiques sur le concept de sentiment de contrôle

CHAPITRE IV : CONCLUSION GÉNÉRALE

4.2 Implications Théoriques

4.2.2 Critiques sur le concept de sentiment de contrôle

Comme il vient d'être constaté, le sentiment de contrôle est un MA ne pouvant pas être déduit des modèles théoriques de Spoormaker (2008) et de Nielsen et Levin (Levin & Nielsen, 2007; Nielsen & Levin, 2007), et bien que suggéré pour expliquer l'efficacité du protocole de traitement de Davis (2009), il ne semble pas issu de son modèle des cauchemars. Il est plutôt étonnant de noter l'absence de notion de sentiment de contrôle dans l'explication de la création et de la récurrence des cauchemars alors qu'elle est l'hypothèse de MA la plus rapportée dans la littérature sur le traitement des cauchemars (étude 1). Or, on observe également des références au sentiment de contrôle pour décrire comment se sentent les personnes souffrant d'insomnie et de TSPT, sans toutefois que le concept ne fasse partie des modèles théoriques de ces troubles (Foa & Rothbaum, 1998; Morin, 1993).

Les rêves représenteraient nos préoccupations émotionnelles (Hartmann, 1998) pour permettre leur traitement émotionnel (Nielsen & Levin, 2007; étude 1). Or, l'absence de contrôle serait un thème fréquent dans les cauchemars récurrents (Ellis, 2016; Germain et al., 2004; Harb, Thompson, Ross, & Cook, 2012). Un faible sentiment de contrôle pourrait être une information de

la structure de peur s'activant dans les rêves et contribuant à susciter des cauchemars lorsque celle- ci est trop rigide. Si cela s'avérait véridique, son augmentation serait cruciale dans le traitement émotionnel de la structure de peur, le MA principal du modèle explicatif des traitements des cauchemars présenté dans l'étude 1.

De manière générale, il a été observé dans l'étude 1 que la définition du sentiment de contrôle est souvent floue, à quelques exceptions près. Il en résulte que les tentatives pour l'opérationnaliser ont mené à plusieurs mesures différentes : une cotation qualitative du récit d'un cauchemar et de sa version modifiée (Germain et al., 2004), des questionnaires sur le locus de contrôle spécifique et généraux (Miller et al., 2014; St-Onge, 2003), la perception d'avoir réussi à contrôler le contenu de ses rêves (Harb et al., 2016) et des questions sur la PEP (étude 2). Cette difficulté à opérationnaliser le sentiment de contrôle pourrait venir du fait que ce concept recoupe beaucoup les autres MAs de modification des croyances, diminution de la vigilance et prévention de l'évitement. En effet, l'analyse qualitative des catégories de MA de l'étude 1 a démontré beaucoup de superpositions entre le mécanisme de sentiment de contrôle et celui de modification des croyances.

La définition de PEP semble permettre non seulement d'opérationnaliser le MA de sentiment de contrôle, mais aussi expliquer la grande superposition entre les différents MAs. En effet, la PEP est décrite comme une croyance fondamentale sur sa capacité perçue de gérer ses comportements, ses cognitions et sa motivation sur les demandes environnementales occasionnées par un stresseur, ainsi que la perception que ses actions auront l'effet désiré; la PEP influencerait considérablement la détresse ressentie lorsqu'une personne est confrontée à un stresseur, les stratégies d'adaptation mises en place et la persévérance dans les efforts malgré les obstacles. La PEP est donc très liée aux cognitions, comportements et émotions, et un changement sur l'une de ces composantes est à même d'influencer les autres (Bandura, 1977; Maddux, 1995).

Des études de traitement démontrent l'influence de la PEP sur les cognitions, émotions et comportements. Dans une étude de traitement de l'insomnie, un haut niveau de PEP était associé à une meilleure adhérence au traitement (Bouchard, Bastien, & Morin, 2003), comme quoi la PEP est très liée aux comportements. Auprès d'individus souffrant d'un trouble panique, Fentz et son équipe (2013) ont démontré une prédiction bidirectionnelle entre le niveau de PEP (spécifique aux attaques de panique) et le niveau d'anxiété : une plus haute PEP en cours de traitement cognitivo- comportemental était un médiateur de l'efficacité du traitement sur l'anxiété, alors que la diminution d'anxiété en cours de thérapie prédisait une plus grande PEP. Le lien entre la PEP et les cognitions est cependant moins clair. La PEP à propos des attaques de panique n'était que faiblement corrélée aux croyances catastrophiques (Fentz et al., 2013), alors que chez des gens souffrant d'insomnie, la

PEP à propos du sommeil était reliée aux cognitions sur le sommeil, plus particulièrement celles en lien avec le contrôle (Carney & Edinger, 2006).

Ainsi, en référence au modèle des MAs présenté dans l'étude 1, la PEP à propos des rêves et des cauchemars pourrait être un médiateur de l'efficacité de la RRIM sur l'insomnie et la qualité du sommeil parce qu'elle influence les autres MAs de la structure de peur (modification des croyances, diminution de la vigilance et prévention de l'évitement). Autrement dit, la PEP recouperait et influencerait les facteurs de maintien des cauchemars récurrents. Afin de tester ces allégations, il importe d'inclure des mesures des MAs sur lesquels la PEP aurait une influence.

Il est possible d'ajouter à cette compréhension l'apport théorique des deux sous-catégories de la PEP, l'attente d'efficacité et l'attente de résultat. La perception d'être capable de contrôler le contenu de ses rêves (PEP à contrôler ses rêves) correspond à une attente d'efficacité, soit une capacité à produire un certain comportement, alors que la perception d'arriver à ne plus faire de cauchemars un jour (PEP à surmonter ses cauchemars) serait quant à elle une attente de résultat. Étant donné la grande corrélation entre ces deux types de PEP (Maddux, 1995), il est plutôt étonnant de constater qu'ils prédisent des symptômes différents. Une faible puissance statistique pourrait expliquer cette différence; des tailles d'effet légèrement plus élevées auraient pu être détectées significatives et auraient mené à la conclusion que la PEP à contrôler ses rêves et surmonter ses cauchemars prédisent toutes deux l'amélioration de l'insomnie et de la qualité du sommeil.

Néanmoins, il est possible d'émettre l'hypothèse que l'attente d'efficacité (PEP à contrôler ses rêves), parce qu'associée à la production de comportements, pourrait davantage réduire le recours à des comportements d'évitement et ainsi avoir un impact plus grand sur un facteur de maintien important de l'insomnie. L'attente de résultats quant à elle (PEP à surmonter ses cauchemars) pourrait diminuer la détresse ressentie à l'égard des cauchemars et leur permettre de bénéficier davantage de leur sommeil. En effet, la souffrance liée à un trouble mental proviendrait d'une grande part de l'impression de ne pas contrôler une sphère importante de sa vie (faible PEP) (Maddux, 1995).

Pour conclure sur cette section, il appert qu'une mesure de PEP spécifique aux rêves et cauchemars est une avenue prometteuse pour mieux définir les limites du MA de sentiment de contrôle et l'opérationnaliser; l'usage de ce terme devrait être priorisé sur celui de sentiment de contrôle. De manière théorique, la PEP semble être un MA important dans le traitement des cauchemars, puisqu'inter-reliée à plusieurs autres MAs ou composantes de la structure de peur responsable des cauchemars. Étant donné leurs interrelations, il importe de mesurer plusieurs MAs à la fois pour détailler la façon dont la PEP opère avec ces derniers. Toutefois, il importe de

rappeler que l'étude 2 de la présente thèse nuance la contribution de la PEP sur l'efficacité de la thérapie : des médiations partielles sont observées uniquement sur l'insomnie et la qualité du sommeil. Ainsi, pour l'instant, aucun appui empirique ne soutient que la PEP explique l'efficacité de la RRIM sur le symptôme des cauchemars, le principal symptôme ciblé par ce traitement. Cela met de l'avant que plus d'études sont nécessaires pour démontrer la spécificité et la pertinence de la PEP comme MA des protocoles de traitement des cauchemars sur la fréquence et la sévérité des cauchemars.