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1. L’ÉLABORATION DE LA POLITIQUE DE L’ASILE : RÉACTION

1.1 Un système de l’asile défaillant confronté à une crise migratoire d’envergure

1.2.2 Lutter contre les bidonvilles : un objectif prioritaire sur le plan politique

D’une manière générale, un autre phénomène préoccupe fortement les autorités, nationales comme locales. Il est évidemment question de la formation de campements illégaux, ou bidonvilles, qui, là encore, plaident en faveur d’un encadrement strict de la présence de ressortissants étrangers - et donc des demandeurs d’asile - sur le territoire national.

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L’argument avancé en premier lieu par la puissance publique pour justifier l’objectif de résorption de ces camps est d’ordre social. Il s’agit de remédier à la situation de misère et de vulnérabilité dans laquelle se trouvent les habitants des bidonvilles, soumis à des conditions de vie indignes qui s’opposent aux idéaux de progrès et de promotion sociale chers au modèle démocratique français (Bernardot, 2008). Cette nécessité est effectivement mise en avant dans la circulaire interministérielle du 22 juillet 2015 relative à la mise en œuvre du plan migrants, qui juge les campements illicites « indignes et inacceptables pour tous, à commencer par les migrants eux-mêmes ».

La lutte contre la persistance et le développement de ce phénomène relève également du maintien de l’ordre public, suivant l’idée que les camps constituent une menace assez importante à cet égard :

[À propos notamment des occupants du camp de Calais] : « [C]es migrants qui transitent […] vont générer des troubles à l’ordre public par leur présence parfois massive ou parfois agressive […] »

Haut fonctionnaire en poste à la DGEF

Par ailleurs, il est clair que la question des bidonvilles, au travers des problèmes susnommés, revêt une dimension éminemment politique. Les autorités compétentes - ou dont la population pense parfois à tort que la gestion de ce type de situation relève de leur responsabilité - sont généralement jugées très défavorablement par l’opinion à l’aune de l’émergence de ces campements qui ne « f[ont] pas très propre »36 :

« Par contre, où ça va poser problème, c’est le jour où [les gens déboutés du droit d’asile] seront expulsés de leur logement, qu’ils vont se retrouver sur la place publique, qu’ils vont aller … enfin, la presse, etc., qu’ils vont peut-être faire des campements sauvages. Là, les gens les voient. Les gens prennent conscience. « Et qu’est- ce que fait la mairie ? Une municipalité de gauche, qu’est-ce qu’elle fait ? ». Donc, là, les gens qui n’ont jamais pensé à eux, d’un seul coup, vont aller voir si on peut pas les héberger […] »

Adjointe au Maire de Blois

« Et pour le coup, là, l’impact politique existe parce que les riverains les voient, évidemment, ne désirent pas leur présence, ça va sans dire. »

Collaborateur au cabinet du Maire de Blois

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De plus, le coût politique de la formation d’un bidonville ne se limite pas nécessairement à la crispation de l’opinion publique sur ces sujets et à ses conséquences en termes de popularité des élus locaux et nationaux. Ces campements sauvages étant généralement installés sur des terrains situés dans les centres-villes ou dans les périphéries de grandes agglomérations, ils sont par exemple susceptibles de bloquer des projets d’aménagement (Bernardot, 2008), eux-mêmes très politiques par nature.

Pour toutes ces raisons, les objectifs de démantèlement des camps existants et de prévention de l’apparition de nouveaux bidonvilles jouent un rôle moteur à l’égard des pratiques visant à fluidifier le dispositif d’accueil :

« L’OFII et la CNDA, effectivement, ont tendance à travailler un peu plus vite, en tout cas sur certaines typologies de publics ou d’origines. […] Enfin, tous les pays dont on sait qu’il y a un conflit dur, aujourd’hui et qui seront, 9 fois sur 10, reconnus réfugiés. Il veulent absolument aller le plus vite possible parce que ça va permettre à la fois de libérer des places en institution mais aussi d’avoir un impact direct sur les camps type Calais ou Dunkerque, forcément. C’est aussi politique que le respect de la convention [de Genève] sur la demande d’asile. »

Chef de service des dispositifs HUDA et CAO à l’ASLD 41

La création des centres d’accueil et d’orientation, précisément destinés à héberger les occupants de ces campements durant le temps nécessaire à la reconsidération de leur projet migratoire, illustre cette volonté de faire disparaître les bidonvilles au plus vite. En effet, si la fonction première des CAO est d’orienter les personnes éligibles vers une procédure d’asile, on peut se demander en quoi cette tâche ne pourrait s’effectuer directement au sein des camps, dans le cadre d’un processus administratif prôné par certains acteurs associatifs tels que la Fapil37 (Petit, 2006). L’éradication de ces campements est en fait élevée à un tel rang de priorité

que cela donne lieu, au dire de certains acteurs associatifs, à une gestion expéditive de la situation, caractérisée par une orientation massive et indifférenciée de tous les publics vers ce dispositif38.

Toutefois, cette logique de contrôle étatique au service du maintien de l’ordre public ne s’applique pas seulement à la lutte contre les campements illicites. D’une manière générale, elle

37 Fédération des associations pour l’insertion par le logement

38 Source : Maryline Baumard. « Pourquoi les migrants de Calais boudent les centres d’accueil et d’orientation

prévus pour eux ». Le Monde. [en ligne]. Disponible sur http://www.lemonde.fr/immigration-et-

diversite/article/2016/03/01/pourquoi-les-migrants-de-calais-boudent-les-centres-d-accueil-et-d-orientation- prevus-pour-eux_4874486_1654200.html. (Dernière modification le 02/03/2016)

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s’observe à travers nombre de facettes de la politique de l’asile et semble notamment avoir inspiré certaines des mesures engagées récemment.

1.2.3 Vers une position hégémonique du ministère de l’Intérieur dans la gestion de l’asile