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2. LA MISE EN ŒUVRE DE LA POLITIQUE D’ACCUEIL VUE DE

2.2 Une appropriation parfois difficile en dépit des capacités d’adaptation des acteurs locaux

2.2.2 Une bonne adaptabilité des acteurs locaux face aux difficultés liées à la restructuration du

Comme nous avons pu l’observer, les cadres définis par la puissance publique dans l’optique d’assurer la territorialisation de la politique de l’asile s’avèrent parfois insuffisants ou, à l’inverse, trop stricts, ce qui peut nuire à l’appropriation et à la mise en œuvre de cette politique par les acteurs locaux. Pour autant, force est de constater que ces derniers sont

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capables d’efforts d’adaptation importants en vue de permettre l’application des mesures décrétées au niveau national. À titre d’exemple, on évoquera ici le cas de la réorganisation locale du système d’accueil, qui témoigne de la mobilisation des acteurs en faveur d’une transition réussie.

Cet engagement des partenaires est notamment perceptible dans la mise en place de la procédure de pré-accueil. Censée incomber à terme à des prestataires désignés à l’issue d’appels d’offres, la prise en charge de ce dispositif a tout de suite été effectuée par les acteurs étatiques locaux, en vue de rendre le pré-accueil opérationnel au plus vite. Généralement assurée par les préfectures de département, cette mission a, par défaut, été endossée par la direction territoriale de l’OFII sur le département du Loiret, ce qui met en lumière l’adaptabilité des administrations locales :

« [O]n a suppléé l’absence de pré-accueil. Il a fallu qu’on prenne sur nous. Sur les autres territoires, c’était les préfectures qui ont assuré le pré-accueil. Ici, comme la préfecture, en plus, était en travaux, justement pour la mise en place du guichet unique, [elle] ne pouvait pas recevoir les personnes, donc c’est l’OFII qui s’y est collée et qui assurait le pré-accueil. »

Directeur territorial de l’OFII en région Centre - Val de Loire

En Loir-et-Cher, où l’absence de prestataire implique que la préfecture assume la responsabilité du pré-accueil de manière plus durable60, on peut voir que des initiatives sont prises en vue d’en faciliter la mise en œuvre :

« Alors on s’organise parce que, prochainement, [...] je vais avoir un service civique, donc une jeune fille […]. Elle va être là pour huit mois. [...] [C]ette personne [...], elle parle anglais, elle parle arabe, donc ça va être un plus pour le pré-accueil étranger. Donc qui dit pré-accueil de l’ensemble des étrangers, dans le lot, elle va accueillir aussi, en pré-accueil, des demandeurs d’asile et, ensuite, nous on les prend au guichet personnalisé. »

Chef du service de l’Immigration et de l’Intégration Préfecture de Loir-et-Cher

Cette capacité d’organisation, jugée cruciale - en ce qu’elle permet aux acteurs d’agir - par les partisans d’une analyse des politiques publiques fondée sur le principe du choix rationnel (Balme et Bouard, 2005), est d’autant plus visible en situation de crise. Pour cause, les enjeux sont nécessairement plus importants et, de ce fait, appellent une forte réactivité des partenaires. Ainsi, la façon dont ont été gérées les conséquences du transfert de la responsabilité du

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versement des allocations financières illustre bien la capacité d’adaptation des acteurs locaux en Loir-et-Cher. De fait, cette réorganisation s’est avérée particulièrement complexe :

« [O]n a rencontré de très grosses difficultés. Ça a même été dramatique. Ça a été une horreur. On a vécu trois mois d’enfer. »

Directeur territorial de l’OFII en région Centre - Val de Loire

En effet, la prise en charge par l’OFII de la gestion de l’ADA, par ailleurs soumise à des règles de calcul différentes de celles appliquées auparavant pour déterminer les montants respectifs de l’ATA et de l’AMS61, s’est accompagnée de défauts de paiement considérables :

« [A]lors, le problème, c’est qu’à la fois il y a eu ce transfert de compétence de Pôle Emploi vers l’OFII et, en plus, il y a eu une modification des règles de calcul. Et les deux en même temps, ça fait beaucoup. Et ça a été source d’erreurs et de non-paiements de façon importante, c’est-à-dire que le premier mois où on aurait dû verser l’ADA, il y a quasiment la moitié des demandeurs d’asile qui l’ont pas reçue. »

Directeur territorial de l’OFII en région Centre - Val de Loire

« [E]n janvier, finalement, 2 cas sur 3, les gens n’avaient rien perçu. »

Chef de service des dispositifs HUDA et CAO à l’ASLD 41

En considération de l’ampleur de ces dysfonctionnements et, plus particulièrement, des enjeux liés au risque que des centaines de personnes se voient privées de ressources pendant plusieurs mois, on peut donc parler d’une situation difficile, dont les différents acteurs de l’asile se sont efforcés de modérer l’impact, à commencer par les organismes hébergeurs.

Dans un premier temps, ceux-ci ont effectivement décidé de procéder à des avances en faveur des individus concernés, de manière à assurer un « dépannage de survie »62 à leur endroit. De ce point de vue, l’effort d’adaptation fourni par les associations est à apprécier au regard des contraintes imposées par ce choix, notamment en termes de charge de travail supplémentaire pour les intervenants sociaux :

« [Ç]a nous a généré énormément de travail, beaucoup plus que de gérer l’AMS puisque c’est quelque chose qui roulait, qui tournait. [...] [I]l a fallu qu’on gère un système d’avances à verser avec toute une logistique

61 Cf. note de bas de page 39, p.38

76 de documents derrière qui n’était pas prévue, du temps à passer là-dessus et des explications à donner, etc. Enfin, pour nous, ça a été très chronophage [...]. »

Directrice du CADA de Romorantin-Salbris

Par ailleurs, le risque que les montants avancés ne soient pas recouvrés existe, quoiqu’à différents niveaux suivant le type de structure d’hébergement. En effet, si cette directrice d’établissement CADA tient à souligner le fait que les avances dont ont bénéficié les personnes hébergées ont toutes été remboursées, l’association en charge d’assurer l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile sur le département se montre plus pessimiste à ce sujet, en raison de la plus grande instabilité de l’HUDA :

« [C]’est toujours délicat puisqu’il faut bien comprendre qu’on ne maitrise pas le délai de sortie, c’est-à- dire que la personne, on lui a avancé 200€ ou l’équivalent de 200€ cumulés au 30 décembre, si le 5 janvier, elle est acceptée en CADA, elle est partie le 7, on ne reverra pas l’argent. Et ça, on ne peut pas le savoir. On ne peut pas le deviner. »

Chef de service des dispositifs HUDA et CAO à l’ASLD 41

Dans un deuxième temps, alors qu’elle apprenait qu’une partie des versements attendus ne seraient finalement pas effectués, l’ASLD a fait évoluer sa stratégie dans la gestion de cette crise, ce qui constitue un autre exemple des ressources dont disposent les acteurs locaux devant pareille situation. De fait, ne sachant pas dans quelle mesure les allocations théoriques seraient effectivement attribuées aux demandeurs d’asile et face à la difficulté d’obtenir que des subventions supplémentaires lui soient attribuées, l’association a été amenée à chercher d’autres moyens de satisfaire au mieux les besoins fondamentaux des demandeurs d’asile :

« [D]e notre côté, nous, on ne savait pas comment se placer vis-à-vis de ces avances. Finalement, ce qui a été un peu imaginé, ça a été de se dire qu’on va essayer de gérer un certain nombre de besoins qu’on se doit de satisfaire - tout ce qui est alimentaire, l’hygiène, au minimum - et de chercher à avoir ces aides-là de manière indirecte, à travers d’autres supports. Ça peut être les aides alimentaires des associations […] auprès des secours caritatifs ou des tickets services ou de tickets de bus, ce genre de choses [...]. »

Chef de service des dispositifs HUDA et CAO à l’ASLD 41

Cependant, il convient de préciser que les organismes hébergeurs n’ont pas été les seuls à faire montre d’adaptabilité dans cette épreuve. Ils ont en effet été épaulés par les services déconcentrés de l’État, qui ont tenu compte des circonstances dans le cadre du dialogue de gestion mené entre les deux partis. Des crédits initialement destinés à un autre usage ont ainsi pu être affectés prioritairement à l’amélioration de la situation :

77 « [O]n a eu des financements exceptionnels dans le cadre du plan migrants qui ont permis aussi ça mais, concrètement, c’était du ponctuel et ça n’avait pas de réel lien. C’était bien sur l’aspect migrants mais ce n’était pas en lien direct donc, après, c’était des accords avec la DDCSPP, de pouvoir faire des fonds dédiés, etc. Mais, voilà, c’est quand même du bricolage local. Pour ça, on peut souligner, quand même, le bon travail de collaboration avec les services de l’État, localement. »

Directrice générale de l’ASLD 41

En plus de confirmer les capacités d’adaptation des acteurs locaux, ces propos mettent en exergue l’importance de la coopération entre les différents partenaires dans la mise en œuvre de l’action publique. Ce faisant, ils rejoignent l’approche rationaliste de l’analyse des politiques publiques, qui soutient que le changement politique est déterminé par le niveau de coopération et de coordination des acteurs (Balme et Brouard, 2005). Partant de ce principe, il apparait donc souhaitable d’interroger la pertinence de ces notions dans le cas de la territorialisation de la politique de l’asile.

2.3 Mise en œuvre de l’action publique en Centre - Val de Loire : un rôle de