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1. L’ÉLABORATION DE LA POLITIQUE DE L’ASILE : RÉACTION

1.1 Un système de l’asile défaillant confronté à une crise migratoire d’envergure

1.2.4 La généralisation du modèle du CADA : entre réponse sociale et enjeu de surveillance

d’étrangers sur le territoire national sont révélatrices de la logique poursuivie par la puissance publique dans l’accueil de ces populations. Plusieurs auteurs se sont en effet attachés à le démonter, à l’instar de Bernardot (2008). Dans cette optique, celui-ci s’est intéressé aux camps d’étrangers, développés au cours de la première moitié du XXème siècle à destination des réfugiés et de la main d’œuvre coloniale acheminée en métropole. Selon Bernardot, ce modèle constitue un moyen de maintenir une séparation entre les occupants du camp et la population locale. En cela, il sous-tend une logique d’isolement, à l’opposé d’une démarche d’intégration du public étranger. Tel qu’il est conçu par les autorités, l’espace du camp « n’est pas un sas d’entrée vers le territoire national mais une enclave temporaire fondamentalement tournée vers l’extérieur. ». Il en va de même des foyers de travailleurs migrants qui remplacent progressivement les camps d’étrangers à partir des années 1950 mais témoignent d’une volonté identique de contrôler l’établissement des migrants coloniaux en métropole. L’auteur attribue ainsi à ces deux modes de logement contraint une ambition commune : empêcher certaines populations de « développer un rapport autonome au territoire métropolitain », à des fins de contrôle.

La même logique serait à l’œuvre concernant l’accueil des demandeurs d’asile en CADA, étant donné que ces structures constituent, au même titre que les centres de rétention - quoique dans une moindre mesure -, un espace d’enferment et de mise à l’écart du public des requérants (Kobelinsky, 2008). Pour Dufour (2006), la multiplication de mesures réglementaires visant à développer le modèle du CADA s’explique par le fait que la concentration des demandeurs au sein de tels établissements facilite le contrôle étatique de ces personnes. De fait, certains auteurs (Van Erkelens, 2005 ; Kobelinsky, 2008) soulignent le rôle prépondérant de l’État dans la définition des modalités de gestion des CADA, les associations

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gestionnaires ayant même parfois tendance à être considérées comme des prestataires de politiques publiques.

Eu égard aux conclusions de ces chercheurs et à ce qui précède, il paraît raisonnable de supposer que le cadre fixé par la réforme de l’asile, en ce qu’il « vise à redonner aux centres d’accueil pour demandeurs d’asile une place prépondérante dans l’hébergement des demandeurs »43, sert l’accroissement du contrôle étatique sur ce public. Mais est-ce réellement la première motivation de la puissance publique, celle qui a présidé au choix de généraliser le modèle du CADA ? Cette décision ne relève-t-elle pas davantage de considérations d’ordre social ? N’est-il pas plutôt question de renforcer les garanties des demandeurs d’asile, comme la loi du 29 juillet 2015 s’y engage ?

Si l’accueil des demandeurs d’asile au sein des CADA est vraisemblablement propice à une plus grande surveillance des personnes, force est de reconnaître que ce mode d’hébergement induit aussi diverses garanties pour les requérants.

En premier lieu, l’accès au CADA est synonyme de stabilité pour les demandeurs d’asile, qui sont hébergés de jour comme de nuit pendant toute la durée de la procédure, délais de recours éventuels inclus. À l’inverse, le recours aux dispositifs d’urgence est, par définition, caractérisé par une inconstance nécessairement préjudiciable aux personnes :

« L’organisation des HUDA est moins confortable pour les demandeurs d’asile, parce que, souvent, ils sont là la nuit et puis, la journée, on les met dehors. Donc après, ben, ils vaquent dans la journée ou ils vont dans des foyers, etc. alors que le CADA, bon, c’est en permanence. »

Chef du bureau de l’Immigration et de l’Intégration Préfecture de Loir-et-Cher

Les bénéficiaires d’un hébergement en CADA peuvent ainsi se consacrer pleinement à l’élaboration de leur dossier, du fait de la stabilité spécifique à ce type d’établissement.

Par ailleurs, ils profitent à cet égard d’un accompagnement administratif précieux. En effet, la complexité des modalités d’ordre procédural appelle des compétences et des connaissances particulières, principalement mobilisables au sein des CADA (Bourgeois et al., 2004), auprès de « professionnels de l’asile » :

43 Source : MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR. Mise en œuvre du programme européen de relocalisation. NOR :

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« Donc, en augmentant le nombre de places en CADA, […], on le professionnalise aussi [le dispositif d’accueil des demandeurs d’asile], parce que les personnes qui dirigent les CADA sont des personnes qui sont bien au faite de l’instruction des demandes d’asile et peuvent aider et accompagner les demandeurs d’asile. »

Directrice adjointe DDCSPP du Loir-et-Cher

La qualité de l’accompagnement ainsi proposé aux occupants des CADA influe directement sur leurs chances de voir leur demande d’asile aboutir :

« Après, ce qu’on peut dire de façon générale, c’est que, ben, je dirais, les personnes qui sont accompagnées par les CADA, de façon générale, ont souvent une meilleure prise en compte de leur demande d’asile, avec des résultats qui sont différents de la moyenne nationale donc on peut imaginer qu’un accompagnement favorise le fait de pouvoir mieux défendre ses droits au niveau de la demande d’asile. »

Directrice du CADA de Romorantin-Salbris

« [I]l y a des stats qui sont faites […], qui disent, qu’en fait, il y a 30 % de plus de chances d’être régularisé quand on passe par un CADA que quand on n’y passe pas, ce qui prouve aussi que l’accompagnement social et juridique et l’aide au récit [de vie] est importante. »

Directeur régional FNARS Centre - Val de Loire

Compte-tenu de cette corrélation importante entre hébergement en CADA et octroi de l’asile, la généralisation du modèle du CADA est probablement sous-tendue par « un souci d’équité »44 entre les demandeurs.

Enfin, de l’avis de cette directrice d’établissement, le bénéfice d’un séjour en CADA ne se limite pas à de meilleures chances d’obtenir le statut de réfugié. Il tient aussi aux mesures d’intégration qui y sont mises en œuvre, en prévision d’une éventuelle régularisation. Contrairement aux autres requérants, le demandeur d’asile hébergé en CADA prépare également sa possible insertion au sein de la société française :

« Et puis, ça favorise aussi l’intégration, c’est-à-dire que tout l’accompagnement qui est fait pendant le temps de présence au CADA va aussi favoriser l’intégration des personnes une fois qu’elles en seront sorties. »

Directrice du CADA de Romorantin-Salbris

Ainsi, le constat du contrôle étatique permis par le placement des personnes en CADA ne doit pas occulter le fait qu’objectivement ce mode d’hébergement apparait de loin comme le

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plus favorable aux demandeurs d’asile. En cela, rien ne permet a priori d’affirmer que l’enjeu de surveillance mis en lumière par plusieurs travaux académiques l’emporte sur la volonté de faire évoluer le parcours des demandeurs d’asile à leur avantage, à travers la décision de favoriser le développement de ce type de structure.

Toutefois, il convient de noter qu’en parallèle de la généralisation du modèle du CADA s’opère une diminution progressive de la qualité de l’accompagnement proposé aux demandeurs d’asile dans les établissements. L’évolution la plus représentative de ce phénomène est certainement la diminution du taux d’encadrement à hauteur duquel sont subventionnées les associations gestionnaires :

« Moi, quand je suis arrivé dans le secteur, ça fait que 3 ans, dans les CADA, c’était un travailleur social pour dix personnes. Maintenant, on est à 1/15. Et vous avez la Cour des Comptes qui préconise 1/100. Mais la Cour des Comptes, c’est des comptables, ils ont rien compris. Faudrait qu’ils viennent, de temps en temps, dans des structures de ce type là et 1/100, je leur laisse. […] Alors après, voilà, dans les 1/15, il y a des enfants, il y a pas d’enfant, on considère quoi ? »

Directeur régional FNARS Centre - Val de Loire

Cette baisse du taux d’encadrement des personnes en CADA est d’autant moins anodine qu’elle se combine à une augmentation de la charge de travail des intervenants sociaux. En effet, ces derniers sont notamment confrontés à un renouvellement plus régulier de la population hébergée - des suites de la réduction des délais de traitement résultant de la réforme du droit d’asile - ce qui implique une intensification des missions d’encadrement :

« Non, le cahier des charges45, les critiques qu’on peut lui adresser, c’est d’avoir réduit le taux

d’encadrement puisqu’ on avait, en CADA, un taux d’encadrement qui se situait dans une fourchette entre 1/10 et 1/15 et, maintenant, on a un taux d’encadrement qui se situe entre 1/15 et 1/20. Alors, dans un contexte de mise en œuvre de la réforme de l’asile, où parmi les objectifs […] - et qui fonctionnent, on le constate sur les structures, - c’est celui de la réduction des délais de traitement des demandeurs d’asile. Donc qui dit réduction des délais de traitement, dit rotation plus importante et donc accueil de nouvelles personnes de façon plus importante donc une charge de travail qui est plus importante. »

Directeur de l’hébergement et de l’accompagnement chez COALLIA

Par ailleurs, l’évolution du profil des requérants - davantage d’individus isolés - influe également sur le temps de travail consacré à l’accompagnement administratif des demandeurs.

45 Il est ici question du cahier des charges à respecter dans le cadre des appels à projets concernant l’ouverture de

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À cet égard, les familles représentent en effet une charge de travail moindre que les personnes seules, à nombre égal de place occupées :

« En plus, on observe, depuis plusieurs mois maintenant, probablement en lien avec l’augmentation des flux de demandeurs d’asile et puis de la structure, un peu, des ménages de ces demandeurs d’asile, une augmentation plus importante des personnes seules, des personnes isolées. Et ça, quand vous avez un CADA de 60 places occupées majoritairement par des familles et que vous avez un taux d’encadrement de 1/15, ce n’est pas la même chose que quand vous avez un CADA de même capacité occupé en grande partie par des personnes seules, puisqu’une personne seule, c’est un dossier. Dans une famille de cinq personnes, vous pouvez n’avoir que deux dossiers à traiter, en termes de demande d’asile. Donc la réforme de l’asile, les performances qu’on veut donner en termes de réduction des délais de traitement, d’augmentation de la fluidité et de la rotation, conjuguées à l’augmentation du nombre de personnes seules dans les structures, ça intervient à un moment où on a réduit le taux d’encadrement et ça peut être préjudiciable. »

Directeur de l’hébergement et de l’accompagnement chez COALLIA

Dans le même temps, on peut voir se développer une conception plus restreinte du rôle des travailleurs sociaux intervenant auprès des demandeurs d'asile hébergés en CADA. Suivant cette logique, les mesures d’intégration évoquées précédemment n’ont, par exemple, pas vocation à perdurer. Il s’agit en effet de placer l’accompagnement administratif au cœur des pratiques observées au sein des CADA :

« Mais, de plus en plus, les instructions, elles demandent aux CADA de faire le strict minimum. Je vois, dans le Loir-et-Cher, c’est géré par France Terre d’Asile et, bon, c’est vrai qu’ils ont le souci de bien accompagner et tout ça, mais, si on applique strictement les instructions, l’objectif du CADA, c’est d’accompagner les personnes en vue d’obtenir le statut de réfugié, point. »

Responsable service développement animation régionale et intégration DRDJSCS Centre - Val de Loire

Ainsi, une diminution sensible de la qualité de l’accompagnement apporté en CADA semble avoir été amorcée. Si cette tendance venait à se confirmer, on pourrait donc y voir le signe que l’augmentation considérable du nombre de places de CADA répond davantage à un objectif de contrôle, au demeurant assez prégnant dans les cadres d’interprétation de certains acteurs interrogés :

« Bon, moi j’ai envie de dire, enfin c’est peut-être pas vu comme ça, mais, quand ils sont en CADA, on les a sous la main. […] Ils sont identifiés […]. »

Chef du bureau de l’Immigration et de l’Intégration Préfecture de Loir-et-Cher

Dans cette partie, nous avons pu constater l’importance de la thématique du contrôle dans le cadre de la gestion de l’asile. Surtout, nous avons pu observer la manière dont la

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puissance publique conforme son action à cet objectif de maîtrise, ce qui témoigne d’une construction stratégique de l’action publique dans ce domaine. Aussi, on pourra se demander si, du point de vue de son applicabilité, la politique de l’asile est également abordée de façon stratégique. Autrement dit, la puissance publique s’emploie-t-elle à favoriser l’acceptation, l’appropriation de la politique esquissée et à en faciliter la mise en œuvre ? Le cas échéant, comment s’y prend-elle ?