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2. LA MISE EN ŒUVRE DE LA POLITIQUE D’ACCUEIL VUE DE

2.1 Le contexte de mise en œuvre : une influence notable sur le processus de territorialisation

2.1.2 Le cas du Loir-et-Cher au sein de la région Centre Val de Loire : illustration de la variabilité

Élaborée à l’échelon national, la politique de l’asile a vocation à être territorialisée. Or, le territoire national est bien évidemment disparate et les conditions d’application de cette politique ne sont donc pas les mêmes partout. Par conséquent, la mise en œuvre de l’action publique elle-même est susceptible de varier d’un territoire à l’autre, en l’occurrence d’un(e) région/département à l’autre. Plus précisément, il ressort du travail d’enquête réalisé qu’au

54 Pôle responsable de la mise en œuvre de la procédure « Dublin » et de la gestion des obligations de quitter le

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moins deux types de spécificités locales sont de nature à influencer le déroulement de cette phase de mise en œuvre.

2.1.2.1 L’importance du contexte politique et socio-économique local

Certains territoires se révèlent plus propices que d’autres à une bonne acceptation de l’accueil des demandeurs d’asile et réfugiés De ce point de vue, le contexte socio-économique s’avère décisif, comme le laissait présager l’évocation préalable des craintes que suscitent les arrivées de demandeurs d’asile et de réfugiés parmi les personnes les plus vulnérables55. On

comprend effectivement que le contexte socio-économique territorial puisse influer sur l’acceptabilité de l’effort d’accueil pour les populations locales.

Ainsi, le degré de facilité d’accès au logement, en particulier au sein du parc locatif social, constitue, suivant les cas, un facteur susceptible d’encourager ou, au contraire, de complexifier la mobilisation de logements à destination des publics relevant de l’asile. Le Loir- et-Cher constitue, de ce point de vue, un département relativement avantagé en comparaison d’autres territoires, comme l’illustre l’accessibilité au logement social sur la ville de Blois, préfecture et principal pôle urbain du département :

« Parce qu’on est sur Blois et, Blois, c’est quand même une ville particulière : on n’a pas de logement tendu, c’est-à-dire que Blois, il y a du logement social. Quelqu’un qui n’est pas difficile, qui demande un logement social, en trois semaines, on lui en donne un, à condition qu’il aille dans le quartier qu’on lui dit, etc. Donc n’ayant pas, contrairement à certaines villes, où, justement, les réfugiés, où des logements leur ont été attribués … Ça a pu grincer des dents parce que des gens qui demandaient depuis très longtemps, n’avaient pas eu leur logement. Sur Blois, on n’a pas cette situation-là. Donc moi, je fais partie des commissions d’attribution logement, régulièrement, on a des demandes de logement aussi bien pour le CADA que l’ASLD, etc. Ça ne pose aucun problème. »

Adjointe au Maire de Blois

D’une manière plus générale, le parc social est globalement peu tendu sur le département du Loir-et-Cher. On observe même un taux de vacance relativement élevé (au 1er janvier 2014, 5 % des logements sociaux étaient vacants depuis 3 mois ou plus contre 2,8 % au niveau de la région Centre-Val de Loire et 1,6 % en métropole). Blois, Vendôme, Romorantin-Lanthenay et Salbris concentrent une majorité de ces logements vacants, ce qui n’est pas sans importance dans la mesure où les CADA qui y sont implantés ont comme caractéristique commune de fonctionner « en diffus », c’est-à-dire d’héberger les demandeurs d’asile au sein de logements

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éclatés, captés sur le marché locatif social. En l’occurrence, l’hébergement de ce public en CADA ne provoque donc pas de situation de concurrence en matière d’accès au logement, ce qui favorise l’ouverture de places supplémentaires. De même, il s’avère donc relativement aisé de loger les personnes bénéficiaires d’un statut protecteur sur le département.

En revanche, le Loir-et-Cher connaît actuellement une situation économique peu favorable, caractérisée par une détérioration du marché de l’emploi depuis 2012 avec, en particulier, une augmentation sensible du nombre de chômeurs de longue durée sur l’année 2014. Bien que le taux de chômage enregistré à l’échelle du département (9,1 % au 31 décembre 2014) reste inférieur aux moyennes régionale et nationale, la question de l’insertion professionnelle des réfugiés se révèle davantage problématique que celle de leur relogement :

« Nous, sur Romorantin, on a une facilité d’accès au logement parce qu’il n’y a pas du tout de tension sur le logement. Par contre, on va avoir plus de tensions sur le domaine de l’emploi. Ça va être beaucoup plus difficile de sortir en accédant à l’emploi. On a des emplois saisonniers, des choses comme ça, mais trouver vraiment de l’emploi, ça va être compliqué puisque, de toute façon, le territoire, déjà, n’est pas favorisé par rapport à ça. Donc ça, c’est réellement un souci. »

Directrice du CADA de Romorantin-Salbris

En outre, l’orientation politique des municipalités influence évidemment leur disposition à favoriser l’accueil des publics relevant de l’asile. À cet égard, le risque que les mesures déployées dans ce sens se heurtent à une violente opposition communale en Loir-et- Cher apparaît relativement limité. En effet, les municipalités des trois principaux pôles urbains du département sont dirigées par des maires respectivement investis par le Parti socialiste (Blois, Romorantin-Lanthenay) et l’Union des démocrates et indépendants (Vendôme), deux partis modérés dans leurs prises de position sur ces sujets.

2.1.2.2 Faire évoluer les dispositifs d’accueil : un niveau d’investissement territorialement fluctuant

La mise en œuvre de la politique de l’asile à l’échelon local n’est pas subordonnée qu’à la situation des territoires sur le plan socio-économique. Elle dépend aussi fortement de la configuration initiale en matière de gestion de l’asile.

Ainsi, l’ouverture de places d’hébergement supplémentaires à destination des demandeurs d’asile ne représente pas les mêmes enjeux partout, au regard des capacités d’accueil préexistantes :

66 « Alors, l’enjeu est relatif dans la région Centre - Val de Loire au niveau de ce schéma56, même si l’enjeu

est important, parce que nous avons déjà atteint l’objectif qui nous est imparti pour le 31 décembre 2017, tant au niveau de la capacité globale qu’au niveau du nombre de places de CADA. Suite aux différents appels à projets qu’il y a eu, notamment en 2014 et en 2015, nous avons déjà atteint les capacités d’hébergement tel que les objectifs nous sont fixés dans le schéma national donc nous n’avons pas une pression aussi importante que dans certaines régions où il y a un delta important entre les objectifs fixés et la réalité. »

Chef du service de l’Immigration et de l’Intégration Préfecture du Loiret

Comme en témoignent ces propos, l’atteinte des objectifs chiffrés établis par le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile peut représenter un niveau de difficulté très variable d’une région à l’autre, certaines d’entre elles ayant même, à l’instar du Centre - Val de Loire, déjà atteint le nombre de places requis de manière anticipée.

En outre, la mise en œuvre de nouvelles pratiques, consacrées par une politique publique donnée, est généralement entravée par l’anticipation des coûts de réorganisation que cela implique pour les acteurs concernés. La restructuration d’un système tel que celui de la gestion de l’asile implique en effet de « reprendre les processus d’apprentissage, rester coordonné avec les autres institutions, et changer d’anticipation, être capable de prévoir les nouveaux comportements adaptés » (Palier, 2010), ce qui plaide en faveur du maintien du statu quo. Ce phénomène, théorisé sous le concept de path dependence (« dépendance au sentier »), rend compte des difficultés potentielles à s’affranchir des choix organisationnels passés. Dans le cas présent, on pourra donc supposer que les modes de fonctionnement antérieurs se rapprochant de ceux visés par le remaniement de la gestion de l’asile induisent une phase de mise en œuvre moins complexe. Partant de cette hypothèse, il convient d’observer que certains territoires sont avantagés par rapport à d’autres. De fait, les résultats du travail de terrain suggèrent une hétérogénéité des anciennes pratiques, dont certaines, notamment en région Centre - Val de Loire, présentent des similitudes notables avec le modèle organisationnel consacré par la réforme du droit d’asile :

« [O]n a une gestion régionalisée de la demande d’asile, c’est-à-dire que nous recevons, ici, à la préfecture du Loiret, l’ensemble des demandeurs d’asile de la région Centre - Val de Loire. Il y a une régionalisation, effectivement, du traitement de la demande d’asile. […] [C]’est quelque chose qui préexistait à la mise en place du guichet unique. […] De même que, pour les orientations, on a une vision régionale du dispositif, les orientations des demandeurs d'asile peuvent se faire dans des structures de la région Centre - Val de Loire, ce qui fait qu’un demandeur d’asile qui arrive dans le 45, ne va pas forcément dans des HUDA ou dans des CADA du département

67 45. Il peut être orienté parce qu’il y a une place correspondant à sa demande, dans un autre département de la région.»

Chef du service de l’Immigration et de l’Intégration Préfecture du Loiret

On voit ici que la gestion régionalisée de la demande d’asile initialement appliquée en Centre - Val de Loire s’apparente au type d’organisation recherché via la mise en place des guichets uniques d’accueil (GUDA) à l’échelle régionale. De même, le système préexistant était caractérisé par un regroupement de différentes missions ayant trait à la procédure d’asile, ce qui participe aussi de la logique poursuivie à travers la généralisation de ces fameux GUDA :

« En matière de traitement de la demande d’asile, on était un petit peu une région atypique parce qu’on avait le regroupement, ici, au sein du service de l’immigration et de l’intégration, d’un certain nombre de missions. […]. Mais on avait vraiment, à l’intérieur du service, le regroupement de missions importantes et diverses concernant l’asile, qui, dans d’autres régions, pouvaient être confiées à des opérateurs et à des intervenants différents. »

Chef du service de l’Immigration et de l’Intégration Préfecture du Loiret

Par conséquent, force est de constater qu’à l’instar du Centre - Val de Loire, certaines régions semblent davantage prédisposées à la restructuration de la gestion de l’asile, eu égard à leurs modes de fonctionnement préalables.

À l’inverse, les pratiques instituées localement peuvent constituer des obstacles à la mise en œuvre du changement, notamment lorsque celui-ci implique des pertes de compétences pour certains acteurs. En région Centre - Val de Loire, le transfert de la compétence d’orientation des demandeurs d’asile vers l’hébergement en témoigne :

«La préfecture de région Centre - Val de Loire, […], a une position un petit peu hégémonique, c’est-à- dire a tendance à vouloir tout prendre et tout gérer. [...] [E]n fait, il se trouve qu’en région Centre - Val de Loire, c’était les services de préfecture qui géraient les orientations des demandeurs d’asile vers le DNA57. Et ça, c’est

vraiment spécifique à la région. Ça n’existe nulle part ailleurs. […] [La préfecture] a même pris en main le conventionnement des structures d’hébergement sur le 45, c’est-à-dire qu’autant chez vous, c’est la DDCSPP qui gère ces conventions, sur le Loiret, c’est également la préfecture. Donc elle conventionne, elle oriente, elle est sur tous les fronts. Et donc c’est vrai que le fait d’avoir dépossédé la préfecture de cette compétence a été très mal vécu. Quand je dis « très mal vécu », c’est qu’ils m’ont clairement demandé […] par quels moyens ils pouvaient, effectivement, déroger à ce qui se mettait en place et conserver l’organisation qu’ils avaient mise en place. »

Directeur territorial de l’OFII en région Centre - Val de Loire

57 Dispositif national d’accueil. Il comprend les CADA, les centres provisoires d’hébergement (CPH) des

personnes s’étant vu attribuer le statut de réfugié, les dispositifs d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile et les plateformes d’accueil chargées d’informer, d’orienter et d’accompagner les primo-demandeurs. Source :

OFII. « Demandeurs d’asile ». [en ligne]. Disponible

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Chargée jusque-là de cette mission d’orientation vers l’hébergement - de façon exceptionnelle à l’échelle nationale -, la préfecture de la région Centre - Val de Loire a ainsi souhaité continuer à assumer cette responsabilité, quitte pour cela à maintenir un système dérogatoire à celui entériné par la réforme de l’asile. À nouveau, cela démontre que la configuration préexistante du système de l’asile, spécifique à chaque territoire, influe sur les facilités de mise en œuvre de l’action publique :

« [I]ls avaient une façon de faire, ils avaient leurs pratiques, ils avaient noué un lien particulier avec les structures … Voilà, c’était très personnalisé comme rapport et donc ils ont eu beaucoup de mal à nous passer le relais. »

Directeur territorial de l’OFII en région Centre - Val de Loire

À la lumière du concept de path dependence, on peut analyser la résistance au changement opposée par la préfecture de la région Centre - Val de Loire comme l’expression de son refus de renoncer aux pratiques instituées, notamment au regard des coûts de réorganisation que cela implique pour cet acteur dans ce cas précis. Cet exemple confirme ainsi le poids des spécificités organisationnelles locales sur la mise en œuvre de l’action publique dans le domaine de l’asile. Ainsi, nous venons de voir que la territorialisation de la politique de l’asile était en large part subordonnée à des éléments de contexte, tant au niveau national qu’à l’échelon local. Par nature, ces paramètres sont peu maîtrisables par les autorités. Il s’avère donc difficile d’en prévenir les effets sur la réalité de l’action publique, ce qui est évidemment problématique lorsqu’ils s’opposent à la bonne mise en œuvre de la politique engagée. Dans la suite de cette étude, nous nous attacherons à montrer que certaines des difficultés rencontrées lors de ce processus de territorialisation tiennent en revanche à la manière dont celui-ci est organisé.

2.2 Une appropriation parfois difficile en dépit des capacités d’adaptation des