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1. L’ÉLABORATION DE LA POLITIQUE DE L’ASILE : RÉACTION

1.3 Une construction pragmatique de l’action publique

1.3.1 La concertation nationale : une volonté affichée de réformer dans le consensus

Selon Jobert (2004), la réalité de l’action publique est nécessairement incertaine, du fait de l’autonomie des acteurs avec lesquels ou pour lesquels le pouvoir conduit ses politiques. Il soutient par ailleurs que la médiation politique permet une réduction de cette incertitude et s’avère même plus efficace que les instruments de coercition à cet égard. Ainsi, le choix de l’ouverture au dialogue dans la définition des politiques publiques est présenté comme une décision stratégique. Suivant cette grille de lecture, la concertation nationale mise en œuvre par le gouvernement à l’été 2013, dans le cadre de l’élaboration de la réforme du droit d’asile, constituerait donc un moyen d’augmenter les chances de succès de la politique gouvernementale.

De fait, cette démarche participative vise d’abord, en ce qu’elle permet la tenue d’un débat apaisé, à empêcher que le projet de loi ne se heurte à une opposition de principe de certains parlementaires. En d’autres termes, la concertation a notamment pour but d’éviter que la phase d’élaboration de ce texte ne soit le siège d’une confrontation de postures politiques, dans un climat propice à une certaine crispation sur les sujets liés à l’immigration :

« Mais comme, en France, ces sujets sont un peu compliqués et que, souvenez-vous, […], en 2013, un an après 2012, […] période pendant laquelle les questions d’immigration avaient été très instrumentalisées, l’idée était d’éviter … et d’essayer de ressouder les liens pour bâtir une réforme plutôt de consensus, qu’une réforme de clivages. Donc on a fait une grande concertation nationale sur l’asile, qu’on a fait présider par deux parlementaires : un parlementaire de droite, Valérie Létard, un parlementaire de gauche, Jean-Louis Touraine […]. »

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La désignation de parlementaires issus de partis situés de part et d’autre de l’échiquier politique pour présider la concertation illustre cette volonté de confronter des opinions divergentes et de parvenir à un projet de loi qui fasse consensus au sein de la classe politique46.

Cependant, cette démarche de concertation n’a pas pour seul objectif d’aboutir à un compromis politique au niveau national. Le débat a aussi et surtout lieu entre les différents acteurs de la gestion de l’asile :

« En fait, il y avait trois panels de parties prenantes : il y avait les administrations publiques, tout à fait normal, les associations et, entre les deux, il y avait les élus locaux et les préfets, qui donnaient un regard de terrain, ce qui permettait quand même souvent de faire, en fait, d’éviter qu’on soit dans un affrontement un peu stérile entre État et associations et qu’on ait aussi le regard du terrain qui permette de dire : « Bon, les dysfonctionnements sont quand même très nombreux et les fautes sont largement partagées, quoi, on est tous dans le même bateau. » . »

Haut fonctionnaire en poste à la DGEF

Sans préjuger de la volonté réelle des pouvoirs publics de mettre à profit cette entreprise de consultation pour améliorer la gestion de l’asile sur le fond, ces propos illustrent une perception utilitaire de la concertation qui relève davantage d’un objectif d’effectivité47 que d’un souhait d’efficacité48. Il s’agit en effet de faire passer l’idée que les différentes parties prenantes -

notamment l’État et les associations - sont « dans le même bateau », autrement dit d’établir une relation de coopération entre les acteurs, en vue de dépasser le stade de « l’affrontement stérile », c’est-à-dire de faire en sorte que les divergences de point de vue ne soient pas source de blocage dans la production de l’action politique.

Cette approche pragmatique de la gestion des conflits susceptibles d’opposer l’État aux acteurs associatifs transparait clairement dans les propos tenus par ce représentant de la puissance publique :

« [U]ne des grandes difficultés que l’on a, c’est que, souvent, les associations, au nom de l’inconditionnalité de l’accueil, ne souhaitent pas dire qui est dans les centres d’hébergement d’urgence […] et, en fait, souvent, elles sont aussi dans une sorte de gestion de masse inconditionnelle, c’est-à-dire que les 115 placent des tas de gens à l’hôtel, sans qu’on sache qui sont ces gens, sans qu’un suivi social de ces personnes soit organisé, sans qu’il soit possible ni de savoir si ce sont des personnes en situation régulière ou si ce sont des personnes en situation irrégulière. […]. Mais on en est à ce degré-là donc ça, c’est un point qu’il faut résoudre mais il ne faut pas le résoudre en prenant de front les associations qui gèrent ces hébergements d’urgence en organisant des

46 Au final, le projet de loi dispose d’une large majorité à l’Assemblée nationale, où il est voté par le groupe

socialiste, le groupe des radicaux de gauche et le groupe UDI

47 Quantifie le succès avec lequel le décideur politique parvient à concrétiser son action, notamment en réussissant

à la faire accepter par d’éventuels opposants

52 descentes de police dedans. Ce n’est pas la conception qu’on se fait de l’action publique et puis ce n’est pas la conception qu’on se fait de la confiance avec les associations. »

Haut fonctionnaire en poste à la DGEF

Il ressort de cet exemple que la stratégie de la puissance publique consiste à éviter, autant que faire se peut, l’escalade du conflit qui l’oppose à l’acteur associatif. Au contraire, la politique de l’asile est construite via l’utilisation de procédés diplomatiques, dont participe la concertation nationale.

Le même type d’approche peut-être observé à travers la façon dont les pouvoirs publics veillent à ce que les mesures entreprises dans le cadre de la territorialisation de la politique de l’asile demeurent acceptables pour les élus locaux.