• Aucun résultat trouvé

2. LA MISE EN ŒUVRE DE LA POLITIQUE D’ACCUEIL VUE DE

2.2 Une appropriation parfois difficile en dépit des capacités d’adaptation des acteurs locaux

2.2.1 De l’encadrement du processus de territorialisation : un équilibre encore à trouver

la politique engagée dans le domaine de l’asile avait été abordée dès la phase d’élaboration58,

dans la perspective de faciliter l’étape de mise en œuvre. Malgré tout, il ressort du travail d’enquête mené auprès des partenaires que ce processus de territorialisation est parfois entravé

69

par des difficultés inhérentes à l’action des pouvoirs publics. En l’occurrence, les difficultés observées concernent l’application de la réforme du système de l’asile.

2.2.1.1 Une redistribution des compétences floue à certains égards

La réorganisation de la gestion de l’asile à l’échelon territorial, notamment à travers la mise en place du guichet unique d’accueil au niveau régional, implique une redistribution des compétences conférées aux différents partenaires. Or, plusieurs d’entre eux font état d’un manque de lisibilité à ce sujet et appellent de leurs vœux certaines clarifications, dans l’optique de se conformer au rôle qui leur est légalement attribué. Les interrogations ainsi soulevées sont de deux types.

D’une part, certains acteurs se questionnent au sujet de la délimitation des compétences de chaque partenaire, dont la connaissance s’avère nécessaire pour prendre part efficacement à l’action collective. Interrogé sur ses attentes concernant le contenu du schéma régional d’accueil des demandeurs d’asile (SRADA) en Centre - Val de Loire, ce partenaire évoque son souhait d’une explicitation formelle des missions endossées par chacun dans le cadre de la réorganisation induite par la réforme du droit d’asile :

« [Que le SRADA] clarifie les responsabilités au regard de la réforme de l’asile […]. Enfin, ça se fait d’ailleurs mais c’est bien que ça soit écrit clairement et qu’on sache, assez précisément, […], qui agit pour le compte du préfet de région, qui fait quoi et qui peut jouer à quel niveau dans la gestion de l’orientation des personnes et dans le placement des personnes. »

Directrice adjointe DDCSPP du Loir-et-Cher

De fait, les incertitudes quant à la nature des responsabilités qui incombent aux différents partenaires de la gestion de l’asile sont susceptibles de faire obstacle à la mise en œuvre des dispositions prévues par la loi du 29 juillet 2015 et, par suite, de venir contrarier l’objectif de fluidification du système de l’asile porté par cette réforme. En particulier, le transfert de compétence en matière d’expulsion des lieux d’hébergement illustre cette problématique :

« Dans le cadre de la réforme de l’asile et depuis la loi du 29 juillet dernier, […] c’est l’autorité administrative qui doit mettre en demeure la personne qui se maintient indument à quitter les lieux et, si elle ne défère pas à cette mise en demeure, de devoir saisir en référé le président du tribunal administratif. L’interprétation de la façon dont doit être mise en œuvre cette disposition n’est pas forcément toujours claire encore aujourd’hui, ce qui peut occasionner des retards dans l’engagement des procédures de sortie contentieuses. On sait pas toujours, sur le terrain, qui de l’OFII ou du préfet doit mettre en demeure […] Voilà, on peut avoir quelques petits sujets

70 comme ça qui peuvent freiner la sortie et puis être contradictoires avec l’objectif de réduction des présences indues et d’augmentation de la fluidité. »

Directeur de l’hébergement et de l’accompagnement chez COALLIA

S’il est clair que le législateur a souhaité que les mesures d’expulsion soient désormais engagées par l’autorité administrative et non plus par les associations, on voit ici que des doutes persistent concernant l’acteur - OFII ou préfecture de département - effectivement en charge de l’application concrète de la procédure de sortie contentieuse. En conséquence, le gain d’efficacité visé par cette disposition se fait attendre.

D’autre part, il est des cas dans lesquels l’opérateur en vient à s’interroger sur la nature de ses propres attributions, en raison du flou de la réforme de l’asile à certains égards. C’est notamment la situation dans laquelle se retrouve cette association gestionnaires d’une structure HUDA, qui déplore un manque de lisibilité législative concernant son domaine d’activité :

« [L]’impact le plus direct de la réforme, c’est le fait d’avoir du mal à comprendre, finalement, les tenants et les aboutissants de ce qui nous est clairement demandé en termes d’accompagnement de la demande d’asile mais aussi de besoins sociaux primaires de ces personnes […].»

Chef de service des dispositifs HUDA et CAO à l’ASLD 41

Plus précisément, les incertitudes de la structure portent principalement sur les différences qui distinguent encore l’HUDA de l’hébergement en CADA, suite à la réorganisation des dispositifs et à l’objectif annoncé de généraliser le modèle du CADA. En particulier, cette tendance instituée par la réforme ne s’accompagne d’aucune disposition concrète visant à matérialiser la transformation de places d’HUDA en places de CADA, d’où une certaine perplexité de l’association interrogée :

« [Il y a] un enjeu fort sur l’éclaircissement de la délégation de la mission et, notamment, la différence qu’il peut y avoir entre un CADA et un HUDA, puisqu’on peut dire que, dans la pratique, finalement, ce qui nous était demandé, c’était plutôt de tendre vers un fonctionnement type CADA, sans avoir forcément les moyens ni les prérogatives, même légales, de devoir faire les choses comme un CADA. »

Chef de service des dispositifs HUDA et CAO à l’ASLD 41

En somme, la structure souligne l’existence de lacunes législatives, à l’origine de son indétermination. Selon elle, les textes manquent en effet de précision concernant le devenir des structures d’HUDA, du point de vue des tâches qui leur sont dévolues :

71 « La difficulté de mise en œuvre, ça a été plutôt le fait de décréter les choses, puisque les textes n’indiquent pas forcément que la circulaire fondant les HUDA, rappelant [que] la mission d’un HUDA, c’est l’hébergement stricto-sensu, était supprimée, ajournée, ou ce qu’on veut, par rapport à la réforme. »

Chef de service des dispositifs HUDA et CAO à l’ASLD 41

En outre, l’absence de législation précise s’avère d’autant plus problématique pour les associations en charge de l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile que les partenaires administratifs se révèlent eux aussi assez démunis face à cette question. En effet, les sollicitations à leur égard n’ont pas permis à l’ASLD d’obtenir les réponses attendues :

« [D]e manière très concrète, lorsqu’on demande, finalement, « De quoi est-on vraiment obligé ? » [vis- à-vis de] la demande d’asile, notamment quand ça engage des frais de traduction, d’envoi, de transport des personnes, ce genre de choses, on ne trouve pas de réponse très claire, très nette de la puissance publique […] Mais, je n’ai pas l’impression que l’OFII, aujourd’hui, porte une position, un discours très clair, par rapport à ce genre de choses. [...] [C]e n’est pas que [le guichet unique et les services de l’État] ne sont pas à l’écoute mais ils sont difficilement joignables et n’ont pas, eux-mêmes, toutes les réponses, ce qui fait qu’on a l’impression que les choses avancent très lentement. »

Chef de service des dispositifs HUDA et CAO à l’ASLD 41

Qu’elles résultent d’une certaine négligence ou de la volonté de privilégier les arbitrages locaux, les lacunes législatives concernant la délimitation du champ d’intervention des structures d’HUDA suscitent aujourd’hui une situation inconfortable pour une part importante des partenaires locaux en charge de la réorganisation locale du système de l’asile. À la lumière de ce constat, il aurait été souhaitable que l’évolution de ce dispositif eût fait l’objet d’une plus grande attention de la part de la puissance publique au niveau national, lors de l’élaboration de la réforme de l’asile.

Ainsi, les exemples précités font état de certaines carences dans le cadrage du processus de territorialisation de la politique de l’asile. S’il semble raisonnable de penser que ces difficultés ont vocation à être résolues avec le temps, on notera tout de même qu’elles sont de nature à entraver la mise en œuvre de l’action publique, en la ralentissant. Par conséquent, il apparait intéressant de les prendre en considération, dans la mesure où la puissance publique aurait vraisemblablement pu les prévenir en partie, au prix d’un plus grand effort d’explicitation des effets induits par la redistribution des compétences.

72

2.2.1.2 Le fonctionnement par appels d’offres : exemple d’un manque de flexibilité dommageable à l’uniformisation territoriale des dispositifs de premier accueil

À l’opposé des situations mentionnées ci-avant, le cadrage de la territorialisation de l’action publique peut occasionnellement s’avérer trop fort, trop strict, et, ce faisant, desservir également le processus de mise en œuvre.

Ainsi, le fonctionnement par appels d’offres, plébiscité pour la création des plateformes de pré-accueil des demandeurs d’asile, est parfois jugé trop directif au sein du milieu associatif et accusé d’être à l’origine des difficultés à satisfaire cette disposition législative. Pour ses détracteurs, le système de l’appel d’offres s’oppose en effet aux modes d’intervention traditionnels des associations, qu’il confine dans un rôle d’exécution en les privant de leur capacité d’initiative et de la liberté de définir eux-mêmes la nature de leur action. De fait, le diagnostic de la puissance publique se substitue à celui de l’acteur associatif, de même que le cahier des charges vient en remplacement des propositions de ce dernier :

« On marche beaucoup, maintenant, dans le secteur associatif, et vis-à-vis de l’État et des collectivités, ce qui est pas bon, sur des appels d’offres [...]. C’est-à-dire qu’en fait on nous définit un cahier des charges en disant : «Voilà, nous, on vous demande de faire ça et, pour ça, on vous donne tant. ». Sauf que le système associatif s’est toujours construit de manière différente. Le système associatif, on a toujours dit : « Voilà quel est le problème. ». Le système associatif arrivait en disant : «Nous, on peut vous faire ça et voilà combien ça pourra coûter, et ça, par contre, on ne peut pas le faire ou ça, on ne veut pas le faire ».

Directeur régional FNARS Centre - Val de Loire

L’appel d’offres, bien qu’objectivement pertinent au regard des contraintes liées au contexte de restriction budgétaire d’une part - en ce qu’il permet une mise en concurrence des opérateurs et donc la réalisation de la prestation au meilleur coût - et en considération de la volonté d’uniformiser la gestion de l’asile d’autre part, est donc caractérisé par une certaine rigidité, en comparaison notamment de l’appel à projets59. Les réponses à l’appel d’offres doivent en effet

être entièrement conformes au cahier des charges pour pouvoir être considérées comme valables. C’est ainsi que l’offre de prestation retenue à l’échelle de la région Centre - Val de Loire n’a pu être étendue au département du Loir-et-Cher, provoquant de fait un défaut de mise en œuvre de la réorganisation du système d’accueil sur le département :

59 Si l’appel d’offres comme l’appel à projets sont lancés dans l’objectif de répondre à un problème particulier

identifié par la puissance publique, ces deux outils impliquent des rôles différents pour les participants. Dans le cas de l’appel d’offres, il leur est demandé d’appliquer une solution préalablement déterminée, détaillée dans un cahier des charges. Concernant l’appel à projets, c’est aux concurrents que revient la responsabilité de proposer des solutions, qui peuvent donc se révéler très différentes. Source : Resam. « Appel d’offres ». [en ligne]. Disponible sur : http://www.resam.net/appel-d-039-offres-sp111.html. (Page consultée le 10/06/2016)

73 « Donc on nous enferme là-dedans et un appel d’offres fermé comme ça, si on ne répond pas strictement au cahier des charges, il est déclaré infructueux. Et donc il y a eu une réponse, ici [en Loir-et-Cher], COALLIA, [...] sauf que la réponse que faisait COALLIA n’était pas du tout dans le cahier des charges. Il y avait des choses qui ne rentraient pas dedans, qu’ils ne voulaient pas faire. […] Donc on leur a dit : « Mais non, c’est caduque, vu que vous n’êtes pas dans le cahier des charges. ». Sauf que personne, à côté, n’a répondu et donc ça a trainé, ça a trainé. »

Directeur régional FNARS Centre - Val de Loire

Cet exemple met en lumière les inconvénients d’un cadrage poussé de la territorialisation de la réforme du droit d’asile. Il s’avère donc nécessaire de trouver l’équilibre entre trop et trop peu d’encadrement. En particulier, si l’appel d’offres apparaît comme l’outil le mieux adapté à l’objectif d’uniformisation territoriale de la gestion de l’asile, il pourrait néanmoins être pertinent de se demander, sans a priori, si les cahiers des charges associés ne mériteraient pas d’être moins restrictifs. Comme le signale ce partenaire au sujet de la fin de prise en charge des bénéficiaires d’une protection, il est en effet des situations où une certaine flexibilité est souhaitable et facilite la mise en œuvre de l’action publique :

« [O]n travaille en bonne intelligence, j’ai envie de dire. Il y a le cadre légal des trois mois et, quand des démarches réelles et sérieuses sont entreprises, un peu comme pour Pôle Emploi, à la fois l’OFII et la DDCSPP comprennent que oui, ça aura pris quatre mois, mais c’est pas grave parce que c’était le temps qu’il y ait des travaux dans un logement, que je ne sais quoi d’autre qui ait pu se passer et, finalement, c’est toujours plus simple que de passer à la vitesse un peu contrainte […]. »

Chef de service des dispositifs HUDA et CAO à l’ASLD 41

À l’instar de ce qui est dit ici, la capacité d’adaptation des acteurs locaux bénéficie à la territorialisation de l’action publique. On peut considérer que l’adaptabilité des partenaires face à la réorganisation du système de l’asile est révélatrice de leur implication, élément nécessaire à la bonne application de toute réforme selon Lafarge (2010). Dans la section suivante, nous verrons que plusieurs exemples locaux témoignent de la capacité d’adaptation de certains partenaires.

2.2.2 Une bonne adaptabilité des acteurs locaux face aux difficultés liées à la restructuration du