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2. LA MISE EN ŒUVRE DE LA POLITIQUE D’ACCUEIL VUE DE

2.1 Le contexte de mise en œuvre : une influence notable sur le processus de territorialisation

2.1.1 Les conséquences d’une conjoncture nationale peu favorable

L’action publique en général s’inscrit dans un contexte plus vaste que celui qu’elle s’emploie à faire évoluer. Cette conjoncture globale est susceptible d’influencer la mise en œuvre des politiques publiques, notamment dans la mesure où, s’agissant de facteurs externes au domaine d’application de ces politiques, les acteurs n’ont souvent pas prise sur eux. Il existe donc un risque que le déploiement de l’action publique pâtisse de circonstances défavorables. Dans une certaine mesure, ce phénomène semble pouvoir être observé dans le cas de la politique de l’asile, à au moins deux égards.

D’une part, le climat d’insécurité engendré par les attentats perpétrés en France et en Belgique ces dernières années serait source d’un sentiment de suspicion nuisible à l’application des mesures relatives à l’accueil des publics relevant de l’asile :

« Il y a une sorte d’autocensure, même inconsciente, parfois, du fait qu’on va peut-être regarder différemment le dossier de telle personne, alors qu’on n’aurait pas porté ce regard il y a encore un an ou deux. Et donc le doute engendre la méfiance et donc le souhait d’avoir plus d’assurances. Est-ce que ça, c’est bien vrai ? Est-ce qu’on ne se fait pas avoir ? Est-ce qu’on ne va pas demander des justificatifs supplémentaires ? Justificatifs que l’individu aura un mal de chien à fournir. Et le parcours administratif, il n’est pas que technique, dans son

61 application, j’entends. Ça reste aussi des individus qui organisent ce parcours, chacun avec sa manière également de le voir. Et ça, on constate à quel point ça a aussi ralenti l’application des réglementations sur l’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile […]. »

Collaborateur au cabinet du Maire de Blois

Ces propos suggèrent donc que le contexte sécuritaire actuel influence la mise en œuvre de l’action publique dans le champ de l’asile, qui s’en trouverait ralentie.

D’autre part, la politique engagée se heurte inévitablement aux circonstances économiques difficiles. De fait, elle s’oppose à la logique contemporaine de diminution des dépenses publiques, en ce qu’elle nécessite le déploiement de ressources humaines et financières pour pouvoir être menée à bien. En particulier, la réforme du système de l’asile ne se résume pas à un ensemble de dispositions législatives dont l’adoption suffit en elle-même à concrétiser le changement. Nombreuses sont les mesures qui appellent une réorganisation active et, par suite, une mobilisation de moyens :

« [C]’est un projet de loi qui se suffit pas à lui-même, c’est-à-dire que pour être mis en œuvre, il nécessite des moyens […] pour créer des places d’hébergement, des moyens pour créer des postes supplémentaires à l’OFPRA, à l’OFII, pour accélérer les délais, premièrement, et à la CNDA, bien sûr, donc à toutes les chaînes de la demande d’asile et en préfecture, donc il nous faut ces moyens supplémentaires, les dispositions légales sur le droit d’asile ne se suffisent pas à elles-mêmes […]. »

Haut fonctionnaire en poste à la DGEF

Cette tension entre coûts de l’action planifiée et rareté des crédits publics influence inexorablement mise en œuvre des mesures actées par la puissance publique. Le développement de l’hébergement des demandeurs d’asile en CADA, relativement onéreux en comparaison d’autres dispositifs d’accueil53, est ainsi confronté à cette problématique :

« [C]réer des places de CADA, c’est bien dans le principe mais ça pose aussi une question de moyens financiers […]. Donc c’est vrai qu’on a eu ce principe posé, qu’il fallait privilégier, dorénavant, la création de places de CADA, mais on voit bien, dans les faits, […] qu’aujourd’hui, on n’en est pas là. […] [La généralistion du modèle des] CADA, oui, mais les moyens en face ... pas simple, pas si simple, on voit bien, là, que … bon. »

Directrice adjointe DDCSPP du Loir-et-Cher

On en déduit donc que l’intervention de la puissance publique est susceptible de se voir entravée par le contexte économique. Pour autant, il serait incorrect de laisser entendre que les

53 Le coût journalier d’une place de CADA s’élève à 19€50 en moyenne nationale contre 15€ pour une place

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pouvoirs publics se retrouvent totalement démunis, qu’ils ne disposent d’aucun levier pour tenter de gérer ces difficultés et ainsi assurer la mise en œuvre de la politique suivie. Dans le domaine de l’asile comme dans bien d’autres, on observe une volonté de conformer l’action menée à la logique globale de managérialisation de l’action publique, dans la perspective d’une réduction des coûts financiers.

En effet, le crédo de la performance publique, de plus en plus prégnant dans le champ politique en général, est notamment suivi de façon croissante dans le secteur de l’action sociale décentralisée. De fait, il s’impose dans ce domaine à travers le concept de performance sociale, qui encourage l’adoption de pratiques managériales visant à réorganiser la gestion interne des organismes en charge de l’action sociale, afin d’en accroître l’efficacité (Alcaras et al., 2011). En particulier, l’accueil en CADA est de plus en plus soumis à une « logique du chiffre » de type managériale (Kobelinsky, 2008), dont témoigne en particulier l’objectif de mutualisation des moyens :

« [O]n négocie avec les opérateurs les marges de manœuvre que l’on peut avoir. Et certains opérateurs ont encore des marges de manœuvre, notamment avec de la mutualisation, avec aussi l’extension de CADA. Il faut savoir que plus un CADA est important, plus l’opérateur a de possibilités de mutualiser, parce que plus le CADA est petit, évidemment, vous êtes un petit peu … enfin au prorata sur les recrutements, les frais de fonctionnement, etc., si votre CADA est petit, vous n’allez pas pouvoir forcément mutualiser. […] Mais quand vous avez un directeur de CADA qui gère que le CADA, tout le poids de sa rémunération va peser sur le CADA. Par contre, si vous avez ce même directeur, dont il peut être entendable qu'il gère à la fois un CADA et un autre dispositif à côté, vous avez le poids de son salaire que vous répartissez sur deux, trois dispositifs. Donc ce n’est pas tout à fait la même chose en termes de charges, idem pour les travailleurs sociaux, etc. Entre le travailleur social dont vous faites peser entièrement le poids sur un CADA, parce que vous n’avez que cette structure-là, et le travailleur social que vous allez peut-être pouvoir partager […]. »

Chef du service de l’Immigration et de l’Intégration Préfecture du Loiret

Comme l’indiquent ces propos, les pouvoirs publics s’emploient à faire baisser les coûts de revient de l’hébergement en CADA, par le biais de négociations portant sur les opportunités de mutualisation. Force est donc de constater que les autorités disposent de certains moyens pour tenter de concilier action publique dans le domaine de l’asile et contexte économique contraint :

« [D]ans la mesure où la survie des HUDA n’est plus une priorité du ministère, on a une enveloppe qui, cette année, a drastiquement diminué. […] Donc peut-être a-t-on pu, grâce aux bonnes négociations avec les opérateurs, dégager une marge sur l’enveloppe CADA, qui nous avait été donnée. […] Donc si vous avez réussi à négocier des marges avec les opérateurs pour l’attribution de l’enveloppe CADA, sans mettre en péril la santé financière de la structure, autant cette enveloppe-là va peut-être pouvoir abonder l’enveloppe HUDA et va peut- être pouvoir permettre de financer des places HUDA.»

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Néanmoins, les marges de manœuvre existantes en matière d’optimisation des ressources publiques restent nécessairement limitées et nombre de mesures d’économies prises au nom du concept de performance publique s’avèrent en réalité contraires à l’idée même de performance (Kott, 2010). Notamment, les compressions d’effectifs et normes de rendement imposées aux services publics en charge des étrangers sont source d’une dégradation des conditions de travail des agents ainsi que d’une diminution de l’accompagnement des usagers (Spire, 2011). Ainsi, les opportunités de mutualisation des moyens humains apparaissent restreintes dans un contexte où les effectifs sont souvent déjà insuffisants :

« Et puis ça monte en puissance. Moi, je vois que ça n’arrête pas. Et je n’ai pas eu d’effectifs pour compenser tout ça. […] On n’en aura pas, faut faire avec. [...] La politique actuelle, ce n’est pas de multiplier les effectifs en préfecture. […] [À propos du pôle « éloignement »54 du bureau de l’Immigration et de

l’Intégration] : [J]’ai qu’une personne. Donc, dès qu’elle est en congés, il y a plus personne. Donc, là, j’essaye de faire renforcer le pôle éloignement, en me disant qu’il y aura de plus en plus de demandeurs d’asile, donc essayer par ce biais-là mais c’est compliqué. »

Chef du bureau de l’Immigration et de l’Intégration Préfecture de Loir-et-Cher

En bref, on constate que la conjoncture économique influe sur le déploiement de l’action publique. L’application d’une logique managériale permet aux autorités de contourner ces difficultés financières dans une certaine mesure mais ne saurait à elle-seule en prévenir les effets négatifs sur la concrétisation de la politique de l’asile.

Dans cette section, nous nous sommes intéressés aux conséquences d’éléments contextuels globaux (à l’échelle nationale) sur la mise en œuvre de l’action publique. Celle qui suit vise à montrer que les tenants et les aboutissants de ce processus sont aussi largement déterminés par les spécificités du contexte local.

2.1.2 Le cas du Loir-et-Cher au sein de la région Centre - Val de Loire : illustration de la