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2 Le loup et mythologie grecque

3- Loup et mythologie nordique

La vision favorable du loup est aussi partiellement partagée par la mythologie nordique, tout du moins à ses débuts, pour se terminer par un déchaînement de violence, initié par un loup, longuement maltraité à cause de son apparence effrayante et de sa force prodigieuse, sans compter la prophétie qui lui est associée. Ce dernier, à la différence des autres loups assez classiques, tire son originalité de sa naissance. En effet, il est issu de l'union entre un dieu et une sorcière, rejoignant l'aspect maléfique reproché au lycanthrope, associé au diable et aux sorciers par la suite, faisant de ces récits mythologiques les fondements de la créature qui s’étoffera au fil de l’évolution de la société, pour perdurer jusqu’à nos jours.

Ainsi, les deux premiers loups mentionnés dans les mythes nordiques sont Geri et Freki79, les fidèles compagnons d'Odin qui les nourrit physiquement par de multiples offrandes qui lui sont faites par les croyants. Ils ne quittent presque jamais les abords de son trône, profitant de la nourriture refusée par le dieu, qui n'a pas besoin de manger, seulement de boire, ce qui leur donne l'occasion d'être rassasiés en permanence. Malgré leur apparence effrayante, les récits s'accordent pour dire qu'ils sont plus des animaux domestiques que des fauves prêts à attaquer tout ce qui pourrait se manger. Aussi, grâce aux festins permis par Odin, il est plutôt considéré comme un bon présage de rencontrer les deux loups dans les forêts ou pâtures où ils aiment à se promener. Toutefois, si Geri le Glouton et Freki le Vorace sont moins dangereux qu'effrayants, ce n'est pas le cas des trois autres bêtes, qui entraîneront la fin de l'ère des dieux d'Asgaard.

Skol et Hati80 sont deux autres loups qui jouent un rôle fondamental dans l'organisation du monde, notamment à travers l'alternance du jour et de la nuit. Un homme qui s'appelait Mundilfari eut deux enfants, un garçon prénommé Mani, que l’on peut traduire par « Lune », et une fille prénommée Sol, que l’on peut traduire par « Soleil ». Mais, en promettant sa fille en mariage à un humain, l'homme provoqua le courroux des dieux, qui enchaînèrent aussitôt les deux jeunes gens dans le ciel, chacun sur un chariot. Depuis cet instant, les deux loups les y poursuivent inlassablement, rythmant la course du Soleil et de la Lune. Skol tente de dévorer Sol, qui dirige le char du Soleil tiré par les chevaux Arvak et Alsvinn, tandis que Mani et la Lune fuient Hati. Les deux bêtes sont décrites comme « des fauves, l'écume aux lèvres, la langue pendante, s'épuisant dans une course infinie »81. Leur aspect effrayant et le fait qu’ils poursuivent en permanence et dans un galop d’enfer deux enfants participent certainement à l’aura de crainte que ces loups vont déclencher, amorçant une peur réelle. Par ailleurs, Skol et Hati sont deux termes qui reviendront dans les ouvrages littéraires les plus récents, créant à nouveau de liens forts entre mythologie et société actuelle, asseyant les créatures mythologiques sur des principes fortement ancrés dans l’imaginaire collectif et la culture européenne autant qu’internationale.

Le dernier loup mentionné dans la mythologie nordique est, sans aucun doute, le plus effrayant de tous, toutes créatures confondues, puisqu'il effraie même les dieux. Fils d'un dieu, menteur et tricheur, nommé Loki, et d'une sorcière nommée Angerboda82, Fenrir est un fauve sanguinaire. Il est d'apparence horrible, les oreilles dressées, le poil gris de fer, hérissé comme des aiguilles, les yeux mauvais, la langue fumante et les crocs acérés. L'animal grandit à une vitesse stupéfiante et surtout acquiert une force incroyable, associée à des griffes et des crocs terriblement tranchants, dont l'impression de férocité est renforcée par des hurlements incessants qui inquiètent les dieux. Ces derniers ont, par ailleurs, connaissance d'une prophétie associée à Fenrir : il entraînera leur chute. Cela les 80 idem p. 41

81 MABIRE, Jean, Légendes de la mythologie nordique, op. cit. p. 41

82 COLLIN DE PLANCY, Jean, décrit Angerbode comme « une femme gigantesque » qui fut mariée avec le

pousse à intervenir pour le mettre hors d'état de leur nuire. C'est le début d'une longue lutte entre les deux camps, où la ruse et la force s'affrontent à plusieurs reprises.

La première passe d'armes voit les dieux fabriquer une chaîne très résistante appelée Leding, destinée à entraver Fenrir, loin des autres dieux. Utilisant la ruse, ils s'approchent donc de lui et le mettent au défi de s'en libérer. Fenrir se laisse donc attacher, puis se libère brutalement en bandant ses muscles, rompant la chaîne sans effort.

Les dieux n'abandonnent pas l'idée et forgent une deuxième chaîne plus solide, Dromi, qu'ils présentent à nouveau à Fenrir comme un défi. Le loup constate que la résistance de la chaîne est supérieure à la première, mais il est conscient également d'avoir accru ses capacités physiques et accepte cette nouvelle confrontation, d'autant que les dieux lui promettent de reconnaître sa force s'il se défait de ses liens. Sensible aux louanges, Fenrir se laisse entraver de nouveau, avant de faire céder la chaîne grâce à la puissance de sa musculature. Il la fait voler en éclats, occasionnant par la même la frayeur et l'admiration des dieux, ce qui les persuade de se débarrasser du monstre avant qu'il ne soit trop tard.

Le troisième affrontement intervient quelques temps plus tard, lorsque les dieux réussissent à mettre au point un nouveau plan. Ils considèrent en effet, qu'il ne leur reste plus qu'une seule solution pour fabriquer une entrave suffisamment solide pour l'horrible loup : faire appel aux nains, connus pour être des forgerons hors pair. Skirniv, messager de Frey83, est envoyé au pays des alfes noirs, dans les cavernes profondes, où la chaîne Gleipnir voit le jour, dans les mains expérimentées du plus habile forgeron du monde souterrain. Elle n'est pas ordinaire, bien au contraire. Elle se compose de six éléments, indissociables, qui en font sa spécificité et sa solidité, et qui tirent leur valeur de l'impossibilité de trouver ces éléments. En effet, les composantes en sont les suivantes : la première est constituée de bruits de pas de chats. Si l'on sait que ces félins ne 83 MABIRE, Jean, Légendes de la mythologie nordique, op. cit., p. 75. Voir Frey : Fils de Njord et soeur de

font aucun bruit en se déplaçant, on comprend mieux ce que cela peut avoir d'extraordinaire. Les autres morceaux reposent sur un principe contradictoire identique, gage de la puissance de l'entrave. Le deuxième morceau est ainsi constitué de poils de barbe de femme, le troisième des racines des montagnes, le quatrième de nerfs d'ours, le cinquième d'haleines de poissons et le dernier de crachats d'oiseaux. Ces éléments, une fois assemblés, forment un lien semblable à de la soie mais infiniment plus solide, ce qui crée la stupeur et la joie auprès des dieux, qui y voient enfin le moyen d'attacher Fenrir.

Toutefois, le plus dur reste à accomplir : il faut maintenant attacher le fils de Loki. Ils décident de se réunir à l'endroit qui leur semble le plus propice à la détention d'une telle créature, l'îlot de Lyngvi, qui se trouve sur le lac Amsvartnir, avant d'appeler le loup auprès d'eux comme peuvent le faire les dieux84. Plus inquiet que lors des autres défis, Fenrir se montre méfiant et grogne terriblement tandis qu'Odin et les

autres lui présentent

Gleipnir comme un ruban de soie.

84 Ce n'est d'ailleurs pas sans rappeler l'idée d'animal à appeler chez les vampires actuels Fenrir  arrache  la  main  de  Tyr,  manuscrit  Sàm  66,  1765,  

Mais l'instinct du loup le fait réfléchir, et il sent la manipulation des dieux qui jouent avec le ruban tout en le provoquant. Ces derniers finissent par le décider, car Fenrir craint que s'il refuse, on puisse le faire passer pour un lâche. Il accepte alors un compromis : il se laissera attacher, si l'un des dieux accepte de placer sa main dans sa gueule en gage de bonne foi. Il y a un moment de flottement, tandis que les dieux se regardent les uns les autres. Ils sont conscients que celui qui fera une telle chose perdra sa main, car s'ils réussissent à l'attacher, rien ne le fera défaire le lien. Finalement Tyr, fils d'Odin, dieu de la guerre et de la justice, accepte pour deux raisons : d'abord il a moins peur de Fenrir que les autres, pour l'avoir nourri pendant ses premières années. Ensuite parce qu'il prône l'honneur, et est prêt à se sacrifier pour sauver tous les autres dieux. Tyr place donc sa main dans la gueule du loup qui reste prisonnier malgré tous ses efforts. Se sentant pris, le fauve referme aussitôt ses mâchoires dans un claquement sec, sectionnant net l'extrémité du membre de Tyr qui ne lâche pas une plainte. Mais le sacrifice a permis d'enchaîner Fenrir, qui hurle à la mort et à la vengeance, tandis que les dieux repartent, certains d'avoir désormais échappé aux funestes présages maintenant que le fils de Loki est maîtrisé.

Malgré tous les efforts des dieux d'Asgaard, le combat final, Ragnarök85, va tout de même se produire. Après quatre hivers particulièrement effroyables, sans été pour équilibrer les choses, le loup Skol réussit à atteindre et à dévorer Sol, entraînant la disparition de la chaleur et de la lumière, tandis qu'Hati dévore la Lune, faisant disparaître la clarté et la beauté. Les hommes souffrent et leur nombre se réduit rapidement. Les étoiles disparaissent à leur tour, comme dévorées par des fauves. Cela cause bientôt des tremblements de terre violents,

qui sapent les fondations du monde : les montagnes s'écroulent, les glaciers deviennent torrents, tandis que le vent arrache arbres et chaînes. Cette violence libère aussitôt les liens de Fenrir, qui bout de colère et de vengeance, yeux étincelants et crocs avides. Les combats entre les dieux et leur descendance se multiplient. C'est ainsi que le frère de Fenrir, le serpent Jormungand affronte Thor

85 MABIRE, Jean, Légendes de la mythologie nordique, op. cit., p. 215 Ragnarök : c’est le nom du combat

final entre les dieux et les créatures, qui amènera le temps des hommes. Il commence avec les loups et s’achève avec Karl, l’homme et ses descendants.

et son marteau dans un duel implacable. Mjolnir le marteau divin s'abat sur les anneaux du reptile qui finit par mourir sous les impacts, crachant du venin en telle quantité que même en reculant de neuf86 pas, Thor ne peut se mettre à l'abri. Il finit par suffoquer sous l'action du poison et s'effondre dans la plaine de Vigrid. Fenrir arrive sur ces entrefaits et dévore Odin, qui meurt sous les yeux de son fils, Vidar le silencieux, qu'il a eu avec la sorcière Rind. Ce fils surgit hors de la forêt où il demeure et se jette sur Fenrir, dont il bloque la mâchoire inférieure avec ses bottes (dont le cuir a été recueilli pendant des siècles) et fait levier avec ses mains sur la mâchoire supérieure, l'écartelant jusqu'à ce que mort s'ensuive. Fenrir paie ainsi de sa vie son apparence terrifiante, renforçant finalement l'idée que la violence, qu'il représentait, s'est concrétisée à travers la mort et la désolation. Les loups nordiques ont ainsi entraîné la fin du monde, du moins celui des dieux, conduisant à une nouvelle civilisation dans laquelle les créatures surpuissantes n'ont plus leur place. Au travers de cet affrontement violent, allant jusqu’au combat à mort avec des dieux particulièrement puissants, les loups sont créateurs, ou du moins initiateurs, d'un nouvel ordre du monde, permettant aux hommes de reprendre la main sur leur destin, autrefois gouverné par les dieux.

B- Le loup garou, figure mythologique forte et