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B – Le heurt entre deux formes physiques

2- Les conséquences pour le métamorphosé

La guérison n'est pas présente dans toutes les sources pour une simple et bonne raison : puisque c'est une bonne chose, il n'y a aucun intérêt à inverser la transformation. C'est le cas pour Lycaon, qui n'a pas vocation à retrouver figure humaine puisque sa nouvelle apparence correspond davantage à son comportement bestial. Pour Callisto et Arcas, la transformation en étoiles vise à les mettre hors de portée d'Héra et de sa jalousie terrible, tandis que les guerriers

berserkers voyaient cela comme un honneur autant qu'une nécessité, pour

apporter la victoire et la paix au village ou à la tribu. Comme nous l'avons mentionné précédemment, la transformation en loup (ou en ours) n'est généralement pas mal perçue à cette période, et c'est ce qui explique le peu de cas mentionnés tout autant que la valeur qu’il représente en termes de discussion de la société de l’époque.

Toutefois, il en existe quelques uns, comme chez Homère ou Ovide. La transformation avait été infligée par Circé pour punir les hommes n'ayant pas fait leur devoir. Ulysse va réussir, après un an de mariage, à obtenir le pardon de la

magicienne au nom des hommes changés en sangliers ou cochons sauvages, à qui elle accepte de redonner apparence humaine. Prévenu par Euryloque qui a refusé la coupe de Circé, Ulysse, aidé par Hermès, va réussir à approcher la magicienne pour trouver un remède et rendre à ses compères leur forme initiale. « Il entre chez Circé, qui, perfide, offre à boire

Et veut de sa baguette effleurer ses cheveux, La repousse, dégaine et l'écarte, effrayée. Ils se donnent leur foi, leurs mains199 ».

Une fois échouée la tentative de transformer Ulysse à son tour, la magicienne épouse le héros pour un temps, reconnaissant sa valeur, d’autant qu’il n’a cédé à aucun des mirages étalés devant lui par la magie. Il a donc une valeur morale qui mérite récompense, comme les cas précédents avant lui. La magicienne s’incline devant la pureté de l’âme d’Ulysse, prêt à se sacrifier et à respecter sa parole. « Epousé,

Il nous demande en dot, retransformés en hommes. Ayant versé sur nous d'inconnus sucs propices, Retournant sa baguette elle en fouette nos têtes Et d'un charme contraire annule l'ancien charme. Plus elle chante, et plus nous redressant du sol,

Tombent nos soies, nos pieds fourchus perdent leur fente, Sous nos épaules revenues et sous nos coudes

Nos avant-bras sont là. Accolant tous Ulysse, L'étreignant longuement, nous pleurons avec lui, Et nos tous premiers mots sont pour le remercier200. »

Cette partie du texte met à nouveau en valeur la magie, avec un rite sensiblement différent de celui utilisé la première fois. En effet, elle utilise directement les « sucs », qu'on peut assimiler à une décoction ou une potion, ce à

199 OVIDE, Les métamorphoses, op. cit. livre XIV v251 200 Ibidem

quoi elle rajoute une baguette et un chant pour obtenir l'inversion progressive de la transformation. La première étape est la station debout, ensuite seulement soies et sabots s'effacent. Cela tendrait à confirmer notre hypothèse selon laquelle c'est moins l'apparence physique monstrueuse qui compte que le contexte global de la punition. Si Zeus (Jupiter) choisit la forme du loup, c'est pour coordonner le caractère et le physique de Lycaon, alors cela pourrait indiquer que celle du cochon pour les compagnons d'Ulysse serait aussi en relation avec leur caractère. Le parallèle peut se justifier si l'on compare la débauche à la fange et à la boue dans laquelle plaît à se vautrer l'animal. Ainsi, l'auteur sous-entendrait que la boisson et les excès font perdre à l'homme ses caractéristiques humaines pour le reléguer au rang d'animal. La guérison est ici en tous cas magique, et nécessite d'une part un grande puissance, et d'autre part la bonne volonté du magicien concerné. On constate en tout cas que la magie ne se pare d’aucun artifice dans cette partie du récit, puisque les « sucs » sont cette fois directement versés sur les cochons. La baguette intervient tout de même comme déclencheur à nouveau.

Mais il existe d’autres manière de guérir les créatures en fonction des auteurs. Par exemple, chez Pétrone, elle intervient de manière très différente, comme le narrateur le fait savoir.

« Ma chère Mélisse me témoigna son étonnement de me voir arriver à une heure si avancée : « si vous étiez venu plus tôt, me dit-elle, vous nous aurez été d'un grand secours; un loup a pénétré dans la bergerie, et a égorgé tous nos moutons : c'était une véritable boucherie. Mais bien qu'il se soit échappé, il n'a pas eu à s'applaudir de son expédition, car un de nos valets lui a passé sa lance à travers le cou. » A ce récit, je vous laisse à penser si j'ouvris de grands yeux et, comme le jour venait de paraître, je courus à toutes jambes vers notre maison, comme un marchand détroussé par des voleurs. Lorsque j'arrivai à l'endroit où j'avais laissé les vêtements changés en pierres, je n'y trouvais que du sang. Mais en rentrant au logis, je trouvai mon soldat étendu dur son lit : il saignait comme un bœuf, et un

médecin était occupé à lui panser le cou. Je reconnus alors que c'était un loup-garou201 ».

Dans cet extrait, il n'y a aucun détail sur la transformation. On apprend seulement que si le passage de l'homme vers le lit passe par l'abandon des vêtements, il n'y a pas vraiment d'indication sur la procédure inverse. Deux solutions apparaissent sans que l'une ni l'autre ne soit privilégiée. La première serait que le soldat, bien que gravement blessé, soit revenu passer ses vêtements pour reprendre forme humaine et rentrer au logis, cela expliquerait l'absence des vêtements constatée par le narrateur. La seconde serait que le coup de lance qui a fait fuir la bête en faisant couler son sang aurait joué le rôle de déclencheur. Aucun élément ne permet de choisir l'une ou l'autre dans ce texte, pourtant nous verrons plus tard que faire couler le sang à l'aide d'une fourche ou d'un outil acéré est un des modes de guérison privilégié dans les sources ultérieures. De la même façon que les vêtements jouent un rôle fondamental dans plusieurs récits, attributs de la civilisation mais aussi de la dissimulation selon les cas. Ce n'est que très tardivement que la guérison pourra intervenir par l'intermédiaire de la mort ou d’une blessure grave provoquée par une lame en argent, rappelant encore le passage de la vie à la mort induit par la présence de la pleine lune. Qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre cas, peu importe car les deux serviront par la suite : le sommeil que nous avons déjà évoqué autour du phantasticum et les vêtements qui peupleront les récits ultérieurs chez Marie de France ou dans le folklore.

Deuxième

partie

Un