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Logiques étatiques de positionnement face au multicul- multicul-turalisme

Les liens entre multiculturalisme, citoyenneté et démocratie :

4 Les tensions entre multiculturalisme et ci- ci-toyenneté

4.2 Logiques étatiques de positionnement face au multicul- multicul-turalisme

Les positions théoriques susmentionnées s’inspirent largement des dynamiques sociales et politiques qui traversent les sociétés multiculturelles. En d’autres termes, la réflexion concernant ‘ce qu’il faudrait faire’ en matière de résolution des conflits de re-connaissance découle en large mesure de l’analyse de ‘ce qui se fait’ au niveau de la gestion politique du multiculturalisme.

D’un point de vue empirique, les questions de l’accès et de l’intégration au sein de la citoyenneté donnent lieu à un éventail très diversifié de politiques publiques (Soysal, 1994; Benhabib, 2002). Certains Etats, tels que la Suisse, ont une politique qui se fonde essentiellement sur l’enjeu de l’accès restrictif des étran-gers au territoire et à la communauté politique (par la naturalisa-tion), tandis que la politique d’intégration a été pratiquement inexistante jusque très récemment71. D’autres Etats, comme par exemple le Royaume-Uni, l’Australie, la Suède ou le Canada, ont fortement développé une politique d’intégration, en faisant de la gestion du multiculturalisme un pilier central de leur ac-tion publique. Il existe différentes variables qui déterminent la possibilité des acteurs d’accomplir (ou non) une trajectoire d’intégration. Une variable politique centrale est représentée par l’action de l’Etat, qui peut soit adopter des dispositions permet-tant la consolidation et l’organisation des groupes culturels (Zincone, 1998), soit laisser-faire, dans le sens de laisser déci-der aux groupes les modalités de leur organisation, soit procé-der à la limitation de la structure des opportunités politiques dont disposent les groupes pour agir publiquement (Ireland, 1994 ; Koopmans et al, 2005).

Ainsi, pour comprendre les logiques étatiques de gestion des différences, un aspect central réside dans la manière dont l’Etat

71 L’ordonnance promulguée le 13 septembre 2000 sur l'intégration des étran-gers (OIE) constitue la première base légale explicite en matière d’intégration des étrangers adoptée par les institutions fédérales suisses.

interprète la nature des conflits de reconnaissance.Qu’il suive une logique large ou étroite du multiculturalisme, l’action de l’Etat à l’égard des minorités culturelles aboutit inéluctablement à la création de catégories définissant l’autre en tant que groupe.

Cette construction sociale, politique et légale des différents peut prendre différentes formes. Au niveau des variables culturelles orientant les logiques étatiques, un aspect important réside dans le lien entre citoyenneté et nationalité. Historiquement, l’appartenance à la communauté nationale a été conçue comme une dimension constitutive de la citoyenneté. L’octroi du statut de citoyen ne confère pas que la possibilité d’accès à la com-munauté politique, mais aussi (et surtout) à la comcom-munauté nationale. Ainsi, le modèle de l’Etat-nation se fonde sur la con-gruence entre deux types d’identités: l'identité culturelle (appar-tenance à la nation) et l'identité politique - dans le sens de sou-mission à un Etat légitime (Gellner, 1983). Comme le dit Leca (1991: 482), “ à l'échelon de l'individu citoyen de l'Etat-nation, la citoyenneté et la nationalité se superposent ‘normalement’

c'est à dire aussi ‘normativement’, et de se fait deviennent des concepts interchangeables: la nationalité est conférée à l'indi-vidu par les lois de l'Etat et emporte pour conséquence le statut de citoyen ”. Il est important de remarquer que, malgré cette superposition normative, il n’est pas équivalent de dire : “ la nationalité confère la citoyenneté ” ou “ la citoyenneté confère la nationalité ”. Ces deux possibilités expriment des logiques fort différentes d’accès à la communauté nationale et politique.

A ce titre, on oppose couramment deux conceptions idéal-typiques de la nation: la conception civique inspirée du modèle républicain français et la conception ethnique qui découle du modèle organiciste allemand72. Le modèle français se fonde sur une vision civique de la nation, donc sur le principe d’adhésion volontaire aux valeurs qui fondent la république. Comme l’a affirmé Renan, la nation est un “ plébiscite de tous les jours ”.

Le modèle allemand, par contre, se base sur une vision ethnique

72 Il existe une large littérature sur ce sujet. A titre indicatif, voir Schnapper (1991; 1994), Renaut (1991), Brubacker (1992), Soysal (1994), Tamir (1993), Joppke (1996).

de la nation. Cette dernière est composée par celles et ceux qui ont une affiliation de sang, donc qui sont issus du même lignage ethnique. Ces deux conceptions de la nation impliquent deux types différents de relation normative entre citoyenneté et na-tionalité. La première donne une priorité à la citoyenneté sur la nation. Cette dernière est volontairement construite; elle est le produit d’un engagement politique. La deuxième, par contre, subordonne le politique à l’ethnique. La citoyenneté politique n’est que l’émanation d’une allégeance communautaire (ou ethnique) préalable. Bien qu’intéressants d’un point de vue heuristique, ces deux modèles sont bien trop généraux pour représenter de manière fiable la réalité empirique. Cependant, ils constituent des prismes analytiques féconds pour interpréter le caractère plus au moins restrictif des politiques d’immigration ou des politiques de la nationalité dans les diffé-rents pays (Brubacker, 1992). Par exemple, le modèle français est, en principe, plus ouvert à l’intégration des différences cul-turelles que le modèle allemand. La distinction entre jus san-guinis et jus solis en tant que principe déterminant l’obtention de la citoyenneté, représente une bonne illustration de cette différence.

Dans les faits, la réalité est bien plus nuancée, surtout en ce qui concerne la présumée neutralité culturelle du modèle répu-blicain de la nation. D’un point de vue historique, la construc-tion de l’Etat français est allée de pair avec un large processus d’homogénéisation culturelle. L’autonomie des communautés culturelles (Pays basques, Bretagne, Corse, etc.) a été fortement limitée par l’imposition du français et des principes de l’école républicaine73. Ferry (1991a) parle à ce sujet de pratiques eth-nocidaires. Or, il est évident que la normalisation culturelle de la nation française n’a pas abouti à un espace public

73 Nicolet (1992 : 118) résume efficacement le rôle de l’école en France :

“ l’Ecole de la République doit enseigner [...] les instruments intellectuels et moraux qui permettront à chaque futur homme et chaque futur citoyen de n’avoir que des ‘appartenances’ librement choisies par lui. ‘Cultures’ eth-niques (corses, occitanes, juives ou canaques) ou ‘religions’ (que votre nais-sance vous assigne) n’ont pas à être enseignées, pas plus, bien sûr, que dé-criées, dans l’Ecole publique ”.

ment neutre. Au contraire, le système français est bien plus ethniquement pré-ordonné de ce que ces présupposés philoso-phiques laisseraient croire74. Evidemment, cette remarque ne concerne pas que le système politique français. De manière générale, on peut considérer que toute démocratie libérale a une dimension ethnique ou culturelle, dans le sens où elle est struc-turée par un ensemble de valeurs substantielles issues du champ culturel (Parekh, 1992; Zincone, 1997, Bader, 1996). Ces cons-tats factuels entraînent un certain nombre de questions norma-tives. Par exemple, quel type d’intégration culturelle l’Etat veut-il proposer aux immigrés ? Qu’est-ce que ces derniers ou les individus culturellement différents doivent faire - ou ne pas faire - afin d’être intégrés dans la communauté nationale ? De plus, est-ce que la communauté politique doit nécessairement être structurée autour des valeurs nationales ? Est-il possible pour des individus ayant des identités culturelles différentes d’être représentés et intégrés en tant qu’égaux au sein d’un Etat-nation qui adopte un certain type de culture ?

La formation de groupes incarnant des identités peu négo-ciables peut être interprétée comme un signe de la crise des modèles d’intégration propres aux démocraties libérales. Fon-damentalement, il est possible de distinguer trois manières d’envisager la gestion de la différence culturelle : assimilation, intégration, et laissez-faire. L'assimilation présuppose la néga-tion des différences ou, en d’autres termes, l'homogénéisanéga-tion du champ culturel. Selon cette optique, les étrangers (au sens large) résidant sur le territoire national devraient renier leurs valeurs d'appartenance et se conformer à celle du pays d’immigration. L'intégration constitue une position médiane:

“ l'action contenue dans l'intégration valorise l'unité recher-chée. Elle est un processus qui, rapporté au phénomène migra-toire, exprime une dynamique d'échange, dans laquelle chaque élément compte à part entière. Le corollaire est que chacun accepte de se constituer partie du tout et s'engage à respecter

74 Voir Khosrokhavar (1996: 151), Bader (1996) et Touraine (1997). Geisser (1997) parle ouvertement d’ “ ethnicité républicaine ” en ce qui concerne le système politique français.

l'intégrité de l'ensemble ” (Costa-Lascoux, 1989: 10-11)75. En-fin, le modèle du laissez-faire implique un certain agnosticisme de la part des pouvoirs publics en matière de gestion du multi-culturalisme76. Plus précisément, en vertu du principe de neutra-lité, l’Etat n’est pas censé intervenir dans l’allocation des va-leurs culturelles. La tâche de la préservation de leur héritage culturel incombe aux communautés qui, dans une logique com-pétitive, doivent se doter des ressources leur permettant de sub-sister. Ceci implique l’éventualité de la disparition progressive ou de la transformation des valeurs et des pratiques des diverses communautés.

La réalisation effective de ces conceptions de la gestion des différences culturelles se heurte à une série d’enjeux qui ne peuvent être abordés ici. Toutefois, il est plausible de penser que dans la grande majorité des pays démocratiques, le modèle assimilationniste stricte a été abandonné77. Le pluralisme cultu-rel est de plus en plus géré par des politiques publiques visant l’intégration des minorités culturelles, surtout par rapport aux communautés d’immigrés ou aux communautés nationales. En ce sens, le multiculturalisme implique formellement une rupture avec l’approche assimilationniste ou, de manière plus générale, avec l’idée qu’il doit exister un lien nécessaire entre l’identité politique et l’identité culturelle78. Cependant, il est évident qu'au-delà des effets des politiques publiques, la réussite des trajectoires d'intégration dépend de la conjonction d’une

75 “ Il ne s'agit pas de réduire l'intégration des immigrés à l'intériorisation de normes imposées par l'extérieur. Comme les autres, ils gardent des marges de jeu, des possibilités de réinterpréter ces normes et de participer à l'invention commune des modèles collectifs ” (Schnapper, 1992: 18).

76 Pour une critique, Parekh (1992 : 205 et ss). Le cosmopolitanisme de Wal-dron (1995) s’inscrit partiellement dans cette perspective.

77 Par exemple, des pays ayant une politique restrictive et assimilationniste d’accès à la citoyenneté ont assoupli certaines dispositions. La Suisse, depuis 1990, permet la double nationalité.

78 Joppke (1996 : 486) postule un lien entre la remise en cause du modèle assimilationniste et l’avènement du multiculturalisme : “ liberal states have multiculturalism, because they have given up the idea of assimilating their members beyond basic procedural commitments ”. Pour d’autres exemples d’analyses du multiculturalisme en tant que politique publique, voir Castles (1992) et Kymlicka (1995).

guration complexe de conditions sociales, politiques et écono-miques (Costa-Lascoux et Weil, 1992; Zincone, 1989; Leca, 1992).

De manière générale, l’asymétrie relative79 du poids effectif de la citoyenneté (donc du pouvoir) au sein d’un système poli-tique donné peuvent entraîner des conséquences qui affectent considérablement la dynamique même du système politique80. Leca (1991: 486 et ss.) estime que “ l'un des problèmes fonda-mentaux des systèmes politiques modernes est celui de l'équi-libre entre l'altérité et la civilité81. [..] L'altérité renvoie à trois types d'opposition: l'opposition-méfiance entre individus ani-més par un désir perpétuel toujours inassouvi de pouvoir [..];

l'opposition entre individus ou groupes différemment et in-également situés dans la structure globale d'allocation des res-sources sociales; enfin l'opposition entre les manières d'être et de vivre, de voir et de juger ”. C'est ainsi qu’“ avec la destruc-tion de la civilité, tout contact renvoie à l'opposidestruc-tion expressive d'identités non négociables; [...] quand des ethnies sont cul-turellement trop séparées et éventuellement trop inégales

79 A ce titre, Shklar (1991: 359), dans son essai consacré à la citoyenneté américaine, écrit qu' “ aujourd'hui [...] être rétribué par l'Etat vous conduit à perdre votre autonomie et être traité comme un citoyen de seconde classe. On sait bien que ceux qui appartiennent à des classes sociales défavorisées ne sont pas tout à fait des citoyens ”. Pour Young (1989: 259), “ citizenship rights have been formally extended to all groups in liberal capitalist societies, some groups still find themselves treated as second-class citizens. Social move-ments of oppressed and excluded groups have recently asked why extension of equal citizenship rights has not led to social justice and equality ”. Voir aussi Melucci (1996), Minow (1997: 30 et ss).

80 Pensons, par exemple, à la vision de Schmitt qui, en élaborant la célèbre distinction entre ami et ennemi comme critère déterminant du jeu politique, avait mis l'accent sur le potentiel déstabilisateur inhérent à une société multi-culturelle. Selon cet auteur (1992: 65-84), “ le sens de [la] distinction est d'exprimer le degré extrême d'union ou de désunion, d'association ou de dis-sociation [...]. Tout antagonisme religieux, moral, ethnique ou autre se trans-forme en antagonisme politique dès lors qu'il est assez fort pour provoquer un regroupement effectif des hommes en amis et ennemis ”.

81 En reprenant la définition de Fallers, Leca définit la civilité comme étant

"une reconnaissance tolérante et généreuse d'un attachement commun à l'ordre social et d'une responsabilité commune envers lui en dépit de la diversité"

(Leca, 1991: 486 et ss.).

nomiquement et politiquement, la civilité ne peut être assez forte pour les englober comme citoyens d'une même unité poli-tique; au contraire, la lutte pour la citoyenneté détruit la civili-té, et celle-ci ne peut être épargnée que par le maintien de chaque communauté avec ses propres lois et sa propre organi-sation sociale ” (1986: 171-180). La civilité est une précondi-tion importante pour l’exercice de la citoyenneté. Comme nous le verrons plus loin, pour certains, c’est une vertu nécessaire au fonctionnement de la citoyenneté dans un régime libéral (Galston, 1991 ; Macedo, 1991; Barber, 1984). Ainsi, une

“ crise ” de la civilité aboutit à une remise en cause de la ci-toyenneté en tant que médium intersubjectif de construction de la volonté politique. Par exemple, la radicalisation du nationa-lisme ethnique participe de cette logique, car elle exprime une crise d’allégeance à l’égard d’un système politique donné. Dans de telles situations, c’est donc la citoyenneté en tant que mé-dium de l’intégration politique qui est diminuée (de là le terme de crise). La radicalisation identitaire, ou - en termes plus socio-logiques - une opposition à l’égard des tendances normalisa-trices inhérentes aux logiques étatiques d’intégration, entraîne de facto une politisation des conflits d’identité.

Le phénomène de politisation des identités culturelles est couramment résumé par la notion d’identity politics (Gitlin, 1993 ; Aranowitz, 1992 ; Lacorne, 1997 ; Cerutti, 1996: 23 et ss). Les vecteurs de l’identity politics sont principalement les mouvements sociaux, qui se mobilisent pour lutter contre l’oppression ou la discrimination découlant de l’attribution de catégories sociales déterminées. Par leur mobilisation, ils re-vendiquent la reconnaissance publique de leur identité cultu-relle. Dans certains cas, comme celui du Civil rights movement dans les années 60, la mobilisation vise une meilleure réalisa-tion de l’intégraréalisa-tion démocratique. Dans d’autres, c’est surtout l’affirmation publique de sa propre différence qui est recher-chée. Des phénomènes collectifs tels que la Gay Pride, le Black power ou la Nation of Islam s’inscrivent plus spécifiquement dans cette mouvance. Grâce à la mobilisation et à la visibilité publique qui en découle, les membres de ces groupes visent la récupération d’une dignité publique qu’ils estiment avoir été

niée par les groupes dominants82. Souvent, l’invisibilité poli-tique contraste avec la visibilité sociale des minorités cultu-relles. En vertu de caractéristiques physiques (couleur de la peau, etc.) ou sociales (styles de vie, religion, etc.), ces der-nières font l’objet d’une stigmatisation de la part des membres des groupes culturels dominants. Dans un tel contexte, leur demande de reconnaissance publique peut constituer un facteur de tension sociale et politique supplémentaire, pouvant débou-cher sur un regain de violence, d’actes racistes, xénophobes ou homophobes (Solomos et Back, 1996 : 79). Cependant, il serait faux de considérer qu’il existe un lien direct entre conflits de reconnaissance et attitudes racistes. En effet, racisme et xéno-phobie sont immanents aux logiques assimilationnistes car la diminution progressive des différences entre identité et altérité peut provoquer de violentes réactions de réaffirmation identi-taire, “ une défense exaspérée contre l’invasion de l’étranger ” (Tabboni, 1996 : 248).

Ce qui paraît important de souligner est le fait que, malgré les innombrables différences qui caractérisent la mobilisation des groupes, les politiques de l’identité expriment l’idée que, telle qu’elle est réalisée dans un système politique donné, la citoyenneté n’est pas en mesure de garantir une intégration ef-fective : ou bien elle n’arrive pas à réaliser une véritable intégra-tion universaliste ; ou bien elle ne permet pas l’expression des différences culturelles, niant ainsi la spécificité culturelle des membres des minorités culturelles. Elle se fonde sur l’idée se-lon laquelle, que ce soit pour des raisons de race, d’ethnie, de sexe, d’orientation sexuelle, de religion ou de classe, certains individus ont moins de chances de jouir d’une véritable intégra-tion sociale et politique que les membres des groupes domi-nants. Dans ce cas, la mobilisation identitaire représente un

82 Comme l’écrit Appiah (1994 : 161), “ if one is to be Black in a society that is racist then one has to deal constantly with assaults on one’s identity. In this context, insisting on the right to live a dignified life will not be enough. It will not even be enough to require being treated with equal dignitiy despite being Black, for that will require a concession that being Black counts naturally or to some degree against one’s dignity. And so one will end up asking to be respected as a Black ”. Dans la même perspective, voir aussi Steele (1990).

moyen de récupérer la dignité sociale et politique du groupe83. Le phénomène de l’identity politics montre que la multiplica-tion des allégeances et des identités culturelles dans un contexte marqué par des inégalités structurelles implique une remise en cause de la citoyenneté en tant que référent premier de l’identité politique. Ceci entraîne des conséquences de taille en ce qui concerne le fonctionnement et la légitimité normative des dé-mocraties représentatives. Comme le résume bien Barber (1995:

3), “ seeking a repository for identity, everyone belongs to a tribe. But no one is a citizen. Without citizens, how can there be democracy? ”. Barber attire l’attention sur le fait que la ci-toyenneté, au lieu de constituer un facteur d’union, se trans-forme progressivement en un facteur de désagrégation sociale et politique. Plus spécifiquement, la citoyenneté n’est pas seule-ment le moyen au travers duquel les conflits s’expriseule-ment (grâce aux droits civils et politiques qu’elle comporte) ; elle est aussi le but des revendications et de la mobilisation des groupes cultu-rels. Des groupes ne reconnaissent pas l'identité politique ex-primée par la citoyenneté, car ce statut (et les institutions qui l'octroient) leur paraît occulter leur spécificité culturelle ou so-ciale, donc leur authenticité (Taylor 1991; 1992). Comme le résume Walzer (1997 : 179) de manière efficace, “ la citoyen-neté est de moins en moins l’identité première ou la passion brûlante d’hommes et de femmes qui vivent dans les sociétés complexes et hautement différenciées, où la politique fait face à la concurrence [...] de la classe sociale, de l’ethnicité, de la reli-gion, de la famille, et où ces quatre composantes ne rassemblent pas les gens mais les séparent plutôt, les divisent ”. Comment donc, dans un tel contexte, penser un modèle de citoyenneté qui soit vecteur d’intégration et de justice ?