• Aucun résultat trouvé

Les liens entre multiculturalisme, citoyenneté et démocratie :

3 Le multiculturalisme: approches et définitions

3.3 Identités plus ou moins négociables

Pour comprendre l’idée de conflit de reconnaissance, il est né-cessaire d’aborder le concept d’identité. En effet, dit de manière sommaire, le conflit de reconnaissance émane du manque de reconnaissance de la part d’un acteur A, de l’identité de l’acteur B. J’aborderai de manière plus détaillée le concept de recon-naissance dans la troisième partie du travail. Dans cette section, nous allons surtout nous pencher sur la notion d’identité et sur les implications politiques qu’elle soulève. Plus spécifiquement, il s’agit de définir ce qu’est l’identité. La réponse à cette ques-tion demanderait, à elle seule, une étude en soi. Nous nous limi-terons donc à esquisser quelques éléments analytiques utiles pour étayer nos propos.

Chebel (1986: 35-36) définit l’identité comme étant “ une structure subjective caractérisée par une représentation de soi déduite de l'interaction entre l'individu, les Autres – condition préalable pour qu'il y ait effectivement identité [...] – et le mi-lieu (comme agent matériel de l'identification) ”. Cette défini-tion implique que, pour se constituer, l’identité nécessite l’existence d’une autre entité sociale. C’est la différenciation par rapport à cette dernière qui définit l’identité du groupe. En ce sens, il n’y a pas d’identité collective d’un in-group sans définition de l’out-group. Dans cette perspective, l’identité pré-suppose et détermine la différence (Connolly, 1991). Bien que basée sur une logique binaire d’identification-différenciation, l’identité n’est pas une caractéristique statique ou donnée.

Comme le résume bien Tarchi (1993: 20), “ l'identification d'un individu avec un sujet collectif [...] présente une gamme d'intensités différentes. Elle peut émaner d'une profonde sug-gestion affective ou obéir à des considérations rationnelles d'utilité, en créant ainsi, selon les cas, des identités fortes ou faibles. Elle peut se focaliser sur un seul référent ou se partager

entre plusieurs pôles d'attraction. Dans le premier cas, nous aurons une identité totale ou exclusive, tandis que dans le deu-xième il s’agira d’une identité partielle. Enfin, elle peut se révé-ler stable dans le temps ou être révocable et modifiable; nous parlerons alors d'identités rigides ou flexibles. La qualité géné-rale de l'identité et, donc, son influence relative sur les compor-tements d'un individu ou d'un groupe, découle de la différente combinaison de ces éléments ”43. L’identité d'un acteur social pouvant varier tout au long de son existence, sa mesure est donc essentiellement une question de degré d’intensité. Bien que toute identité de groupe représente aussi une identité indivi-duelle (Cerutti, 1996: 12), il n’en demeure pas moins que l’identité d’un groupe est plus qu’une simple agrégation d’identités individuelles44. Autrement dit, le groupe incarne un ethos qui va au-delà de la spécificité identitaire des membres qui le composent45. Ainsi, Berger (1995 : 29) souligne le fait que, dans le contexte nord-américain, le terme de communauté est de plus en plus utilisé (par exemple, communauté noire, communauté féministe, communauté homosexuelle). Par cette notion, les groupes expriment l’idée qu’ils se constituent sur la base d’expériences et de valeurs vécues en commun. C’est donc cette structure symbolique commune qui informe et stimule la formation des intérêts individuels; ce n’est donc pas que l’agrégation des intérêts individuels qui constitue les valeurs et le monde vécu des membres du groupe.

Pour simplifier la discussion, nous allons résumer ces diffé-rentes dimensions par rapport à l’idée de négociabilité identi-taire. Plus particulièrement, nous allons proposer le concept

43 Notre traduction de l'italien.

44 Dworkin (1992) adopte une perspective similaire en distinguant deux types de dynamique sociale: l'action collective statistique et l'action collective communautaire. Dans la première, les différents acteurs n'ont pas conscience d'agir en tant que groupe. Le comportement du groupe résulte de l'addition des différents comportements individuels. Par contre, l'action collective commu-nautaire présuppose la prise de conscience de l'existence d'un groupe séparé, envers lequel les différents membres ont une attitude solidaire et responsable.

45 Selon Young (1995: 161) “a group exists and is defined as a specific group only in social and interactive relation to others. Group identity is not a set of objective facts, but the product of experienced meanings".

d’identités plus ou moins négociables.46 La différence entre le plus ou moins de négociabilité réside dans la valeur symbolique que les différents référents identitaires incarnent pour les indi-vidus ainsi que leur importance pour l’accomplissement moral, psychologique ou affectif des individus qui s’y réfèrent. De manière générale, on peut définir comme étant plus négociables les identités qui se fondent sur des intérêts. Elles sont le produit de choix individuels volontaristes (qu’ils soient rationnels par rapport aux buts ou par rapport aux valeurs). Les styles de vie et les choix pragmatiques au niveau des affiliations politiques rentrent dans cette catégorie. Par contre, les identités moins négociables se rapportent plus spécifiquement à des référents identitaires qui situent et définissent de manière forte les carac-téristiques d’un individu. Ces référents identitaires sont perçus par les acteurs sociaux comme étant des piliers constitutifs de leur authenticité et de leur conception du bien. Ainsi compris, ce type d'identité comporte une dimension anthropologique et symbolique qui n'affecte que relativement les intérêts négo-ciables47. Il est d’emblée important de préciser que, tel que nous l’envisageons, le fait que des identités soient moins négociables ne relève pas d’une impossibilité anthropologique du soi de remettre en cause des référents identitaires48. Dans certains cas, les acteurs sociaux peuvent être amenés à (ou décider de) consi-dérer des caractéristiques sociales, culturelles ou religieuses comme étant des éléments structurants de leur identité. Plus

46 A défaut de leur systématisation rigoureuse, ces deux concepts apparaissent relativement souvent dans la littérature. Voir, par exemple, Leca (1996), Mouffe (1994) et Galeotti (1994).

47 Comme le résume efficacement Spinner (1994: 2), “ we can resign from our raquetball club or even our church, but it is not quite the same to resign from our racial, ethnic, or national group ”.

48 Dubiel (1998 : 212 ss) adopte une conception des conflits sociaux qui se rapproche fortement de notre compréhension des conflits de reconnaissance : dans le cadre des sociétés multiculturelles “ the conflicting parties claim iden-tities rooted in experience that are deeply socialized and, to a great extent, regarded as insusceptible to surrender or negotiation. Indivisibility or nonne-gotiability are not, however intrinsic to these experimental bases of conflict ”.

Pour une présentation des enjeux fondamentaux inhérents à l’identity politics, voir Minow (1997 : 30-58).

particulièrement, d’un côté, un certain référent identitaire peut être perçu par l’acteur comme peu négociable, car sa remise en question nuirait à sa propre conception de l’authenticité (Taylor, 1994) ; de l’autre, par des processus d’attribution et de catégori-sation sociale, les individus appartenant à des minorités cultu-relles peuvent se retrouver dans des situations où la négociation de leur identité devient problématique. Ceci est le cas quand, par l’utilisation de stéréotypes, les acteurs contruisent des iden-tités qui, pour l’acteur altérisé, deviennent des caractéstiques marquantes qui rendent difficile pour ce dernier de s’en éman-ciper.

Il existe d’autres distinctions conceptuelles qui recoupent partiellement l’idée selon laquelle il existe des identités plus ou moins négociables. Kymlicka (1991:186) distingue entre identi-tés “ choisies ” et identiidenti-tés “ héritées ”. Walzer (1994), dans une perspective philosophique, distingue les identités “ fines ” [thin]

des identités “ épaisses ” [thick]. Galeotti (1994) emploie le terme d’identités “ ascriptives ”. Dans le même sens, Leca (1996: 235) opère la distinction entre groupes à identité “ pres-crite ” (reconnaissable par un marqueur social indélébile) et groupes à identité “ choisie ”. En particulier, cette distinction recoupe largement l’idée qu’il y a des groupes qui partagent des identités n’ayant pas le même degré de négociabilité. Ainsi, au delà de la terminologie employée, l’idée selon laquelle il existe des identités qui sont plus au moins choisies ou héritées, est généralement admise. Cependant, le qualificatif ‘moins négo-ciable’ nous paraît être sémantiquement plus riche que le terme

‘hérité’. En effet, l’idée d’identité héritée implique une essentia-lisation forte de l’appartenance culturelle de l’acteur. Il est cen-sé agir de manière conforme aux principes constitutifs de la forme culturelle dans laquelle il est né. En ce sens, l’identité collective héritée est fortement constitutive de l’identité indivi-duelle (Sandel, 1982). Par contre, l’idée de ‘moins négociable’

est compatible avec une démarche réflexive de l’acteur sur sa propre identité. Dans certains cas, l’acteur peut choisir, pour différentes raisons, de ne pas négocier des aspects (pour lui) importants de sa propre identité. Ce choix dépend en partie de son identité héritée (race, sexe, religion, etc.) et du contexte

social dans lequel son identité est rendue significative par le regard des autres. Si la notion d’identité ‘héritée’ entraîne une référence à l’acteur en tant qu’individualité, la notion d’identité

‘moins (ou peu) négociable’ se fonde davantage sur la relation que l’individu entretient avec d’autres acteurs sociaux.

Ainsi, contrairement à la notion d’identité “ héritée ”, le terme ‘moins négociable’ n’implique pas l'existence d'identités forcément naturelles ou essentielles, nécessaires ou immuables.

Les identités sont socialement construites, ce qui signifie que toute identité est sujette à négociation (Connolly, 1991: 164;

Eisenstadt et Giesen, 1995: 74). La construction identitaire étant contextuelle et socialement déterminée, l’identité ne peut être tenue pour une essence donnée a priori (Calhoun, 1995). Donc, par le concept d’identité moins négociable nous n’entendons nullement invoquer une conception essentialiste de l’identité.

Racisme et homophobie ne découlent pas de la race ou des orientations sexuelles : ce sont des attitudes propres aux indivi-dus qui les vivent et les proclament. Cependant, s’il est plau-sible de penser que, du point de vue sociologique, l’individu se situe au centre d’un réseau identitaire complexe, jamais figé, il est aussi difficile de contester le fait que certains référents iden-titaires restent prépondérants et symboliquement plus chargés que d'autres. C'est précisément leur profond enracinement an-thropologique qui rend difficile la remise en cause de certaines identités (donc leur négociation), car celle-ci entraînerait des coûts symboliques et psychologiques très importants pour les acteurs concernés. En employant la terminologie de Rawls, une identité est donc considérée comme peu négociable lorsqu’elle est perçue comme étant un “ bien premier ” par les acteurs so-ciaux. Sa négation (dans le sens d’un refus de reconnaissance par autrui) affecte alors considérablement la possibilité de pour-suivre une conception du bien, donc d’être moralement auto-nome49.

49 Une telle situation entraîne des conséquences normatives importantes, qu’il s’agira d’évaluer par la suite, notamment en abordant la notion de respect (voir chapitre 14).

La notion d’identité plus ou moins négociable acquiert un sens par rapport à un continuum hypothétique entre identités négociables et identités non-négociables. L’idée de continuum permet de penser cette relation dans des termes dynamiques et de s’interroger sur les facteurs sociaux et politiques qui font qu'une identité change de statut, soit qu’elle se radicalise, soit qu’elle s’assouplisse. En adoptant une approche constructiviste de l’identité, l’idée d’une identité non-négociable paraît contre-intuitive. Cependant, on peut aussi interpréter la condition de non-négociabilité identitaire non comme une propriété ontolo-gique d’une identité ou d’un acteur donné, mais comme une condition sociologique, morale et politique. Autrement dit, si tout acteur est virtuellement en mesure de négocier les valeurs structurant son identité, il en va autrement du regard des autres.

Par exemple, le fait d’être noir au Etats-Unis constitue un cas d’identité peu négociable dans la mesure où un individu noir, dans ses relations sociales, est perçu avant tout comme étant noir et, par la suite, comme un individu d’une certaine classe, niveau d’éducation, sympathie, orientation idéologique, etc. Le discours des mouvements racistes, xénophobes, homophobes ou misogynes entraîne une essentialisation forte de l’identité des membres des groupes stigmatisés. Aux yeux des individus prô-nant ces visions du monde, les membres des groupes stigmati-sés ont une identité non-négociable, car il existe quelque chose dans leur nature profonde qui surdétermine leurs valeurs et pra-tiques. Ces dynamiques expliquent pourquoi les membres des groupes culturels stigmatisés, à certains moments historiques, se présentent sur la scène politique en revendiquant la reconnais-sance d'identités qu'ils estiment être non (ou peu) négociables.

Cette situation est tributaire de l'état des rapports de force (au sens large) dans une société donnée (Connolly, 1991 ; Moon, 1993 : 211-221). Ainsi, le fait qu'une identité soit aujourd'hui considérée (et vécue) comme étant peu négociable n'implique pas qu'elle le sera nécessairement encore demain.

Le contexte social est donc un facteur crucial pour com-prendre la radicalisation (au sens de la tendance à la non-négociabilité) des identités. Les caractéristiques ascriptives, telles que le sexe, la race, les orientations sexuelles, le langage

ou la religion, ne sont pas en elles-mêmes sources de conflit avec des groupes partageant d’autres référents identitaires. Elles peuvent cependant être potentiellement conflictuelles dans un certain type de configuration sociale, économique ou politique ou encore par rapport aux comportements des autres groupes (Sciolla, 1995). En analysant les communautés d’immigrés en France et en Grande-Bretagne, Lapeyronnie (1993: 84 ss.) montre que face à une catégorisation de l'étranger comme repré-sentant d'une entité culturelle ou raciale, ce dernier est porté à agir sur deux plans. D'un côté, il vise à promouvoir la valeur de sa culture d'appartenance (attitude différentialiste); de l'autre, il essaie d'affirmer son existence en tant qu'acteur moral auto-nome au sein de la communauté d’immigration (attitude univer-saliste). Ainsi, le processus identitaire se construit à partir d’une dynamique paradoxale, qui s'exprime par la tension inhérente entre, d'une part, la revendication de la différence (authenticité) et, de l'autre, la revendication égalitaire (ou d’intégration). C’est précisément cette double tendance d’ ‘intégration - différencia-tion’ qui caractérise la dynamique sociale des sociétés multicul-turelles. Par exemple, le Civil Rights Movement a représenté une tentative de réaliser les promesses de la citoyenneté libérale (et du Constitutional Faith américain). Ce mouvement noir, organisé principalement autour des Eglises, se proposait un objectif d’intégration. Pourtant, face à la perpétuation des pro-cessus de marginalisation, certains mouvements noirs prônent, aujourd’hui, une stratégie de différenciation ou de demandes de reconnaissance de leur spécificité (voir le cas de la Nation de l’Islam de Farrakhan). Nous sommes donc passés d’une de-mande d’inclusion à une situation dans laquelle l’objectif visé est celui de la différenciation.

En résumé, notre discussion sur la notion d’identité aboutit aux considérations suivantes : premièrement, le fait que des identités soient perçues comme étant peu (ou moins) négo-ciables participe à deux tendances distinctes (bien qu’interdé-pendantes). Notamment, d’un côté, la volonté d’un groupe don-né de se positionner dans l’espace public en revendiquant une identité positive qui exprime son authenticité; de l’autre, la non négociabilité comme produit de l’attribution externe d’une

iden-tité essentielle et immuable. Ainsi, il y a une différence qualita-tive importante entre une identité choisie (par exemple, par un mouvement sécessionniste comme la Lega Nord en Italie) et une identité imposée de l’extérieur comme un marqueur social (être noir aux Etats-Unis). Concernant la première tendance, les membres d’une communauté particulière affirment leur authen-ticité culturelle (Appiah, 1994 ; Taylor, 1991; 1994). A partir de la communauté imaginaire (Anderson, 1983) constituée sur la base d’une particularité culturelle (origine ethnique, raciale, religieuse, sexuelle ou autre), ils demandent la reconnaissance publique de la valeur de leur culture. En ce sens, du point de vue de la stratégie politique, la radicalisation identitaire est des-tinée à l’obtention de droits supplémentaires qui permettent la réalisation des intérêts du groupe et la perpétuation de l’identité culturelle (Hardin, 1995; Kenny, 2004). Dans certains cas, donc, la culturalisation des conflits politiques et sociaux im-plique que les groupes construisent une identité culturelle qui constitue une ressource politique pour demander la satisfaction de leurs intérêts50. Ainsi, la revendication d’authenticité en-traîne inéluctablement une tendance à la non-négociation identi-taire. En effet, il n’est pas possible de négocier les valeurs cons-titutives de sa propre authenticité sans, par la même occasion, se nier en tant qu’acteur porteur d’une identité spécifique. La deuxième tendance implique une logique différente. Les membres des groupes culturellement différents sont construits en termes de déviance, anormalité et danger. Le racisme se fonde précisément sur l’imposition d’une identité fixe, connotée négativement, aux membres de certains groupes culturels (Jen-kins, 1997). Par exemple, le fait de dire ‘certains musulmans sont des intégristes, donc tous les musulmans le sont aussi po-tentiellement’ participe d’une telle logique attributive. Les sté-réotypes et les processus de catégorisation et d’attribution so-ciales sont un moyen important d’essentia-lisation des identités (Hagendoorn, 1993 ; Jenkins, 1994). Dans le cas d’attribution

50 Ce phénomène n’est évidemment pas qu’une caractéristique de la réalité américaine. Par exemple, la Lega du Nord a adopté une stratégie similaire (Zincone, 1998).

d’une identité négative, la mobilisation (ou la politisation du conflit identitaire) peut être le moyen pour sortir de cette condi-tion d’infériorité, donc d’atteindre une meilleure reconnaissance publique. En ce sens, l’affirmation d’identités positives est sou-vent une réponse face à la perpétuation de processus de stigma-tisation et de marginalisation51. Dans cette phase, la reconnais-sance visant le fait d’être un sujet de droits devient prioritaire par rapport à la revendication d’intérêts spécifiques (Sciolla, 1995: 45-49), même si des formes d’instrumentalisation des appartenances identitaires afin de satisfaire des intérêts spéci-fiques sont aussi à l’œuvre dans les sociétés multiculturelles (Hardin, 1995).

La deuxième considération concerne l’importance du con-texte social et politique au sein duquel s’opère l’interaction entre les différents groupes culturels. La tradition politique d’exclusion, d’oppression et de marginalisation peut stimuler la création de communautés qui, bien qu’imaginées, sont consti-tuées à partir de processus politiques et sociaux bien réels. La perception de l’oppression représente un mécanisme puissant de construction d’une identité narrative (Ferry, 1991) fondée sur le souvenir de la souffrance morale et physique. Encore une fois, nous pouvons constater que la non-négociabilité n’est pas une propriété ontologique propre à une identité particulière. Elle découle de plusieurs facteurs, tels que, par exemple, la volonté de respecter les valeurs morales propres à un récit particulier, la nature des relations sociales entre les groupes culturels, le type de système politique dans lequel la différence culturelle s’exprime, ou encore la volonté de préserver la communauté culturelle en se démarquant de manière radicale des autres groupes culturels. En d’autres termes, l’attitude de non-négociabilité est toujours contextualisée et contingente. Ainsi, la notion d’identité moins négociable se réfère à une situation sociologique, et non à une position normative. Sa pertinence

51 A ce titre, Wieviorka (1996: 18) affirme que “ parfois, l’expérience vécue du rejet social ou de la discrimination raciste est décisive dans la construction d’une identité culturelle qui, à la limite, vient apporter sa réponse au mépris, à l’exclusion, à la stigmatisation en poussant l’acteur à s’approprier le discours de la différence qui lui était jusque-là surtout imposé du dehors ”

heuristique doit être évaluée en tant qu’outil de compréhension de la réalité sociale plutôt qu’en tant que critère normatif. En ce sens, comme nous le verrons par la suite, le fait de revendiquer une identité peu ou non-négociable n’implique pas nécessaire-ment que sa propre identité doive être reconnue par l’Etat libé-ral. Par contre, la compréhension du type de dynamiques so-ciales qui découlent de la confrontation de groupes exprimant des identités non-(ou peu) négociables représente un facteur essentiel pour ensuite élaborer des réponses normatives face à de telles situations.

La notion d’identité plus ou moins négociable nous permet de spécifier davantage la nature des conflits existant dans les

La notion d’identité plus ou moins négociable nous permet de spécifier davantage la nature des conflits existant dans les