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Jean-Pierre Nicolas

TRANSPORTS / URBANISME

3. U RBANISME : LA LOCALISATION DES MÉNAGES ET DES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES

3.4. Localiser les ménages

Cette partie fait largement référence à la thèse de M. Homocianu (2009)14. Elle se présente en trois temps avec tout d’abord une revue

de la littérature (pour faire ressortir les principaux facteurs explicatifs des mobilités résidentielles), puis une présentation de la construction du modèle de déménagement, et enfin celle du modèle de localisation.

13. Soulignons qu’il n’est pas envisagé de faire déménager les entreprises de ce dernier secteur (4% des établissements, 1% des emplois sur l’aire urbaine) dans le cadre de SIMBAD.

14. La thèse a été réalisée sur ce thème dans le cadre de SIMBAD grâce à Convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE), financée par l’Agence d’urbanisme de Lyon.

3.4.1. Les facteurs explicatifs de la mobilité et de la localisation des ménages

Deux principaux facteurs explicatifs de la localisation résidentielle ressortent de l’analyse bibliographique (Homocianu, 2009) : les déter- minants liés au profil socio-économique du ménage et des individus qui le composent d’une part, les déterminants liés à l’environnement rési- dentiel du logement d’autre part. De manière classique dans l’appro- che économique, le niveau de vie des ménages est déterminant dans leurs choix en matière de localisation résidentielle. On peut évoquer dans ce sens les apports d’Alonso, Mills et Muth, qui soutiennent l’idée que l’offre et la demande sur le marché du logement expliquent la localisation des ménages aisés et des ménages pauvres dans des lieux différents, ou ceux de Tiebout, selon lequel le jeu d’attraction et de répulsion entre différentes catégories de ménages selon leur niveau de vie structure l’espace résidentiel. Plus récemment, d’autres auteurs (Mac Fadden, 1978 ; Anas, 1982) ont accordé une grande importance aux caractéristiques socio-économiques du quartier, en soulignant une interaction avec le revenu bien supérieure à l’accessibilité aux zones d’emploi. On peut également remarquer l’homogénéité des ménages au sein des quartiers, très visible dans les paysages urbains (Bou- zouina, 2008).

Les extensions apportées au modèle standard de l’économie urbaine permettent de différencier finement les caractéristiques des ménages. Par exemple, un ménage de grande taille est plus susceptible de choisir une résidence en périphérie, afin de bénéficier d’une plus grande superficie à moindre coût qu’un ménage plus petit (Debrand et Taffin, 2005). Par ailleurs, on peut constater que plus la taille du ménage est élevée, plus celui-ci a tendance à se stabiliser – le coût de sa mobilité s’élève. De même, les événements du cycle de vie des ména- ges influent tout à la fois sur la décision de déménager et sur le choix de la localisation ou du type de bien (logement) acheté, en fonction des impératifs comme la naissance des enfants ou la retraite (Rogers, 1988 ; Rérat, 2005). Enfin, d’autres recherches suggèrent l’existence d’une asymétrie importante entre les locataires et les propriétaires en termes de décisions de localisation résidentielle, ce qui semble logique dans la mesure où le statut d’occupation du logement est corrélé avec des variables comme le revenu du ménage ou l’âge de la personne de référence (Elder et Zumpano, 1991).

Les autres déterminants de la localisation concernent le logement lui-même, avec ses caractéristiques intrinsèques, mais aussi les améni- tés liées à son environnement et son accessibilité aux fonctions urbai- nes, comme avait pu le représenter K.J. Lancaster (1966) dans sa

nouvelle théorie du consommateur. Lorsqu’un ménage choisit un loge- ment, il tient compte de multiples variables structurelles, quantitatives comme la superficie ou le nombre de pièces de la résidence, ou quali- tatives comme le type (maison, appartement), l’âge de l’immeuble ou le niveau d’équipement. Le choix de la localisation résidentielle est également lié à la qualité de l’environnement social, économique et physique de la zone de résidence. Si l’on cherche à prendre en compte l’influence des aménités sur la ségrégation résidentielle, on peut mon- trer que les ménages aisés donnent une plus grande importance à la présence d’aménités que les ménages disposant d’un revenu plus faible (Bouzouina, 2008). Le choix de la localisation des ménages dépend aussi de leurs préférences concernant le cadre de vie du quartier, traduit en termes de présence d’espaces verts et de loisir, de niveau de pollution de l’air, etc. M. Thériault (2002) ou Y. Kestens (2004) ont ainsi mis en évidence la relation positive qui existe entre la présence de la végétation et la valeur des propriétés. On peut aussi noter qu’en retour, ces choix individuels affectent la qualité de leur environne- ment. En effet, les caractéristiques socio-économiques des quartiers influencent les chances d’accès à l’emploi de leurs habitants, de même qu’elles conditionnent d’autres décisions prises par les ménages et influencent ainsi la formation du capital humain (Ross, 2001).

Enfin, les choix de localisation des ménages, mais aussi la valeur des logements, dépendent de leur proximité aux différentes activités et services de la ville. La présence à proximité d’activités économiques, d’établissements d’enseignement ou commerciaux, l’accessibilité au centre et aux grandes infrastructures de transport, le niveau de la densité de la population, sont des facteurs qui jouent sur la décision des ménages de se localiser dans une zone.

3.4.2. Déménager ou pas ? : un modèle Logit binomial de mobilité résidentielle

Les données désagrégées au niveau du ménage de l’Enquête Loge- ment 2002 ont servi à caler le modèle. En isolant les ménages de l’aire urbaine de Lyon au sein de cette base, on a estimé les coefficients de chacune des variables de la fonction d’utilité, permettant de calculer les probabilités de déménager des différents types de ménages. Sans surprise par rapport à la littérature, trois principaux facteurs ressortent de l’analyse des données et ont finalement été retenus dans le modèle : (i) le statut d’occupation du logement, (ii) la taille du ménage (prise ici à travers le nombre d’enfants du ménage) et (iii) la position dans le cycle de vie (représentée ici par l’âge du chef de ménage), sachant que

même à statut d’occupation équivalent et à nombre d’enfants donné, cette variable restait significative pour le modèle.

La mise en correspondance entre ce qui est observé et les prédic- tions du modèle montre que le pourcentage de ménages dont le choix a été correctement prévu est de 87 %. La part des ménages restant sur place d’une année sur l’autre étant de 88,6 %, ce premier résultat reste cependant limité. Il est plus intéressant de noter que la prévision du modèle est correcte pour 41,2 % des ménages changeant de résidence dans l’année alors qu’ils ne sont que 11,4 % à déménager, en moyenne globale. Ce sont des changements d’états qui sont principalement la cause d’un déménagement (changement d’emploi, naissance d’un enfant, mise en couple, etc.). Les variables explicatives utilisées dans SIMBAD sont statiques et apparaissent plus indicatives de la probabi- lité d’un changement d’état que du changement lui-même. Les résul- tats révèlent donc une bonne prise en compte de la structure des variables explicatives sous-jacentes à la décision de mobilité résiden- tielle des ménages. Pour les améliorer, il serait nécessaire de dynami- ser l’approche avec, par exemple, un module de suivi démographique pour représenter le cycle de vie de chaque ménage et les évènements qui ponctuent son histoire.

3.4.3. Où se localiser ? Un fort impact des variables d’accessibilité

Pour caler le modèle de localisation, les données du RGP 1999 ont été utilisées, à savoir une population exhaustive des ménages de l’aire urbaine de Lyon, dont on connaît la localisation au niveau de l’IRIS (Figure 5). Le modèle est construit uniquement à partir des ménages

Figure 5

Localisation de la population dans l’aire urbaine de Lyon en 1999

ayant déménagé dans l’aire urbaine de Lyon l’année précédent le recensement de 1999, soit 91 461 ménages sur les 662 249 de l’aire urbaine à l’époque.

Les variables qui ont pu être fournies par l’INSEE sont : – l’IRIS de résidence au moment du recensement ;

– le déménagement l’année précédent le recensement (oui/non) ; – l’âge de la personne de référence (moins de 30 ans ; 30-44 ans ; 45-59 ans ; 60-74 ans ; 75 ans et plus) ;

– le statut du chef de ménage (travailleur à temps plein ; travailleur à temps partiel ; chômeur ; retraité ; autres inactifs – étudiants et per- sonnes au foyer notamment) ;

– le nombre de personnes du ménage (0, 1, 2, 3, 4, 5 ou plus) ; – le nombre d’actifs dans le ménage (0, 1, 2 ou plus) ;

– le statut d’occupation du logement (propriétaire ou locataire) ; – le nombre de voitures à disposition du ménage (0, 1, 2 ou plus). Par ailleurs, un revenu par unité de consommation a été estimé, exprimé en trois classes distinguant les 20 % des ménages aux plus bas revenus, les 60 % médians et les 20 % les plus aisés (cf. point 2.2.1). Les variables descriptives des IRIS sont les mêmes que celles utilisées dans le modèle de localisation des établissements, avec une caractéri- sation de la proximité de la population, des emplois et des réseaux de transports, ainsi que le temps d’accès au centre et le prix de l’immobi- lier. Les variables caractéristiques des ménages sont ensuite introdui- tes dans le modèle en construisant des effets croisés avec des caracté- ristiques des IRIS. Par exemple, les variables de profil du ménage comme l’âge de la personne de référence ou le revenu sont croisées avec des variables indiquant le pourcentage des ménages du même type dans l’IRIS concerné, afin d’évaluer le degré de mixité sociale ou, au contraire, de ségrégation dans le territoire de l’aire urbaine.

Dans le premier modèle retenu, tous les coefficients sont significa- tifs et le pseudo-R2de McFadden est de 0,40, ce qui indique un pouvoir explicatif important des variables introduites. Les coefficients corres- pondants aux termes d’interaction entre les caractéristiques des ména- ges (âge de la personne de référence, revenu et nombre de personnes) et les pourcentages des ménages ayant les mêmes caractéristiques dans l’IRIS choisi montrent que, en général, les ménages ont tendance à se localiser dans une zone où il y a plus de ménages du même profil. Les ménages à bas revenu et les ménages de taille élevée (avec des coeffi- cients négatifs) font exception. Ils se localisent plutôt dans des zones où il y a moins de ménages résidents ayant le même niveau de revenu et respectivement de taille (en fait, il s’agit de ménages dont le niveau de vie est plutôt réduit, et il n’y a aucun intérêt pour ces ménages à

s’installer dans des zones où habitent majoritairement des ménages ayant le même profil). Le signe du coefficient du prix immobilier au m2

(apparemment contre-intuitif, et par ailleurs très faible) traduit une relation positive entre le niveau de cette variable et la probabilité d’un ménage de se localiser dans une zone caractérisée par ce niveau du prix. L’explication peut résider dans le fait que le prix capitalise les externalités de la zone, qui peuvent être déterminées par des caracté- ristiques non introduites dans le modèle. Nous trouvons ici un résultat similaire à celui du projet SIMAURIF (Chapitre 3), qui a également estimé un coefficient positif pour le prix immobilier dans son modèle de localisation des ménages (De Palma, 2005).

Par rapport aux variables d’accessibilité, le fait que tous les coeffi- cients soient significatifs montre que cette composante joue un rôle important dans les décisions de localisation résidentielle des ménages, et confirme l’hypothèse de l’existence d’un impact des transports sur l’urbanisation. Le signe positif des coefficients pour les variables acces- sibilité gravitaire aux emplois, accessibilité gravitaire aux établisse- ments secondaires, accessibilité gravitaire aux grands commerces, nombre d’échangeurs accessibles en moins de 15 minutes et nombre de stations de métro à moins de 1000 m exprime le fait que l’utilité pour les ménages de se localiser dans un IRIS augmente quand l’accessibi- lité correspondant à ces opportunités est élevée. Les signes des coeffi- cients pour les autres variables d’accessibilité sont à prendre avec précaution, car les corrélations qui existent entre les variables explica- tives d’accessibilité rendent difficile leur interprétation.

Pour traiter les problèmes de corrélation entre les variables d’accessibilité, nous avons synthétisé l’information en construisant un indicateur d’accessibilité agrégé. Une Analyse en composantes princi- pales (ACP) a fourni un premier axe qui reprend presque toute l’infor- mation des neuf variables initiales avec 85 % de la variance globale expliquée. L’indicateur synthétique ainsi obtenu a été calculé pour chaque zone et le modèle a été réestimé en ne conservant que les variables dont la significativité (p-value) est supérieure à 5 %. L’intro- duction dans le modèle de l’indicateur synthétique d’accessibilité à la place des variables considérées antérieurement entraîne une légère baisse du pseudo-R2, qui est maintenant de 0,33. On voit alors apparaî- tre clairement la relation positive entre l’accessibilité globale d’une zone et l’utilité retirée par les ménages de se localiser dans cette zone. Les autres constats restent les mêmes que dans le cas précédent (Figure 6).

CONCLUSION ET PROLONGEMENTS:RENFORCER L’ANALYSE