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Localiser les activités économiques

Jean-Pierre Nicolas

TRANSPORTS / URBANISME

3. U RBANISME : LA LOCALISATION DES MÉNAGES ET DES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES

3.3. Localiser les activités économiques

URBANSIM propose par défaut une modélisation des emplois et de leur localisation. Compte tenu de l’organisation générale de SIMBAD, et notamment de la prise en compte des échanges inter-

entreprises via l’intégration de FRETURB, il est apparu approprié de s’intéresser directement aux établissements qui contiennent ces emplois. En effet, ce sont eux qui génèrent les mouvements de mar- chandises pris en compte par ce modèle. Disposant des deux derniers fichiers SIRENE de 1999 et 2005 au niveau fin de l’IRIS (Caubel, 2006), il est possible d’intégrer des chiffres d’emplois de manière détaillée spatialement et par secteur d’activité. Un premier travail avait déjà souligné la diversité des logiques de localisation des établis- sements dans l’aire urbaine de Lyon (Gossmann, 2006). Il avait été repris en intégrant les logiques de modélisation d’URBANSIM (Bou- vard, 2008) et un bilan global a pu être proposé dans Nicolas et al. (2008a).

3.3.1. Les facteurs explicatifs de la mobilité et de la localisation des établissements

Les entreprises décident de déménager essentiellement pour des raisons internes. En effet, la décision est surtout prise à la suite de modifications de l’activité (hausse, baisse, restructuration, etc.). A bien des égards, le transfert d’un établissement, total ou partiel, peut être considéré comme la mesure d’adaptation ultime de l’entreprise (Fischer, 1994). Autrement dit, un transfert étant toujours très coû- teux, l’entreprise n’y recourt qu’une fois épuisées les possibilités d’adaptation sur place. Ce recours le plus tardif possible permet en partie de comprendre l’apparente inertie spatiale des établissements. En France, leur taux de transfert annuel est en moyenne de 4,6 % pour les années 1989-1996 (Delisle et Laine, 1998), ce qui correspond également à la moyenne observée sur la région urbaine de Lyon (Battu et Vialette, 2005). Ce taux de mobilité d’un établissement varie sensiblement suivant ses caractéristiques et quatre facteurs détermi- nants ressortent (Battu et Vialette, 2005 ; Jourdan, 2004 ; Merenne- Schoumaker, 2003) : le secteur d’activité, la taille, l’âge et le type d’entreprise à laquelle appartient l’établissement.

Concernant les logiques de localisation, l’approche théorique clas- sique met en avant deux facteurs importants (Ponsard, 1988 ; Fujita et Thisse, 2003). D’une part les localisations résultent d’un arbitrage entre coûts d’accès au centre et prix du foncier (les transports et l’efficacité des réseaux jouent ici un rôle de premier plan). D’autre part, ce premier modèle se complexifie en considérant que de nom- breuses entreprises ont avantage à se localiser à proximité les unes des autres, soit en se situant près d’entreprises similaires (externalités de localisation), soit en profitant d’une diversité sectorielle de leur terri- toire (externalité d’urbanisation).

Certains travaux empiriques (Merenne-Schoumacker, 1991, 2003 ; Aguilera et al., 1999) font ressortir par ailleurs que dans l’industrie comme dans les services, les localisations sont influencées par les caractéristiques tout à la fois des établissements et des territoires. Parmi les caractéristiques des établissements, on retrouve les mêmes facteurs que ceux qui jouent sur les logiques de transferts : le secteur d’activité (qui conduit à des recherches différenciées en matière d’externalités d’agglomération), la taille (avec une contrainte crois- sante liée au besoin d’espace) et le type d’entreprise à laquelle appar- tient l’établissement (du fait des logiques d’entreprise qui dépassent celles de l’établissement). Parmi les caractéristiques des territoires, le marché de l’emploi joue un rôle sensible du fait des besoins en main- d’œuvre des entreprises. Les infrastructures de transport et l’accessibi- lité sont importantes. Elles peuvent par exemple se traduire par un meilleur acheminement des produits pour l’industrie ou une augmen- tation de fréquentation pour les services. Pour l’industrie comme les services, les économies d’agglomération jouent un rôle significatif (Million, 2004).

Plusieurs bases de données ont été utilisées pour tenter de qualifier les établissements et le territoire de l’aire urbaine et rendre compte de ces différents facteurs explicatifs. Concernant les établissements, le fichier SIRENE de l’aire urbaine de Lyon de 1999 a servi de base de travail, complété par le Répertoire des Entreprises et des Etablisse- ments (REE) pour disposer des établissements installés dans l’année en 1998, 1999 et 2000 (venant de l’aire urbaine ou de l’extérieur) pour évaluer les taux de transferts. Ce dernier fichier ne recense que les établissements de type Industrie, Commerce, Services, excluant ainsi les classes « Administration, associations » et « Agriculture ». Au final, pour travailler sur la mobilité et la localisation des établissements, une classification en 17 secteurs a été retenue, réalisée à partir de regrou- pements au sein des Nomenclatures économiques de synthèse (NES) en 16 et 36 secteurs de l’INSEE (cf. Tableau 6 en annexe). Elle a servi à caractériser les 100 506 établissements de l’aire urbaine de Lyon recen- sés dans le fichier SIRENE, et le REE a permis de déterminer le taux de transfert d’environ 80 000 d’entre eux. La taille des établissements a également été privilégiée comme variable explicative commune, et le découpage suivant a été retenu, en fonction du nombre d’effectifs salariés : 0 salarié, 1 à 9 salariés, 10 à 19, 20 à 49, 50 à 249, 250 à 499, 500 salariés et plus, même si cette dernière classe n’a pas servi dans les calages des modèles faute d’effectifs suffisants.

Des variables descriptives des territoires ont également été rete- nues et testées pour la modélisation des localisations. Les données

INSEE de population (RGP) et d’établissements (fichier SIRENE) ont servi de base pour qualifier chaque IRIS, et les temps d’accès entre zones calculés par DAVISUM dans SIMBAD ont complété ces pre- mières informations en permettant d’estimer des indicateurs d’accessi- bilité plus complexes. Cette accessibilité, qui constitue l’élément pivot entre le modèle de transport et le modèle d’urbanisme, a été traduite sous diverses formes. Des accessibilités isochroniques ont été établies, avec un nombre d’opportunités (population, emplois, établissements, etc.) contenues dans un temps donné à partir de l’IRIS considéré. Des accessibilités gravitaires ont également été calculées, avec une forme simple de type :

AOi= R

777

j = 1 Oj/ tpsij

avec : AOi l’accessibilité à un type d’opportunités (population,

emplois, etc.) de l’IRIS i ; Ojle nombre d’opportunités contenues dans

l’IRIS j et tpsijle temps d’accès entre les IRIS i et j.

L’accès au centre, indicateur plus simple du modèle monocentri- que, a été estimé par le temps d’accès à la préfecture en heure de pointe (le temps d’accès en heure creuse et la distance ont également été testés, mais avec de moins bons résultats). Enfin, le prix de l’immo- bilier a été estimé à partir des données exhaustives fournies par l’Observatoire des transactions immobilières et foncières (OTIF) sur le territoire du Grand Lyon en 1999 et complétées par le fichier Mar- ché immobilier des notaires (MIN) pour le reste de l’aire urbaine. Cette variable a fait par ailleurs l’objet du développement d’un module particulier (Nicolas et al., 2009).

3.3.2. Des résultats de modélisation encourageants

Concernant les probabilités de transfert utilisées dans SIMBAD, seules les variables apparaissant les plus déterminantes dans la déci- sion de mobilité ont finalement été retenues, à savoir le secteur d’acti- vité et la taille de l’établissement. L’âge de l’établissement n’a pas été repris car une fois croisé avec les autres variables, son impact apparaît beaucoup moins important, même s’il reste significatif. La taille de l’entreprise à laquelle l’établissement appartient ne pouvait quant à elle pas être retenue, faute d’un effectif statistique suffisant. La mobi- lité est maximale pour les établissements appartenant au secteur des services aux entreprises et qui n’ont pas de salariés (8%). Globale- ment, quel que soit le secteur d’activité considéré, le taux de transfert diminue lorsque la taille de l’établissement augmente. Enfin, les proba- bilités des grands établissements de plus de 250 salariés n’ont pas pu être calculées car les effectifs concernés étaient trop faibles. Ils restent

donc immobiles dans SIMBAD, sauf à être déplacés « manuellement » en cas de transfert anticipé par l’utilisateur.

Le type de modélisation adopté pour représenter la probabilité de choix d’un IRIS pour un établissement donné est le Logit multinomial proposé dans URBANSIM. L’information de base qui a été utilisée pour établir ces probabilités est le nombre d’établissements d’un type donné (secteur x taille) dans chaque IRIS de l’aire urbaine.

Cependant, avant de passer à cette modélisation, nous avons cher- ché à affiner les logiques de localisation liées aux économies d’agglo- mération en cherchant à voir quels types d’établissements s’attiraient ou se repoussaient entre eux. Ceci a permis de qualifier les IRIS de manière plus synthétique, en fonction des grands types d’activités qu’ils abritent ou qui se trouvent à proximité. Ainsi, une première matrice des corrélations a été construite pour observer les relations entre les nombres d’établissements de chaque secteur d’activité dans chaque IRIS. Elle donne ainsi une mesure de la proximité spatiale des établissements. Trois groupes ont été créés en associant les secteurs qui ont des corrélations proches. Un premier groupe reprend à peu de choses près les secteurs des services définis au sens large, correspon- dant aux commerces, à l’administration, aux activités financières et immobilières, aux services aux entreprises et aux particuliers, à l’édu- cation, à la santé et à l’action sociale. Un second groupe est composé des secteurs industriels, auxquels s’ajoutent les secteurs « commerces et réparation automobile » et « commerce de gros intermédiaire » qui n’ont pas la même logique de localisation que le secteur « commerce de détail » classé dans le groupe 1. S’y ajoutent également les secteurs de la « construction » et des « transports » qui apparaissent bien corré- lés. Enfin, restent trois secteurs obéissant à des logiques indépendan- tes ; ils ont de faibles effectifs, sont plus concentrés et peu corrélés avec les autres secteurs : l’« énergie », l’« industrie automobile » et l’« agri- culture ».

Plusieurs modèles de localisation des établissements ont dès lors pu être estimés. D’une part, l’effet du secteur d’activité sur la localisation des établissements a été exploré. L’effet taille a également été pris en compte, pour voir si la contrainte qu’elle impose aux grandes entrepri- ses n’est pas plus importante que les caractéristiques sectorielles pro- prement dites. Par ailleurs, différents indicateurs d’accessibilité ont été testés, calculés en heures creuses et en heures de pointe. Au final, nous avons réalisé 17 modèles différents selon les secteurs d’activités pour les établissements de taille inférieure à 50 salariés. Deux modèles supplémentaires ont été créés pour les établissements entre 50 et 249 salariés et pour ceux de plus de 250 salariés.

Les résultats obtenus en distinguant les établissements selon leur secteur d’activité sont très satisfaisants. Outre les coefficients globaux exposés ci-dessous, les coefficients des variables finalement retenues varient de manière homogène entre les secteurs et dans le sens que laissait pressentir la revue bibliographique :

– Les résultats sont excellents pour les secteurs du groupe 1, avec des pseudo-R2de Mac Fadden variant entre 0,52 (administrations) et 0,64 (activités immobilières et financières). Seul le secteur des indus- tries agricoles et alimentaires donne des résultats relativement moins bons (0,32). Ce secteur apparaissait déjà en frontière du groupe dans la matrice des corrélations initiale. Son interaction spatiale, relative mais réelle, avec le secteur agricole qui, lui, est resté très mal pris en compte, fournit une piste d’explication ;

– Les résultats sont corrects pour les secteurs du groupe 2, tournés vers les productions intermédiaires. Ainsi les pseudo-R2varient dans ce groupe entre 0,29 (construction) et 0,51 (commerce de gros intermé- diaire) ;

– Les résultats apparaissent beaucoup plus différenciés pour les secteurs restants, qui sont très hétérogènes : corrects pour l’énergie (pseudo-R2 de 0,36), juste passables pour l’industrie automobile

(0,22). Ils sont mauvais pour le secteur agricole, que les variables retenues ne représentent pas du tout13;

– Le lien entre localisation et taille des établissements a également apporté des résultats très satisfaisants. Les pseudo-R2varient de 0,43

pour les plus petites sociétés sans aucun salarié, jusqu’à 0,59 pour les grandes entreprises de plus de 250 salariés. Cette progression de la qualité des pseudo-R2 souligne la contrainte spatiale forte que connaissent les plus grands établissements pour lesquels le poids de la taille finit par l’emporter sur le poids du secteur dans les logiques de localisation.