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118 3.5 Limitations des données de génotypage

Malgré toutes les possibilités qu’offrent les données de génotypage, les programmes de lutte contre la tuberculose doivent également comprendre leurs limites avant d’utiliser ces données pour détecter des flambées épidémiques.

Premièrement, les épidémiologistes doivent garder en tête que les différentes méthodes de génotypage (la RFLP, la MIRU-VNTR, le spoligotypage et le séquençage haut débit) affichent différents indices de discrimination. Cela signifie que chaque méthode différencie les génotypes selon des caractéristiques qui lui sont propres. Si le pouvoir de discrimination d’une méthode n’est pas assez élevé, des cas se retrouveront à tort dans une même grappe et ne reflèteront pas une transmission réelle.

Deuxièmement, les épidémiologistes doivent se rappeler que même lorsqu’on utilise des méthodes dont le pouvoir de discrimination est élevé pour différencier des génotypes, un regroupement basé sur les génotypes n’est pas toujours représentatif de la transmission. Des souches communes circulant au sein d’une population ou des réactivations simultanées de tuberculose latente sont deux exemples de cas pouvant se retrouver dans une même grappe sanspour autant être le produit d’une transmission récente. Cela peut en particulier poser un problème dans les milieux où l’incidence de la tuberculose est élevée. En Afrique du Sud, par exemple, les souches de tuberculose de la famille Beijing sont endémiques et circulent de façon diffuse. Cela signifie que la plupart des méthodes de génotypage ne seront pas assez discriminantes à elles seules pour détecter une véritable transmission de la tuberculose (9). En outre, dans les pays de faible incidence, où la majorité des cas de tuberculose a pour origine des souches importées de pays fortement touchés, de très grandes grappes moléculaires peuvent refléter la transmission de souches communes à l’étranger. Par conséquent, il est toujours crucial que les épidémiologistes obtiennent des informations épidémiologiques comme le moment où la maladie est survenue, les endroits fréquentés et les facteurs de risques sociaux et démographiques afin de connaître la cause probable de la transmission et ce, tant dans les contextesfortement que faiblement touchés par la tuberculose. À ce titre, la qualité des données épidémiologiques est extrêmement importante dans toute analyse utilisant des données de génotypage. Des données manquantes ou erronées peuvent mener à des liens manquants ou erronés entre les cas et les milieux, ce qui peut entraîner une absence de diagnostic ou un diagnostic tardif d’autres cas de tuberculose liés à l’épidémie. Le programme de lutte contre la tuberculose devrait donc s’efforcer de réduire au minimum le nombre de données manquantes pour les variables clés et s’assurer que des procédures d’assurance de la qualité des données sont mises en place.f

f Exemple : ArcGIS (http://www.esri.com/software/arcgis/)

Utilisation des données de génotypage poUr l’investigation des flambées épidémiqUes

Enfin, bien souvent, le biais d’échantillonnage est inévitable. Le biais d’échantillonnage 119

survient lorsque l’échantillon de population ne constitue pas un groupe représentatif de la population censée être étudiée. Le génotypage dépend de l’obtention d’une culture, et les cas non confirmés par culture sont donc exclus des grappes de génotype (8). Cela signifie que certains cas de tuberculose seront classés à tort comme des cas présentant un génotype de tuberculose unique et que l’on passera à côté de cas de tuberculose appartenant à une flambée épidémique. Ce phénomène a pour résultat une sous-estimation de la transmission. Le biais d’échantillonnage peut représenter un obstacle particulier dans les pays qui ne procèdent pas au génotypage universel de tous les isolats ou dans les pays où il y a une proportion élevée de cas impliquant des migrants pouvant quitter le pays avant que le diagnostic ne soit posé. Dans de tels cas, de nombreuses souches peuvent être classées à tort comme étant uniques, ce qui entrave la détection des grappes et des signes de transmission. Il est également important de reconnaître cette limitation dans les études où une période de temps est définie, car il se peut que le génotypage d’isolats provenant de cas diagnostiqués avant ou après la période couverte par l’étude n’ait pas eu lieu.

Cela peut également conduire les scientifiques à commettre des erreurs de classement, en catégorisant des grappes comme étant petites ou à croissance lente si les derniers cas d’une grappe contrôlée sont détectés au début de la période d’étude ou si les premiers cas d’une grappe apparaissent à la fin de la période d’étude.

3.6 Considérations particulières pour le génotypage dans les zones de forte endémie pour la tuberculose

Actuellement, le génotypage de la tuberculose se fait généralement de façon systématique dans les pays où la charge de la maladie est faible, ce qui fait que les meilleures pratiques en matière d’exploitation des données de génotypage dans les milieux fortement touchés par la tuberculose restent encore à définir. Bien que les principes du génotypage soient les mêmes d’un milieu à l’autre, des différences subsistent dans l’application par les épidémiologistes du génotypage à des fins de santé publique dans des milieux fortement touchés. Il existe en particulier des restrictions spécifiques pour l’utilisation des données de génotypage dans les zones où les taux de transmission de la tuberculose sont élevés.

Les PNLT ne pourront peut-être pas toujours utiliser le génotypage ; il se peut également quecette technologie ne soit pas indiquée pour les enquêtes de fond sur les grappes dans les milieux à forte prévalence par rapport aux milieux faiblement touchés par la tuberculose. Bien souvent, cela est dû au fait que les enquêtes sur les flambées nécessitent des ressources importantes et que ces ressources, ainsi que le personnel nécessaire, ne sont pas toujours disponibles. Plus précisément, dans les pays où les taux de transmission sont élevés, le risque d’acquisition de la maladie au sein de la communauté est élevé, ce qui

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120 rend extrêmement difficile l’identification d’environnements de transmission spécifiques permettant d’effectuer des dépistages et de mener des interventions de santé publique de façon ciblée. Cela est plus difficile encore si le nombre de souches en circulation au sein de la population est limité (9).

Dans les pays fortement touchés par la tuberculose, les PNLT peuvent utiliser le génotypage dans le cadre d’une enquête sur une flambée déjà en cours, pour confirmer ou écarter la transmission, plutôt que de l’utiliser de façon prospective pour détecter toutes les grappes et les étudier. Par exemple, si des cas de tuberculose sont identifiés dans une école et qu’un test de dépistage identifie ensuite d’autres cas actifs, le génotypage peut confirmer l’inclusion des enfants dans une chaîne de transmission, ce qui donnerait lieu à une recherche étendue des contacts dans ce milieu. Si les enfants ne partagent pas la même souche, alors il n’y a pas eu de transmission et moins de ressources auront besoin d’être déployées pour l’enquête. Le génotypage peut également être utilisé dans des sous-groupes ou à un deuxième niveau de milieu précis pour comprendre l’épidémiologie locale de tuberculose, ce qui peut contribuer à améliorer la lutte contre la tuberculose.

Des études au Brésil et Éthiopie ont par exemple montré que le génotypage dans des sous-groupes (par exemple les enfants) ou à un deuxième niveau de milieu (par exemple dans une seule zone géographique) permettait d’avoir une meilleure compréhension de l’épidémie locale de tuberculose et du programme de lutte (2–5).

Si le PNLT décide d’utiliser le génotypage de façon prospective, il devrait chercher à détecter les flambées prioritaires, lorsque les souches sont associées à de mauvais résultats thérapeutiques, comme des souches de TB-MR ou de tuberculose UR, des souches menant à des taux de mortalité élevés ou des souches plus virulentes. Pour détecter ces flambées, un répertoire de données de référence montrant les liens entre les souches en circulation et la géographie est un outil des plus utiles. Le PNLT peut ensuite suivre l’évolution du nombre de cas avec des souches particulières dans le cadre de la surveillance en routine.

Les programmes peuvent utiliser les outils décrits précédemment dans ce chapitre pour visualiser des tendances dans le temps et dans l’espace et pour mettre en évidence des augmentations inattendues du nombre de cas. Une approche plus large en matière de dépistage communautaire, en se basant sur les données géographiques ou les « points chauds » pour la tuberculose, peut se révéler plus efficace pour détecter d’autres cas actifs et réduire la propagation que de chercher à rassembler des informations pour mener une étude de grappe, ce qui exige beaucoup de ressources et ne permettra sans doute pas de détecter plus de cas secondaires actifs.

Utilisation des données de génotypage poUr l’investigation des flambées épidémiqUes

3.7 Conclusion: utilisation des données de génotypage pour la santé

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publique

Malgré les limites des données de génotypage, elles permettent de mieux comprendre, et ce de façon révolutionnaire, les épidémies à l’échelon local dans les milieux fortement et faiblement touchés par la tuberculose. En étudiant les génotypes de la tuberculose circulant au sein d’une population au fil du temps, les génotypes les plus courants ou les plus endémiques peuvent être identifiés. Cette information peut être utilisée pour définir des niveaux de transmission de référence pour chaque génotype en calculant un nombre moyen de cas par mois ou par trimestre. Lorsqu’un nombre excessif de cas de tuberculose avec un génotype spécifique est dépisté par rapport aux données de référence, une augmentation de la transmission peut être détectée. De plus, en combinant les données de génotypage avec les données épidémiologiques, un programme de lutte contre la tuberculose peut plus facilement se représenter la transmission de la tuberculose au sein de ses communautés, permettant aux responsables de la santé publique de cibler les populations à haut risque au travers d’interventions.

Les caractéristiques des cas de tuberculose peuvent également être résumées pour chaque génotype et utilisées pour élaborer des stratégies ciblées de lutte contre la tuberculose. Le succès de ces stratégies peut ensuite être évalué en surveillant la diminution du nombre de cas au sein d’une grappe de même génotype. Enfin, un répertoire des génotypes peut s’avérer judicieux pour détecter les nouveaux génotypes émergeant au sein de la population suite à une transmission récente de cas importés ou de réactivations. Vu les informations que les données de génotypage peuvent fournir dans le cadre d’une analyse, lorsqu’elles sont utilisées correctement, ces données représentent un atout formidable pour la santé publique, en permettant d’améliorer grandement la prévention de la tuberculose et la lutte contre cette maladie.

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Références

1. Luiz, R, et al. Genotyping and drug resistance patterns of Mycobacterium tuberculosis strains observed in a tuberculosis high-burden municipality in Northeast, Brazil. The Brazilian Journal of Infectious Disease.

2013;17(3):338–345.

2. Esmael A, et al. Genotyping and Drug Resistance Patterns of M. tuberculosis in Eastern Amhara region, Ethiopia. JBR Journal of Clinical Diagnosis and Research. 2014. 2:102. doi: JCDR-1000102.

3. Mihret, A, et al. Modern lineages of Mycobacterium tuberculosis in Addis Ababa,Ethiopia: implications for the tuberculosis control programme. African Health Sciences. 2012; 12(3): 339–344

4. Workalemahu, B, et al. Genotype diversity of Mycobacterium isolates from children in Jimma, Ethiopia.

BMC Research Notes. 2013, 6:352. doi:10.1186/1756-0500-6-352.

5. Smittipat N, Palittapongarnpim P. Identification of possible loci of variable number of tandem repeats in Mycobacterium tuberculosis. Tuberculosis and Lung Disease. 2000;80(2):69–74

6. Pedrazzoli D et al. Tuberculosis in the UK: 2013 report. London: Public Health England; 2013.

7. Murray M. Determinants of cluster distribution in the molecular epidemiology of tuberculosis. Proceedings of the National Academy of Science USA. 2002;99(3):1538–1543.

8. Cowley D, Govender D, February B, Wolfe M, Steyn L, Evans J et al. Recent and rapid emergence of W-Beijing strains of Mycobacterium tuberculosis in Cape Town, South Africa. Clin Infect Dis 2008;

47(10):1252–1259.

9. Cowley D, Govender D, February B, Wolfe M, Steyn L, Evans J et al. Recent and rapid emergence of W-Beijing strains of Mycobacterium tuberculosis in Cape Town, South Africa. Clin Infect Dis 2008;

47(10):1252–1259.

Public cible:

(1) Les épidémiologistes, les statisticiens et les personnes responsables du suivi et de l’évaluation.

(2) Les membres du personnel des PNLT souhaitant s’informer sur les facteurs épidémiologiques de la tuberculose et apprendre à utiliser ces informations dans le cadre de leur programme.

Résultats escomptés:

Après avoir lu ce chapitre, le lecteur devrait être en mesure:

• connaître l’objectif et le déroulement des études écologiques.

• comprendre pourquoi les tendances en matière de notification de cas de tuberculose sont utilisées comme indicateur imparfait de l’incidence de la tuberculose.

• procéder à l’examen critique de tracés de séries

chronologiques de données programmatiques, sanitaires et macroéconomiques dans le temps par rapport à des séries de notifications des cas de tuberculose.

• être capable de déterminer de façon plausible par interpolation de différentes données dans quelle mesure les tendances en matière de notification des cas reflètent de réels changements dans l’incidence de la tuberculose.

Auteurs:

Charalambos Sismanidis, Ellen M.H. Mitchell, Emily Bloss, Philippe Glaziou

Chapitre 4

Analyse des factors épidémiologiques de la