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Lien entre la théorie de la reconnaissance et la pratique du service social 38

Chapitre  3   : Le cadre théorique 31

3.1   Théorie de la reconnaissance 31

3.1.5   Lien entre la théorie de la reconnaissance et la pratique du service social 38

En lien avec la critique à l’égard de la théorie de la reconnaissance, c’est-à-dire qu’Honneth mettrait trop d’emphase sur les relations primaires, qui sont considérées comme les plus importantes pour créer la reconnaissance dans les autres sphères, et l’enjeu de la relation entre les jeunes aidants et les services formels, comme nous l’avons décrit dans les chapitres précédents, nous sommes d’avis qu’il est ainsi nécessaire d’établir un lien plus étroit entre la théorie de la reconnaissance et la pratique du service social pour nous aider à ne pas restreindre notre analyse en qui a trait aux relations primaires, mais également pour mieux répondre à notre question de recherche.

Lorsque les jeunes sont identifiés comme étant des aidants, les interventions ciblent davantage les conséquences du rôle d’aidant au détriment des besoins des jeunes résultant de la nature de leurs difficultés (Becker, 1995 ; Aldridge et Becker, 1993). De surcroît, les jeunes ne sont pas inclus dans la discussion et dans la prise de décision, car les professionnels les croient trop jeunes pour y être impliqués (Underdown, 2002). Il devient ainsi évident que la pratique du service social doit porter une attention particulière à la réalité des jeunes aidants. Houston et Dolan (2008) soulèvent qu’il est nécessaire de prendre en considération la manière dont la théorie de la reconnaissance peut contribuer à renforcer le soutien social dans le but de contribuer au développement d’un modèle pour une pratique réflexive en service social. À travers les différentes formes du soutien social (instrumental, émotionnel, informationnel et appartenance/soutien d’estime) qui sont prodiguées par les liens sociaux, la reconnaissance peut se réaliser.

Concernant la première forme de reconnaissance (amour), le soutien émotionnel est la base pour que les individus se tournent vers l’autrui quand ils ont besoin d’aide. Donc, dans l’intervention sociale, il faut mettre l’accent sur un soutien émotionnel afin de créer cette base qui permette aux individus en difficulté de développer la confiance en soi (Houston et Dolan, 2008). En ce sens, nous avons déjà décrit que plusieurs jeunes font face à des réactions de pitié de la part des professionnels, ce qui augmente leur résistance à demander de l’aide. Ils

préfèrent ainsi cacher leur situation devant autrui et rester seuls plutôt que de faire face à ces réactions (Tarapdar, 2007). Donc, en s’intéressant au vécu de la personne et en reconnaissant ses émotions, il s’agit alors d’une première forme de réalisation de la reconnaissance.

Mais non seulement le soutien émotionnel doit être prodigué dans l’intervention, car il y a également la nécessité, selon la deuxième forme de reconnaissance (droit) en lien avec la pratique du service social, qu’un soutien instrumental et informationnel doit être apporté par les services formels afin de pouvoir se sentir comme une personne à part entier. En outre, Houston et Dolan (2008) démontrent que les individus en difficulté valorisent le fait d’avoir le droit de participer dans la planification et dans l’offre des services, ce qui augmente leur respect de soi et leur procure de fait une source de satisfaction. Par conséquent, pour le service social, il est évident que la participation des individus doit être un des objectifs de toute intervention. Des exemples pour la réalisation de cet aspect nous proviennent du Royaume- Uni on trouve une multitude de services pour les jeunes. Des centaines de Young Carers Projects aident les jeunes à développer un sentiment d’appartenance ayant la possibilité de créer des liens, non seulement pour recevoir de l’aide, mais aussi pour apporter leur aide à d’autres jeunes qui vivent des situations semblables. Pour ce qui est la réalité des jeunes aidants dans notre contexte québécois où le phénomène est encore peu compris, il devient ainsi évident qu’il faut s’intéresser à la perception et à la pratique des intervenants qui entourent la famille pour mieux comprendre dans quelle mesure la réalisation de ces formes de reconnaissance sont possible et les effets sur la façon dont les jeunes s’identifient à leur rôle d’aidant.

Par rapport à la solidarité (3e forme de reconnaissance), il faut rétablir les liens entre les systèmes (famille, école, travail, communauté, etc.) en promouvant l’appartenance/le soutien d’estime. La solidarité peut se développer seulement lorsque les relations sont durables. Des interventions communautaires peuvent ainsi renforcer les liens entre les gens pour renforcer cette solidarité. Pour Honneth, le sens communautaire est équivalent à l’estime de soi, car l’individu se sent reconnu dans sa valeur personnelle, et sa contribution est reconnue socialement, ce qui combat l’exclusion sociale (Houston et Dolan, 2008). Les auteurs décrivent ainsi comment la théorie d’Honneth, en lien avec le soutien social, nous aide à ne pas seulement offrir du soutien, mais aussi pour assurer une justice sociale. Par contre, comme

mentionné auparavant, il est encore difficile d’identifier les jeunes qui sont des aidants dans notre contexte québécois, et en conséquence, nous connaissons encore mal les effets de ce rôle sur leur trajectoire personnelle. C’est ainsi pour cette raison que nous partons de l’interrogation sur la façon dont cette réalité est vécue par les adolescents et dont elle est perçue et interprétée par les intervenants de différents milieux de pratique pour mieux comprendre la place du soutien social par rapport à ce phénomène.

L’importance du soutien social est également démontrée par Truchon (2009). Dans sa thèse, il étudie le rôle du soutien social dans le processus menant à l’hébergement des aînés en perte d’autonomie. Même si son objet de recherche, c’est-à-dire la transition vers un milieu de vie substitut pour les personnes âgées, s’éloigne de notre objet de recherche, ses résultats en ce qui concerne le soutien social sont intéressants en lien avec notre question. Truchon (2009) identifie deux modèles de soutien. Le modèle de soutien « valorisé » inclut que la personne peut compter sur des sources de soutien variées, se sentir proche des personnes significatives, se sentir aimée, avoir des liens de confiance, se sentir respectée, comprise et appuyée dans ses choix, bénéficier du soutien des professionnels afin de recevoir des services et des conseils, et se confier. « Ces échanges [avec une travailleuse sociale] furent également appréciés parce qu’ils aidaient à apaiser les craintes, à garder son calme, à diminuer le stress, à être en paix avec ce que l’on était en train de vivre » (Truchon, 2009 : 199). De plus, le soutien est valorisé lorsque les échanges sont désirés par l’un et l’autre, c’est-à-dire dans un esprit de réciprocité.

Par ailleurs, le modèle de soutien « peu valorisé » fait, entre autres, référence à la peur de déranger ses proches, à des rapports plutôt difficiles avec les intervenants ou à un sentiment d’être surprotégé. « Parfois, le soutien n’était pas valorisé en raison du rôle décisionnel ou de leader joué par les intervenants professionnels qui n’était pas tellement apprécié […] » (Truchon, 2009 : 201). Dans ce même sens, Pakenham et coll. (2007) soulèvent que pour les jeunes aidants, le soutien social représente la ressource d’adaptation la plus importante. De ce fait, « as expected, greater satisfaction with social support availability was related to higher life satisfaction and positive affect and lower distress » (Pakenham et coll., 2007: 97).

Le modèle de soutien « valorisé » développé par Truchon (2009), qui semble faciliter le vécu dans une situation difficile, et l’importance du soutien social en ce qui concerne

l’adaptation des jeunes aidants, décrite par Pakenham et coll. (2007), soulèvent le fait que les aspects du modèle de soutien « valorisé » sont en lien avec les différentes formes de soutien du service social (soutien émotionnel, instrumental, informationnel et à l’estime), qui elles sont en lien avec les trois formes fondamentales de la reconnaissance (amour, droit et solidarité).

Sur la base de ces liens du soutien social ainsi que de la théorie de la reconnaissance, il est de notre avis que cette théorie représente un outil exploratoire intéressant pour guider notre regard analytique afin de répondre à notre question de recherche et à nos objectifs dans le but mieux comprendre quelle forme de reconnaissance est compromise lorsque nous regardons la réalité des jeunes aidants naturels, ainsi que les conséquences sur leur vie en tant qu’aidants et adolescents.