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Les difficultés auxquelles les jeunes aidants peuvent être confrontés 135

Chapitre  8   : Discussion 133

8.2   Les difficultés auxquelles les jeunes aidants peuvent être confrontés 135

Même si nous commençons à peine à comprendre la réalité des jeunes aidants, nous sommes d’avis que notre recherche, malgré les limites mentionnées préalablement, offre des pistes de réflexion importantes afin de mieux comprendre ce phénomène. Bien qu’une certaine implication des jeunes est valorisée et encouragée comme une sorte d’interdépendance dans les relations familiales « […] and as a beneficial training ground for good citizenship […] » (Warren, 2007 : 136), la nature et le degré d’une telle implication doivent correspondre à l’âge et au stade de développement du jeune. De plus, Aldridge (2008) soulève que même si le parent a accès à divers services, les jeunes continuent dans leur rôle d’aidant et cela, par un sentiment d’amour, d’obligation ou d’interdépendance dans la relation parent-enfant. Nous

avons pu faire ressortir les mêmes raisons pour adopter le rôle d’aidant, et ce sur la base des entrevues avec les adolescents et les intervenants.

Les jeunes sont ainsi très impliqués dans la prise en charge d’un parent malade, mais les tâches et les rôles ne sont pas toujours adaptés à leur âge (Earley et Cushway, 2002), ce qui peut compromettre leur développement psycho-social (Sieh et coll., 2010 ; Davey et coll., 2005 ; Pedersen et Revenson, 2005). La littérature disponible décrit, entre autres, la possibilité de développer des problèmes intériorisés. En lien avec leur développement émotionnel, beaucoup de jeunes aidants ressentent de la colère, de la tristesse, de l’anxiété, du stress, de la frustration et une certaine culpabilité (Moore et McArthur, 2007 ; Hunt et coll., 2005 ; Nigel et coll., 2003 ; Banks et coll., 2002). De surcroît, le rôle d’aidant peut interférer avec le processus de socialisation, ce qui peut résulter en un sentiment d’exclusion sociale (Charles, Stainton et Marshall, 2009 ; Moore et McArthur, 2007 ; Hunt et coll., 2005 ; Banks et coll., 2002 ; Underdown, 2002). Par contre, devant ces enjeux, il ne faut pas en négliger un autre qui est présent lorsqu’on s’intéresse aux jeunes aidants : Charles, Stainton et Marshall (2012) décrivent que « le sentiment d’"invisibilité" est l’un des thèmes récurrents pour faire référence à cette période […] » (p. 14). C’est donc plus particulièrement en lien avec l’enjeu de l’invisibilité que notre recherche suggère de nuancer les connaissances que nous avons par rapport aux jeunes aidants, notamment en ce qui concerne les conséquences de leur rôle d’aidant sur leur vie. Est-ce que les difficultés des jeunes aidants proviennent de leur rôle d’aidant, ou davantage de la dimension relationnelle de leur réalité comme aidant ? Notre recherche, en lien avec les trois dynamiques de reconnaissance, suggère que les diverses difficultés auxquelles les jeunes peuvent être confrontées proviennent en grande partie de la dimension relationnelle. La dynamique de la « reconnaissance non-avouée » décrit comment les jeunes aidants peuvent rester enfermés dans la passivité, ce qui les empêche de reconnaître et de manifester leurs émotions et leurs besoins. Cette passivité, qui semble résulter de la « reconnaissance non-avouée », fait ainsi obstacle à une mise en action pour défendre ses besoins. En conséquence, lorsque la littérature soulève les problèmes intériorisés des jeunes, ils ne semblent pas seulement être provoqués par le rôle d’aidant, mais également par une dynamique de « reconnaissance non-avouée ». De plus, la dynamique de la « reconnaissance fragmentée » semble aider les jeunes aidants à reconnaître et à manifester leurs émotions et

leurs besoins. Toutefois, l’impossibilité de défendre l’ensemble de leurs besoins en raison de l’absence d’une prise en considération par l’ensemble des personnes qui les entourent semble conduire à une « action détournée ». Les jeunes aidants pourraient ainsi s’investir dans des actions afin d’augmenter leur valorisation. Ce faisant, ils risquent par contre d’être confrontés à une pression supplémentaire qui s’ajoute à leurs tâches et responsabilités comme jeunes aidants. Alors encore une fois, lorsque la littérature décrit des difficultés résultant du rôle d’aidant comme le stress et l’épuisement (Nigel et coll., 2003), nos résultats suggèrent qu’ils pourraient être, en partie, ancrés dans une « reconnaissance fragmentée », et non pas exclusivement dans les tâches et responsabilité qui ne correspondent pas à leur âge. Enfin, la dynamique de « reconnaissance soutenue » nous a permis de décrire qu’il est possible pour les adolescents de trouver un équilibre dans leur vie. Dans son étude, Tarapdar (2007) soulève que les jeunes ne veulent pas abandonner leur rôle, mais qu’ils demandent de l’aide spécifique pour mieux équilibrer leur vie entre le fait d’être aidant et celui d’être adolescent. Nos résultats vont dans le même sens et soulignent que pour que cela soit possible, la dimension relationnelle joue un rôle central. Il faut certainement permettre aux adolescents de délaisser certaines des responsabilités qui dépassent leurs capacités. Toutefois, la dynamique de la « reconnaissance soutenue » va plus loin et suggère que toutes les personnes impliquées auprès de la famille devraient créer des liens de confiance avec les jeunes aidants pour renforcer la valorisation de leur personne, et également en lien avec leur rôle d’aidant. En conséquence, les jeunes seraient davantage capables de comprendre leur situation et de mettre leurs limites en ce qui concerne leur implication, tout en poursuivant leurs aspirations comme adolescents.

De ce fait, nous sommes d’avis que nos résultats améliorent la compréhension de la réalité des jeunes aidants, notamment en ce qui concerne les conséquences du rôle d’aidant sur leur trajectoire. Confronté à une situation dans laquelle un adolescent adopte le rôle d’aidant, nous devrions nous questionner sur la façon dont nous interprétons les conséquences auxquelles les jeunes font face. Cette réflexion est, d’après nous, importante pour établir des pistes d’action afin d’améliorer les interventions dans le domaine du service social. Par conséquent, lorsque les interventions visent à alléger les tâches et les responsabilités des jeunes aidants, nous risquerions de négliger la dimension relationnelle, qui elle semble également être à la base de

diverses difficultés. Les trois dynamiques de reconnaissance mettent ainsi en évidence que dans l’intervention, l’attention devrait être portée non seulement sur la nature des responsabilités assumées par les jeunes, mais également sur la façon dont le rôle est compris par les personnes entourant les jeunes.

8.3 Une intervention est nécessaire ! Mais comment la réaliser ? Des conceptions