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Chapitre  7   : Au croisement des regards 124

7.1   Les parents : les premiers responsables pour assurer la reconnaissance? 124

7.1.1   La continuité dans les relations affectives 125

Le chapitre précédent nous a permis de soulever la place de la reconnaissance dans les diverses sphères de vie des adolescents ainsi que les divers enjeux qui en résultent en lien avec les trois dynamiques de reconnaissance, tout comme les obstacles et les facteurs facilitants permettant d’arriver à une dynamique de « reconnaissance soutenue ». À l’intérieur de la première forme de reconnaissance (amour) et sur la base de l’analyse des entrevues avec les intervenants, nous avons constaté deux dimensions particulièrement importantes afin de permettre une reconnaissance à ce niveau. Il s’agit de la nécessité d’assurer une continuité dans les relations affectives que les jeunes ont avec leurs pairs, de même que dans la relation parent-enfant. La deuxième dimension concerne plus directement la reconnaissance par les parents du rôle d’aidant et des tâches supplémentaires qui sont assumées par les jeunes.

Pour ce qui est de la continuité dans les relations amicales, nous avons pu décrire que les relations avec des pairs semblent importantes afin de se sentir compris et soutenu, et pour obtenir une approbation et une valorisation de leur part. De ce fait, les intervenants ont mis l’accent sur le rôle que les parents ont à jouer. On nous a mentionné que les parents doivent afficher une ouverture par rapport à leur réalité pour que leurs enfants puissent partager leur vécu avec autrui, ce qui pourrait, par la suite, assurer la continuité dans les relations affectives. Ce rôle des parents se reflète également dans ce que les adolescents nous ont raconté. Tel que décrit dans le chapitre précédent, AN1 et AN4 valorisent beaucoup la compréhension de la

part de leurs amis et le fait qu’ils sont en mesure de partager leur réalité avec eux. AN1 nous a par exemple décrit comment, pour un travail d’école concernant les personnes vivant avec un handicap, il a pu inviter ses amis chez lui pour faire une courte entrevue avec sa mère : « Puis mes amis, ils ont trouvé ça difficile t’sais […] Mais c’est pas, euh, je ne sais pas, ça nuit pas à ma personne, je dirais. Il n’y a pas personne qui va dire : "Bah, ta mère est handicapée, va t’en !" ». Dans ce même sens, AN4 a expliqué que ses amis, lorsqu’ils viennent chez lui, l’aident si son père lui demande de faire des choses dans la maison. Nous constatons donc que l’ouverture des parents est certainement nécessaire pour les jeunes afin qu’ils puissent parler ouvertement de leur réalité, ce qui permet ultimement la continuité dans les relations amicales.

Toutefois, non seulement la continuité dans les relations avec les pairs représente un facteur pour assurer la reconnaissance des jeunes aidants en ce qui concerne l’amour, mais également la continuité dans la relation parent-enfant. La majorité des intervenants a décrit la difficulté pour les parents d’assurer cette continuité, ce qui peut en conséquence faire obstacle à cette première forme de reconnaissance. Lorsque les jeunes font face à l’impossibilité de se lier émotionnellement à l’autre pour recevoir de l’écoute et du soutien, il y a le risque qu’ils se replient sur eux-mêmes en évitant d’aller chercher du soutien de la part de leur parent. Les dynamiques de la « reconnaissance non-avouée » ainsi que de celle « fragmentée » soulèvent ce repli des jeunes. En ce sens, la majorité des intervenants a décrit qu’il est primordial que le parent aux prises avec une condition chronique soit capable d’assumer ses responsabilités pour reprendre son rôle de parent. En conséquence, les interventions visent, dans la majorité des cas, le soutien auprès du parent malade afin qu’il reprenne confiance en ses capacités et en ses compétences parentales. Il est certainement important de souligner que cela dépend du degré d’incapacité entraîné par la maladie, mais la dynamique de la « reconnaissance soutenue », plus particulièrement en ce qui concerne AN4, nous a démontré l’importance de cet aspect. L’adolescent nous a décrit comment ses parents posent des actions pour lui permettre de continuer dans son rôle d’adolescent à travers les années et par leur reconnaissance des tâches supplémentaires qu’il est amené à assumer. Diverses adaptations pallient aux limitations physiques de son père pour que ces dernières n’empêchent pas la continuité de la relation parent-enfant, et il semble qu’AN4 valorise beaucoup la poursuite d’une vie « normale », ce

qui l’aide ultimement à mieux intégrer son rôle d’aidant dans son développement comme adolescent.

Lorsque la continuité de la relation parent-enfant n’est pas assurée, ce manque de soutien peut certainement être renforcé par le fait que le rôle d’aidant n’est pas pris en considération par les parents. Selon plusieurs intervenants, le rôle d’aidant peut être perçu par les parents comme faisant partie de la normalité, et ceux-ci ne reconnaissent pas nécessairement la surcharge de tâches et le changement dans les rôles familiaux, ce qui pourrait empêcher que les jeunes prennent eux-mêmes conscience de leur rôle. La dynamique d’une « reconnaissance soutenue », particulièrement la situation d’AN3, a témoigné de la nécessité que le rôle soit reconnu au sein de la famille pour favoriser un sentiment d’empowerment et ainsi favoriser une bonne compréhension de son rôle et l’établissement de ses limites.

Même si la période de l’adolescence implique une distanciation des jeunes afin de développer leur différenciation et leur autonomie vis-à-vis leur milieu familial, il reste que les rapports avec les parents gardent une importance centrale pour soutenir leurs apprentissages et offrir un cadre pour leur individuation : « La confiance qui régnera entre les deux générations conditionnera dans une large mesure la qualité des rapports qui seront vécus dans les moments plus difficiles » (Cloutier, Drapeau, 2008 : 172). En conséquence, il est important de développer une relation basée sur la réciprocité ainsi que sur la coopération (Cloutier, Drapeau, 2008). En ce qui concerne les adolescents qui sont des jeunes aidants, nous constatons que non seulement les intervenants, mais aussi les jeunes mettent un accent particulier sur le rôle que les parents ont à jouer pour assurer que les changements de rôle et l’augmentation des tâches soient reconnus par les parents, ce qui permet ultimement de produire la confiance en soi qui est la base pour développer une sécurité émotionnelle.